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Affaire David Miranda: c’est l’Habeas Corpus et la Magna Carta que la police britannique piétine…

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Dimanche 18 août. David Miranda, un Brésilien de 28 ans, débarque à l’aéroport d’Heathrow. Londres n’est qu’une escale entre Berlin, où il vient de séjourner quelques jours, et Rio de Janeiro où il réside avec son compagnon. La police britannique l’a retenu pendant neuf heures en vertu des pouvoirs exceptionnels que lui confère l’annexe 7 de la loi sur le terrorisme 2000.

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Le motif de cette détention aux yeux de la police britannique des frontières ? L’identité du compagnon de David Miranda… Celui-ci n’est autre que Glenn Greenwald, le journaliste du Guardian à l’origine de l’essentiel des scoops fondés sur les révélations du lanceur d’alerte de la NSA, Edward Snowden. On imagine que, puisque David Miranda vit mais aussi travaille avec lui, les autorités britanniques ont jugé légitime de le retenir et de l’interroger. On imagine car, en vertu des pouvoirs exceptionnels que leur confère la loi anti-terrorisme, celles-ci n’ont pas ni à se justifier, ni à fournir au suspect retenu…

Cet épisode met en avant le caractère exorbitant de cette législation, une législation qui remet en cause un des principes essentiels sur lesquels reposent nos démocraties libérales et mieux – ou pire – encore…

Des pouvoirs de police sans équivalent

L’annexe 7 de la loi sur le terrorisme de 2000 confère à la police britannique et, en particulier, à la police des frontières les pouvoirs de police les plus étendus qui soient. Ces dernières peuvent détenir n’importe qui se présentant aux postes de frontières sans suspicion particulière – sans avoir, en tout cas, à la justifier – et sans qu’il y ait de droit à l’assistance d’un homme de loi. Tout cela pendant une durée pendant aller jusqu’à neuf heures.

C’est un instrument particulier utile pour les services de sécurité à  la recherche d’informations pour nourrir leurs enquêtes mais, aussi, une source assurée d’injustice…

La goutte d’eau qui fait déborder le vase…

La détention de David Miranda est absolument exceptionnelle et met en évidence, comme jamais auparavant, l’étendue des pouvoirs conférés, sans contrôle, aux forces de l’ordre.

Non seulement David Miranda n’a pas été détenu parce qu’il serait soupçonné d’être un terrorisme, mais, en plus, il n’est pas soupçonné d’être le complice d’un terroriste puisque Glenn Greenwald lui-même n’est pas accusé d’avoir commis, préparé ou instigué des actes terroristes, ou quoi que ce soit qui pourrait s’en rapprocher. Glenn Greenwald a juste produit des articles sur la base de révélations fournies par une source, Edward Snowden.

Les zones « sous douane », des zones de non-droit

L’épisode Miranda met en évidence la spécificité en vertu de la loi britannique, des zones dites « sous douane » dans les ports et les aéroports, un monde parallèle sous règles de droit exorbitantes du droit ordinaire.

Dans le « monde réel », un équilibre s’établit – et c’est une liberté fondamentale dans nos Etats dits de droit – entre les droits et les devoirs des citoyens, fussent-ils suspects. En revanche, dans le « monde parallèle », les individus peuvent être détenus et interrogés, ils peuvent être fouillés, leurs biens peuvent être confisqués sans la moindre suspicion, sans la moindre garantie légale.

L’an dernier, il y aurait eu au Royaume-Uni 69 000 « David Miranda » – même s’ils n’ont pas tous passé les neuf heures maximales dans les mains de la police.

Un avertissement aux journalistes et lanceurs d’alerte

Le cas « David Miranda » était un exercice d’harcèlement policier mais aussi, sans aucun doute, une intimidation visant les journalistes et les lanceurs d’alerte. L’objectif était de rappeler aux professionnels du journalisme et à leurs informateurs l’étendue des pouvoirs dont disposent les forces de l’ordre dans ces zones de non-droit où aucune assistance légale n’est autorisée.

La police des douanes de l’aéroport d’Heathrow s’est comportée de la sorte parce que la loi l’y autorise, mais aussi sans doute parce que les Américains le souhaitaient – alors que d’autres révélations émanant d’Edward Snowden seraient imminentes – et sans autres raisons.

Une atteinte aux fondements même du modèle occidental de liberté

L’épisode Miranda porte atteinte aux principes fondamentaux censés protéger la liberté de la presse. Dont acte.

L’épisode Miranda remet en cause le principe du « bénéfice du doute » que revendique pour elle-même les démocraties libérales dans la lutte contre le terrorisme. Les Etats adoptent des législations anti-terrorisme leur conférant des pouvoirs exceptionnels au motif que le terrorisme constitue une menace exceptionnelle. Or, jamais au cours de la détention de David Miranda n’a-t-il été question de terrorisme ou d’implication dans des activités terroristes. Les responsables politiques de ces démocraties ont reconnu comme légitime le débat sur la nature des moyens de lutte contre le terrorisme et leur proportionnalité à la menace. Pour autant, ils sont prêts, sans la moindre justification, à s’asseoir sur ces principes et les bafouer allègrement. Dont acte.

L’annexe 7 et son application extensive dans l’épisode Miranda violent tout bonnement les fondements mêmes de l’ordre juridique qui a fait que l’Angleterre est l’Angleterre, le Royaume-Uni le Royaume-Uni et… les États-Unis les États-Unis, l’Habeas Corpus de 1679 et la Magna Carta de 1215 qui, en son article 29, stipule : « Aucun homme libre ne sera saisi, ni emprisonné ou dépossédé de ses biens, déclaré hors-la-loi, exilé ou exécuté, de quelque manière que ce soit. Nous ne le condamnerons pas non plus à l’emprisonnement sans un jugement légal de ses pairs, conforme aux lois du pays »…  

Le Parlement britannique devrait être saisi sous peu d’un projet de réforme de l’annexe 7 de la loi sur le terrorisme de 2000.  Il en va de la liberté de la presse,il en va aussi de la lutte contre le terrorisme, un enjeu trop important pour servir d’alibi aux basses œuvres de pouvoirs sans scrupules.

Franck Guillory

 

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