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L’«armada» de Rajoy défie Gibraltar: intérêt national ou tactique politique?

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Les querelles entre Espagnols et Britanniques autour de Gibraltar sont récurrentes. Si elles sont souvent acerbes, c’est qu’elles réveillent aisément de lourds contentieux historiques, que les relations désormais apaisés entre les deux nations ou leur appartenance conjointe à l’Union européenne peinent apaiser. Tout ça pour un rocher peuplé de singes, surplombant un petit lopin de terre avec vue sur mer peinant à accueillir 30 000 résidents et un aéroport pour les désenclaver…

La course à la mer…

L’objet du tourment, cette fois-ci, les droits de pêche et la souveraineté sur les eaux entourant ce Territoire d’outre-mer britannique… Le gouvernement de l’enclave a décidé de jeter à la mer 70 blocs de béton hérissés de piques destinés à empêcher le passage des chalutiers et à attirer les poissons – un dispositif fréquent le long des côtes d’Espagne mais qui, placé là, a été perçu comme une provocation, le signe d’une hostilité manifeste du « Rocher ».

En réponse, l’Espagne s’est montrée menaçante évoquant des mesures de rétorsions, comme une taxe douanière de 50 euros pour tous les véhicules franchissant la frontière routière – et la promesse (déjà tenue) de l’augmentation des contrôles – si les blocs de béton n’étaient pas démantelés. Grève du zèle qui impose déjà un délai de sept heures à la seule douane terrestre…

Un héritage du Traité d’Utrecht de 1713

L’autorité des Britanniques sur Gibraltar remonte au second Traité d’Utrecht de juillet 1713, lorsque l’Espagne céda à la Grande-Bretagne un contrôle perpétuel, une des conséquences humiliantes de la guerre de succession d’Espagne.

Mais, le « Rocher », à la jonction entre l’Atlantique et la Méditerranée, a perdu de sa dimension stratégique depuis la Seconde guerre mondiale. Avec l’intégration de l’Europe, l’importance militaire de Gibraltar est devenue minimale, à peine un port d’escale vers d’autres théâtres d’opération. Aujourd’hui, Gibraltar est un paradis fiscal et une destination touristique, mais certainement pas un objet de revendication.

La dispute, comme l’essentiel des précédentes, ne porte pas sur le caractère britannique de Gibraltar. De par sa constitution, le Royaume-Uni s’est engagé à défendre ce territoire, et les Gibraltariens votent régulièrement en faveur du statu quo – la dernière fois en 2002 lorsqu’ils ont rejeté un projet de co-souveraineté anglo-espagnole.

Des milliers d’Espagnols traversent la frontière tous les jours pour travailler sur l’enclave et, si quelques pêcheurs espagnols sont furibonds, l’affaire est de bien trop petite importance pour affecter véritablement les relations économiques et politiques entre le Royaume-Uni et l’Espagne.

Enfin, toute revendication espagnole sur Gibraltar constituerait un risque important pour l’Espagne qui jouit, elle-même, de deux petites enclaves sur les côtes marocaines du détroit, Ceuta et Melilla.  

Des eaux disputées…

En réalité, à ne bien y regarder, il ne reste qu’un authentique sujet de discorde au sujet de Gibraltar entre l’Espagne et le Royaume-Uni, un seul élément qui n’a pas été réglé par le Traité d’Utrecht : c’est le contrôle des eaux entourant le port de Gibraltar.

Deux fois depuis 2012, les Cours européennes de justice ont reconnu la légitimité des revendications espagnoles mais, pourtant, c’est bien cette question qui a refait surface depuis juillet dernier. La question est d’autant plus compliquée que le ministre en chef de Gibraltar, Fabian Picardo, s’est fait élire sur sa promesse de revenir sur un accord de 1999 sur les droits de pêche, et sur une promesse d’éjecter les navires espagnols des zones disputées.

Une question de fierté et/ou un jeu politique

L’Espagne refuse de négocier directement avec les autorités gibraltariennes – que Madrid ne reconnait pas comme du même niveau – et Londres ne peut donner l’impression de discuter de l’avenir de sujets britanniques sans les consulter…

Si personne n’imagine qu’elle ne puisse être autre que pacifique, il n’en reste pas moins que c’est bien à une escalade que nous assistons, à une escalade verbale…

Et Fabian Picardo de comparer l’attitude du gouvernement espagnol, et notamment celle de José Manuel Garcia Margallo, à celle en vigueur sous la dictature la dictature de Francisco Franco. Madrid aura apprécié…

Oui, apprécié, si – autre théorie qui circule – Mariano Rajoy était juste en train de chercher à faire diversion face aux accusations de corruption et à la persistance des mauvaises nouvelles économiques. Voilà qui serait bien perfide face à l’Albion.

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