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Egypte: pourquoi ce n’est pas prêt de s’arranger?

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Depuis bientôt un mois, les Frères musulmans n’ont pas quitté les rues du Caire. Autour de la mosquée de Rabaa Al-Adawiya, les partisans de l’ancien président déchu persistent, entourés de leurs tentes et de leurs banderoles, appelant au retour à l’ordre constitutionnel et donc au retour de Mohamed Morsi au pouvoir.

L’ennemi, ce sont les Frères musulmans

Ce week-end, les violences ont fait au moins 72 morts dans diverses villes du pays. Un constat qui rappelle douloureusement les heures de la révolution de 2011, qui avait fait tomber Hosni Moubarak pour rendre le pouvoir à l’armée.

Les Frères musulmans persistent, arguant à qui veut l’entendre que la légitimité appartient au peuple électeur. En face d’eux, la foule d’une opposition qui n’a d’autre nom que celui « d’opposition » tant aucune personnalité ni parti politique n’est parvenu à sortir du lot, parle de légitimité de la rue, de légitimité révolutionnaire.

Les deux camps qui s’opposent aujourd’hui ne sont pas les mêmes qu’il y a quelques mois, lorsqu’après la chute de l’ancien dictateur égyptien, les Frères musulmans se mêlaient à la foule de Tahrir pour réclamer de l’armée qu’elle cède le pouvoir à un gouvernement civil démocratiquement élu.

Aujourd’hui, les Frères musulmans sont l’ennemi. Après avoir tenté de diriger sans succès l’Egypte que l’on croyait postrévolutionnaire, le peuple, plus animé par une envie de voir la croissance revenir que par des idéaux libertaires, se sont retournés contre l’élu et ont par là-même, inversé les rôles en Egypte.

Les scénarios se répètent

Que faut-il voir dans ces retournements de situation successifs et d’une ressemblance frappante ? Ce que de nombreux experts ont prédit et ce malgré les vagues d’engouement médiatique qui ont suivi chaque nouvelle étape du processus de transition politique en Egypte, qu’il s’agisse de l’élection présidentielle ou du coup d’Etat du 3 juillet dernier.

La révolution égyptienne n’est pas près de s’achever, pire, elle serait même tout juste en train de commencer.

Car aujourd’hui, force est de constater que la situation en Egypte est plus que jamais bloquée. Les différents acteurs qui se partagent le pouvoir ou la révolution sont retranchés derrière des positions immuables. Les Frères musulmans sont condamnés à ne rien lâcher tant que Mohamed Morsi ne sera pas libéré et remis en place. L’armée, empêtrée dans une nouvelle transition politique qui ne lui réussit pas ne peut néanmoins pas se défiler et, comme en 2011, laissera les civils faire leur travail lorsqu’elle aura bien préservé ses arrières. L’opposition révolutionnaire est quant à elle enfermée dans son statut d’opposition tant qu’elle ne se sera pas mis d’accord autour d’un programme, d’un homme, d’un destin politique pour l’Egypte. Or, en Egypte comme ailleurs islamistes, salafistes, laïcs, libéraux, gauche et droite sont difficilement conciliables dès lors qu’il n’y a plus d’ennemi commun à combattre.

Combien de transitions politiques avant le grand jour ?

Le programme des années à venir est donc aisément imaginable. Comme il l’a promis, le gouvernement de transition finira par organiser des élections législatives, avant la fin de l’année selon les prévisions, auxquelles les Frères musulmans seront tenus de participer, du moins si leurs responsables politiques sont libérés de prison d’ici-là. Ils feront un très bon score, qui ne sera représentatif que d’une chose : le Parti de la liberté et de la justice (PLJ), vitrine politique de la confrérie, est le seul parti politique organisé en Egypte.

A la suite de ces élections législatives sera organisée une élection présidentielle, les doutes sont autorisés quant au vainqueur de ce scrutin, mais le nom du futur président n’est pas important, car les forces politiques en présence demeureront et l’Egypte sera toujours durablement polarisée.

Que l’Egypte se prépare à quelques années supplémentaires de révolution

La seule conclusion à tirer de ce processus révolutionnaire égyptien est qu’il durera bien plus longtemps qu’il n’en n’a fallu au Printemps arabe pour laisser place à l’été.

« Au fil des années, les Egyptiens ont perdu tout sens civique, tout sens de l’intérêt collectif et doivent aujourd’hui réapprendre par eux-mêmes les fondements de la démocratie et les moyens de reconstruire leur pays et leur société », expliquait Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS, avant la manifestation du 30 juin dernier.

« Les Egyptiens ont pris conscience qu’ils avaient quelque chose à dire et deviennent peu à peu capables de se déterminer. Mais tout cela ne se fera pas du jour au lendemain car il s’agit d’un bouleversement structurel », expliquait-il encore, assurant même que « la révolution en Egypte n’a pas commencé ».

Pour le magazine Paris Match, le directeur adjoint de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) table quant à lui sur une période révolutionnaire qui s’étalerait sur les sept ou huit prochaines années.

Selon ce dernier, ces années verront s’alterner des périodes de tensions et d’accalmies jusqu’à la terre promise du consensus politique. Comme Rome, les révolutions ne se font pas en un jour. L’Egypte est aujourd’hui le témoin vivant que les révolutions du 21ème siècle ne sont pas plus rapides.

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