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Une Égypte sans Frères musulmans, est-ce tenable?

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Ils n’ont pas voulu participer à la formation du gouvernement, malgré l’invitation lancée par le Premier ministre Hazem el-Beblawi. Les Frères musulmans ne sont donc pas représentés dans la nouvelle équipe, chargée désormais de conduire la transition politique en Égypte.

Un gouvernement sans islamistes

Mardi 16 juillet, les 35 nouveaux ministres égyptiens ont prêté serment au cours d’une cérémonie retransmise par la télévision d’Etat. Sur ces images, de nombreux laïcs, trois chrétiens coptes, mais aucun représentant des Frères musulmans. Ces derniers, écartés du pouvoir par le coup d’Etat du 3 juillet dernier, ne reconnaissent pas la légitimité de cette équipe gouvernementale et demandent toujours le retour du premier président élu démocratiquement en Egypte, Mohamed Morsi.

Pourtant, le nouveau Premier ministre appelle à la « réconciliation nationale » et les Frères musulmans ont été, comme tous les acteurs politiques en Egypte, invités à participer à ces « efforts » pour le retour à la paix et au calme.

C’est donc un gouvernement représentatif des foules révolutionnaires de la place Tahrir qui a été constitué ces derniers jours. Mais s’il est à l’image de ceux qui ont voulu la chute de Mohamed Morsi, il ne semble pas plus vecteur de stabilité politique dans une Egypte où les Frères musulmans restent la principale formation politique nationale.

Arrestations et gel des avoirs

Invités à participer à la reconstruction politique de l’Egypte après le putsch mené par l’armée, les Frères musulmans sont également la cible d’une grande vague de répression menée par le nouveau gouvernement. Depuis l’arrestation de Mohamed Morsi, le 3 juillet dernier, les mandats d’arrêts contre les membres de la confrérie se succèdent et les détentions arbitraires sont fréquentes.

La justice égyptienne est allée plus loin en décidant, notamment, le gel des avoirs de 14 membres de la confrérie.

Ils seraient actuellement 205 enfermés dans les prisons égyptiennes sous le coup d’accusations pour « meurtre », « incitation à la violence », « port d’armes non autorisées » et « troubles à l’ordre public et à la sécurité ».

La justice s’apprête, par ailleurs, à mener de nouvelles enquêtes fondées sur des plaintes à l’encontre de l’ancien président Mohamed Morsi et de certains hauts responsables des Frères musulmans. Ces plaintes ont été déposées pour des motifs d’« espionnage », « incitation au meurtre de manifestants » et « mauvaise gestion économique ».

Les Frères musulmans de nouveau dans l’ombre

La facture de ce coup d’Etat est douloureuse pour des Frères musulmans qui, logiquement, refusent aujourd’hui de collaborer au gouvernement d’une transition politique qu’ils se refusent à reconnaître.

De retour dans l’ombre après une année à la présidence, les Frères musulmans semblent retrouver leur place, à l’écart de la politique, comme s’ils n’avaient jamais remporté ni les élections législatives, ni l’élection présidentielle de juin 2012.

Cette vaste opération de chasse aux islamistes, menée par l’armée et la justice égyptienne, ne semble pas devoir s’arrêter. A quelques mois des élections législatives – que le gouvernement de transition a promis d’organiser avant la fin de l’année -, il semble bien que le nouveau pouvoir égyptien fasse tout pour s’assurer que l’histoire ne se répète pas.

Lors des élections législatives de l’hiver 2011, les Frères musulmans, qui avaient été écartés du pouvoir pendant des décennies, avaient remporté près de 40% des voix au parlement et, quelques mois plus tard, Mohamed Morsi accédait triomphalement à la présidence.

Que cherche l’armée ?

Car les Frères musulmans ont un atout majeur dont les laïcs et les différents tenants de la ligne libérale, de droite ou de gauche – qui assurent la transition -, ne peuvent se vanter : ils sont une organisation politique encadrée et dotée d’une forte base électorale.

En effet, en face d’eux, l’opposition égyptienne qui vient d’accéder au pouvoir se divise en plusieurs dizaines de partis politiques dont les programmes politiques ne sont pas clairement établis.

Face à cela, les Frères musulmans sont vainqueurs d’avance et, aujourd’hui, la stratégie du pouvoir égyptien et de l’armée ne semble viser qu’à anéantir l’organisation, avant ce scrutin déterminant pour l’avenir de l’Égypte.

« Dans l’opposition aux Frères musulmans qui s’est constituée, je pense qu’il existe deux opinions avec une forte tension entre elles : celle des ‘éradicateurs’ et celle des ‘pragmatiques’ », analyse pour sa part Stéphane Lacroix, professeur à Science-Po pour le Nouvel Observateur. « Chez les libéraux les plus durs, que l’on peut retrouver dans le champ politique, dans l’armée ou dans les institutions, on estime que le rejet et la haine, inédits, contre les pro-Morsi qui existe dans une partie importante de la population, est l’occasion unique de se débarrasser des Frères, ou du moins de leur porter un coup majeur  », explique encore le professeur.

Pas de démocratie sans islamistes

Les Frères musulmans peuvent-ils vraiment être « éradiqués » ? Si les régimes politiques successifs en Égypte n’y sont pas parvenu depuis 1928, année de création de la confrérie, il est fort peu probable qu’ils y parviennent aujourd’hui.

Le veulent-ils vraiment ? L’armée est parvenue à s’accommoder de la confrérie au pouvoir durant cette année de mandat. Les voir disparaître ne leur ferait pas vraiment de peine. Quant aux laïcs et libéraux qui composent le gouvernement, la suppression définitive de la confrérie, déjà impossible, est irréalisable lorsque le gouvernement en question cherche à garantir un avenir démocratique à l’Égypte.

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