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Égypte: pourquoi tant d’acharnement contre les Frères musulmans?

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Depuis mercredi 10 juillet, le guide suprême des Frères musulmans, Mohamed Badie, et d’autres responsables de la confrérie islamiste sont sous le coup d’un nouveau mandat d’arrêt de la justice égyptienne, émis par le procureur général. 

Les mandats d’arrêt se succèdent

Ce mandat d’arrêt concerne les violences qui ont fait plus de 50 morts dans la journée de lundi 8 juillet et les Frères musulmans sont accusés d’avoir incité les manifestants pro-Morsi, le président islamiste déchu, à la violence.

Ces Frères musulmans étaient déjà poursuivis pour de précédentes violences et alors que l’Egypte avait annoncé l’arrestation de Mohamed Badie, ce dernier était apparu en public, vendredi 5 juillet, appelant les partisans de Mohamed Morsi à rester « mobilisés par millions ».

Lors de l’émission de ce premier mandat d’arrêt, l’adjoint de Mohamed Badie, Khaïrat el Chater, avait été particulièrement visé. Ce dernier, bien connu des Egyptiens, était considéré comme l’homme de l’ombre du président Morsi, celui qui dirigeait l’Egypte bien plus que le président élu et qui aurait d’ailleurs dû être à sa place si, avant le scrutin présidentiel, le conseil constitutionnel ne l’avait pas interdit de se présenter en raison de ses antécédents judiciaires.

Retour triomphal pendant la révolution

Les Frères musulmans, après à peine plus d’un an au pouvoir, semblent être devenus la bête noire de l’Egypte. Ils sont désavoués par tous. Par le peuple descendu depuis plusieurs mois place Tahrir, par l’armée qui n’aura donné qu’un ultimatum de 48 heures au président Morsi pour satisfaire à la volonté populaire avant d’agir, et finalement par les pays voisins, la péninsule arabique en chef de file qui, hormis le Qatar, n’a pas attendu une minute pour saluer le coup d’Etat et féliciter le nouveau président en place.

Pourtant, deux ans auparavant, la révolution avait fait revenir les Frères musulmans sur le devant de la scène. Place Tahrir, ils étaient même devenus frères de tranchée des manifestants pour les libertés civiles, prêts à en découdre avec Hosni Moubarak.

Sur leur estrade, les Frères musulmans revenaient, fiers et puissants de leurs longues années de solitude et d’ostracisme politique.

Des décennies de persécution

Car pour la confrérie islamiste, la révolution s’est trouvée être un véritable chemin de renaissance. Hosni Moubarak et les présidents qui l’ont précédé leur ont fait mener la vie dure pendant plusieurs décennies et c’est dans les rues du Caire, en janvier 2011, que le mouvement s’est soudainement senti poussé des ailes.

Les Frères musulmans ont été fondés en 1928 par un citoyen égyptien du nom d’Hassan el-Barra. A cette époque, la France et le Royaume-Uni sont très présents en Egypte, notamment autour du Canal de Suez. Et c’est dans cette région que la confrérie va prendre forme, pour proposer une alternative au mode occidental qui s’installe. Au départ, les frères se veulent une association de bienfaisance et ce n’est qu’un peu plus tard que l’aspect politique entre en compte.

Mais très vite ils sont devenus la bête noire du gouvernement égyptien qui interdit la confrérie et condamne de nombreux membres. Cette obsession égyptienne, qui vire parfois à la persécution, née dans les années 40, survit jusqu’à la destitution d’Hosni Moubarak.

Le choix politique

La consécration et l’aboutissement de nombreuses années de combat apparaissent alors lors des élections législatives de l’hiver 2011-2012. Les Frères musulmans créent une véritable surprise, et fort de leur engagement social auprès de nombreux Egyptiens, remportent 40% des sièges au Parlement et deviennent ainsi le premier parti de l’Assemblée nationale.

Ils sont majoritaires au Parlement, bientôt majoritaires à l’Assemblée constituante, le vent tourne en leur faveur et la tentation est grande de briguer le poste suprême, la présidence.

Mais les Frères musulmans se veulent démocrates et persuadés qu’ils gagneront le scrutin présidentiel, préfèrent jouer la carte de la séparation des pouvoirs. Quelques jours plus tard, convaincus qu’aucun candidat en présence ne saura sauvegarder l’esprit de la révolution, ils décident néanmoins de présenter un Frère musulman, en la personne de Khaïrat al-Chater. Désavoué par le conseil constitutionnel qui lui interdit de se présenter en raison de son passé pénitentiaire, la confrérie opte pour un candidat de deuxième choix, Mohamed Morsi.

Trop de pouvoir

La victoire n’aura pas été aussi belle que prévue et Mohamed Morsi est élu, le 17 juin 2012, avec 51,73% des voix. Un score qui lui permet néanmoins de s’assurer une sacro-sainte légitimité démocratique qu’il ne cessera par la suite de proclamer pour justifier sa présence à la tête de l’Etat.

Oui mais voilà, revenus de longues années d’exil, les Frères musulmans en ont trop fait. Il ne leur a fallu que quelques semaines pour se mettre à dos la foule égyptienne. Ils manquaient de pouvoir, ils ont tout voulu et tout de suite.

C’est par cette déclaration constitutionnelle du 22 novembre 2012 que la foule égyptienne a entamé sa longue lutte contre le nouveau pouvoir en place. Par cette déclaration, le président Morsi, qui détenait déjà les pouvoirs exécutifs et législatifs, s’est arrogé une foule de nouvelles prérogatives, notamment judiciaires, de manière à lui permettre de « prendre toute décision ou mesure pour protéger la révolution ».

Nouvelle rancœur des Egyptiens

Grâce à ces nouveaux pouvoirs, le président Morsi a eu le loisir d’accélérer les réformes et surtout le processus de rédaction et de vote de la Constitution actuellement suspendue.

Pour l’opposition, c’en était déjà trop. L’Assemblée constituante, à majorité islamiste, a toujours suscité la colère des laïcs et des libéraux qui, depuis le début, n’avaient pas eu droit de cité dans la création de l’essence du texte fondamental destiné à faire de la charia (loi islamique), le fondement de la nouvelle Egypte.

Les manifestations se sont succédé, le président n’a pas cédé. Fort de cette légitimité démocratique que les Egyptiens n’avaient intégrée que quelques mois auparavant, le président Morsi et sa confrérie islamiste pensaient avoir les mains libres pour poursuivre leur chemin de rédemption.

Mais il aurait fallu pour cela satisfaire aux plus humbles demandes du peuple égyptien. Et parmi les manifestants, ils auraient été nombreux à pardonner au Frère musulman son islamisme et sa charia. Il leur aurait simplement fallu du pain. Mais n’est pas président qui veut et l’inexpérience du pouvoir associée à un fort dogmatisme aura plongé l’Egypte dans une profonde crise économique que les Egyptiens ne pardonnent pas à la confrérie.

Détestés du pouvoir sous Moubarak et ses prédécesseurs, les Frères musulmans retrouvent aujourd’hui le chemin de l’ombre. Parviendront-ils à remonter cette pente glissante ? Ils ont un avantage de taille par rapport à leurs ennemis, ils sont unis. Une qualité que l’on ne trouve pas chez les manifestants de la place Tahrir, dont les formations politiques se comptent par dizaines. Nul doute que lors des prochaines législatives, les Frères musulmans créeront une nouvelle surprise.

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