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Retour sur la condamnation de Charles Taylor en 2012: une première historique pour un chef de l’Etat

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La condamnation de Charles Taylor par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) le 30 mai 2012 est une première sans précédent. En effet, Charles Taylor a été condamné pour des faits commis en sa qualité d’ancien chef de l’Etat du Libéria, entre 1997 et 2003.

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Un chef de l’Etat représente symboliquement la continuité et la légitimité de sa nation. Il est donc exceptionnel qu’il soit jugé et condamné. Les chefs d’Etat et la communauté internationale ont longtemps vécu dans l’idée que leur fonction politique leur conférait une sorte d’immunité absolue et donc d’impunité. Sans disparaître totalement, cette idée est en train d’être atténuée par des poursuites pénales plus fréquentes contre les chefs d’Etat devant les juridictions pénales internationales.

Principe de droit: l’immunité de juridiction du chef d’ETat en exercice

Certes, il existe toujours en droit international une règle de l’immunité de juridiction du chef d’Etat en exercice. Cette règle est valable devant les juridictions nationales. Toutefois, il est maintenant acquis que cette règle peut faire l’objet d’une exception lorsque des poursuites pénales sont engagées contre un chef d’Etat devant une juridiction internationale. Lorsqu’un chef d’Etat est soupçonné d’avoir commis un des grands crimes internationaux que sont le génocide, le crime contre l’humanité, le crime de guerre et le crime d’agression, quatre crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI) créée en 2002, son statut ne lui confère plus de protection juridique particulière. Il peut alors être arrêté, placé en détention préventive, jugé et condamné. Mais le phénomène reste récent et surtout encore très rare.

Les précédents…

Près de 300 personnes ont été condamnées par la justice pénale internationale depuis 1945. Aucune ne l’avait été jusqu’en 2012 en sa qualité de chef d’Etat. Un rapide retour en arrière au XXème siècle (Voir en ce sens, A.-Th. Lemasson, La condamnation de Charles Taylor : une première historique pour un chef d’Etat, Recueil Dalloz, 2012, p. 2191) permet de le constater :

–          Philippe Pétain en 1945 et Saddam Hussein en 2006 ont été jugés devant des juridictions nationales sur le fondement du droit interne ;

–          Le roi Guillaume II et l’empereur Hirohito ont échappé à des procès pour des raisons politiques ;

–          Adolf Hitler s’est suicidé ;

–          L’amiral Dönitz, président du IIIème Reich pendant vingt-trois jours après le suicide d’Hitler et de Goebbels, a été condamné par le tribunal de Nuremberg mais pour des actes commis antérieurement à sa nomination comme chef d’Etat, en tant que commandant en chef de la marine de guerre allemande ;

–          Benito Mussolini, Nicolae Ceausescu et Mouammar Khadhafi (contre lequel la CPI avait émis un mandat d’arrêt pour crimes contre l’humanité en juin 2011) ont été exécutés sommairement ;

–          Slobodan Milosevic, président de la Serbie de 1989 à 2000, est mort en 2006 dans sa prison au cours de son procès devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, sans avoir été condamné ;

–          Milan Milutinovic, président de la Serbie de 1997 à 2002, a été acquitté par le TPIY en 2009 ;

–          Laurent Gbagbo, ancien chef d’Etat de la République de Côte d’Ivoire, détenu à La Haye depuis 2012, attend actuellement le début de son procès devant la CPI ;

–          Khieu Samphan, ancien chef d’Etat du Cambodge (à l’époque dénommé le Kampuchéa démocratique, entre 1976 et 1979) comparait depuis 2011 devant les chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens et n’a pas encore été condamné ;

–          Hissène Habré, ancien chef d’Etat du Tchad de 1982 à 1990, n’a toujours pas été jugé par les chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises ;

–          Deux mandats d’arrêt pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide ont été délivrés en 2009 et 2010 par la CPI contre Omar Hassan Ahmed el-Béchir, le président en exercice du Soudan (en poste depuis 1993). Cette demande d’arrestation d’un président en fonction est également un précédent historique (Milosevic n’était plus en fonction lorsque le TPIY avait délivré un mandat d’arrêt contre lui). Mais elle n’a pas abouti à l’arrestation du président soudanais.

–          le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a condamné bourgmestres, préfets, ministre et premiers ministres (Jean Kambanda) mais aucun président de la République ; 

–          aucun chef d’Etat n’a été condamné par le Tribunal spécial pour le Liban ou par les chambres mixtes extraordinaires au Kosovo et au Timor oriental ;

–          Aucune procédure internationale n’a été engagée à ce jour contre le président syrien Bachar el-Assad pour les crimes commis durant guerre civile en Syrie ou contre le président israélien Shimon Perès pour les violations du droit international humanitaire commis au cours de différentes opérations militaires dans la bande de Gaza et au Liban.

La condamnation de Charles Taylor, un précédent

Charles Taylor n’était pas le premier chef d’Etat à comparaître en qualité d’accusé devant une juridiction pénale internationale. Miroslav Milosevic a été le premier chef d’Etat détenu en cette qualité et accusé devant le TPIY. Son arrestation puis sa présentation devant le TPIY en 2001 ont été un grand moment pour la justice internationale. Un mandat d’arrêt avait émis contre lui par le procureur du TPIY en 1999. Mais Charles Taylor a été le premier chef d’Etat à être condamné pénalement par une juridiction pénale internationale. Sa condamnation constitue bien un précédent unique, marquant une étape décisive dans l’avènement d’une nouvelle ère de la responsabilité pénale internationale. On doit sa condamnation au travail de longue haleine effectué par le TSSL, mais aussi certainement à la gravité des crimes reprochés et au fait qu’aucune grande puissance n’a tenté de le protéger : en exil au Nigéria, de juin 2003 à mars 2006, il a été extradé à cette date vers la Sierra Leone. Enfin, sa condamnation tient aussi à l’âge relativement jeune de l’accusé. Né en 1948, Charles Taylor est devenu chef d’Etat du Libéria, alors qu’il avait moins de cinquante ans. Cela donnait du temps à la justice internationale pour l’arrêter et le juger et le condamner. Or la justice internationale dispose rarement de temps, les anciens chefs d’Etat détenus étant souvent vieillissants, en mauvaise santé, et fréquemment portés au suicide.

La juridiction qui a condamné Charles Taylor, le TSSL, a été créée le 16 janvier 2002 en vertu d’un accord conclu entre les Nations Unies et l’Etat sierra-léonais. Il s’agissait de poursuivre pénalement les personnes qui portent la responsabilité la plus lourde dans les violations graves du droit international humanitaire et de droit sierra-léonais commises sur le territoire de la Sierra Leone depuis le 30 novembre 1996 (cette dernière date correspondant à celle de la signature d’un accord de paix signé à Abidjan entre le gouvernement et les rebelles). Le TSSL est une juridiction pénale internationale, dite hybride, en ce qu’elle comprend de larges apports nationaux (de droit national). Il siège normalement dans le pays où les crimes ont été commis, son siège étant fixé à Freetown, la capitale de la Sierra Leone. Elle n’est toutefois pas une juridiction mixte, comme les chambres extraordinaires au sein de tribunaux nationaux, en ce sens que seuls des procureurs et magistrats internationaux y travaillent. Depuis sa création, le TSSL, a engagé des poursuites contre 13 personnes (dont 3 sont décédées depuis) et a prononcé des condamnations définitives contre 8 personnes. Charles Taylor était son neuvième accusé encore en vie. Pour des raisons de sécurité, son procès a été délocalisé et s’est tenu à La Haye, dans les locaux du Tribunal spécial pour le Liban. Les audiences se sont tenues de juin 2007 à mars 2011.

La condamnation de Charles Taylor a été prononcée par la chambre de première instance du TSSL en deux temps : le 18 mai 2012, il a été déclaré coupable de complicité de crimes de guerre (par terrorisme, violence, atteintes à la dignité, traitement cruel, actes inhumains et pillage, conscription et enrôlement d’enfants soldats) et de crimes contre l’humanité (par meurtre, viol, esclavage sexuel et asservissement). Le 30 mai 2012, alors que le procureur réclamait une peine de 80 ans de prison, le TSSL a prononcé contre Charles Taylor une peine de 50 ans d’emprisonnement pour les actes dont il a été déclaré coupable. L’ancien chef d’Etat du Libéria a fait appel de sa décision. Cette dernière n’est donc pas définitive. Le procès en appel se tient actuellement. La décision finale est attendue d’ici la fin de l’année 2013.

Rappel des faits

Charles Taylor a été un des protagonistes de la guerre civile au Libéria et a commis ou fait commettre dans son pays de nombreuses atrocités. Paradoxalement, sa condamnation ne porte sur les faits qu’il a commis au Libéria mais ceux dont il a été complice en Sierra Leone, alors qu’il était chef d’Etat de la République du Libéria entre 1997 et 2003. La guerre civile au Sierra Leone (1991-2002) a été d’une très grande violence. Elle a fait entre 100.000 et 200.000 morts. Elle a provoqué l’exode massif de plus de deux millions de personnes, soit un tiers de la population totale du pays. Elle s’est accompagnée d’un long cortège d’actes criminels : recrutement et usage de mercenaires (notamment libériens), recrutement et utilisation d’enfants-soldats, attaques généralisées contre la population civile, exécutions sommaires, campagnes d’amputations, tortures, viols à grande échelle, destructions et pillage etc. L’un des épisodes les plus noirs de ce conflit a été la prise de la capitale Freetown par les rebelles entre décembre 1998 et février 1999 au cours de laquelle 6.000 habitants ont été tués, tandis que des dizaines de milliers de personnes ont du fuir. Cette guerre avait pour principale raison le contrôle des riches provinces diamantifères de la Sierra Leone, sur lesquelles le Liberia entendait étendre sa domination. L’objectif du Liberia n’était toutefois pas de contrôler son voisin politiquement. Entre 1997 et 2002, Charles Taylor a soutenu les rebelles sierra-léonais du Front révolutionnaire uni (RUF) et du Conseil des forces armées révolutionnaires (l’AFRC) ainsi que l’alliance AFRC/RUF politiquement, économiquement et militairement (en leur fournissant notamment armes, munitions, entraînement, logistique et moyens de communication) en échange de diamants. Un objectif mercantile qui a perdu Charles Taylor.

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