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Les Etats-Unis oseront-ils suspendre leur aide à l’armée égyptienne?

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Depuis plusieurs jours, des informations contradictoires nous proviennent des Etats-Unis. Lorsque le président Barack Obama réunit son équipe afin de remettre en question les relations américano-égyptiennes, d’autres proches de la Maison Blanche affirment que l’affaire est déjà conclue et que les Américains ont coupé les ponts avec leurs anciens alliés. Dans le même temps, d’autres voix s’élèvent pour appeler au pragmatisme et à la raison. Selon ces mêmes voix, il serait bien malvenu de la part de la diplomatie américaine de s’engager sur la pente glissante de la rupture avec les Egyptiens.

Barack Obama réunit son équipe

Qu’en est-il vraiment ? Mardi 20 juillet, les États-Unis ont formellement démenti avoir suspendu leur aide financière allouée chaque année à l’Égypte. Le président Barack Obama a réuni son équipe rapprochée pour discuter de l’actuelle répression sanglante menée par l’armée égyptienne à l’encontre des manifestants et les conclusions de cette réunion n’ont pas encore été rendues publiques.

Toutefois, un porte-parole de la Maison Blanche, Josh Earnest, a tenté de prévenir sans maintenir de suspens. Même si le président américain se montre concerné, il ne faut « pas s’attendre à une annonce majeure » à ce sujet.

Le même jour, le site internet The Daily Beast assurait pourtant que l’aide américaine à l’Égypte avait été « interrompue en secret » par les Etats-Unis, reprenant ainsi les propos d’un collaborateur du sénateur démocrate Patrick Leahy, responsable de la sous-commission supervisant l’aide aux pays étrangers qui a également indiqué que l’aide militaire à l’Égypte avait été « interrompue ».

« C’est une pratique actuelle, pas forcément une politique officielle, et il n’y a pas d’indices sur la durée » de cette interruption, a alors indiqué ce collaborateur, David Carle avant que l’information selon laquelle la Maison Blanche avait déjà mis ses menaces en applications ne soit totalement démentie.

La sécurité d’Israël dépend de cette aide

Depuis les accords de Camp David, signés en 1979, les Etats-Unis versent une aide de taille à l’Egypte en échange de la sécurité d’Israël.

Ce chèque, souvent appelé « prime à la paix » permet à l’Egypte de toucher chaque année la somme de 1,55 milliards de dollars, dont 1,3 milliards sont directement destinés à l’armée égyptienne et qui couvrent 80% des besoins en équipement.

Dans cette aide financière, 250 millions de dollars sont également destinés à l’aide économique, notamment à la formation et à la santé.

Derrière ce chèque, c’est donc l’équilibre précaire qui assure en partie la sécurité de la région qui est en jeu. Remettre cette aide en cause reviendrait évidemment, pour les Egyptiens, à considérer comme nuls les accords de Camp David.

Un équilibre rappelé par lundi par le secrétaire américain à la Défense, Chuck Hagel. Selon ce dernier, le maintien de la coopération américaine avec l’Egypte est souhaitable en raison des négociations israélo-palestiniennes. Des négociations qui viennent à peine de reprendre après trois ans de gel.

L’Egypte menace

Face à ces menaces, l’Egypte s’est jusqu’à présent montré confiante. Confiante dans le pragmatisme des Etats-Unis sans doute et confiante dans sa faculté à utiliser les équilibres internationaux pour se financer ailleurs.

Dans un entretien donné à la télévision américaine ABC News, le Premier ministre égyptien Hazem Beblawi a également envoyé une menace aux Etats-Unis. Selon lui, une rupture de cette aide militaire « serait un mauvais signal et cela affecterait l’armée pendant un certain temps ».

Lors de cette même interview, le Premier ministre du gouvernement de transition s’est également montré menaçant envers les Etats-Unis.

« N’oublions pas que l’Egypte a vécu avec le soutien militaire de la Russie et que nous avons survécu », a-t-il déclaré à la télévision américaine. « Ce ne serait donc pas la fin du monde », a-t-il ajouté.

Ne pas céder à l’impulsion

Bien entendu, l’aspect éthique ne peut que difficilement être absent du discours américain. En une semaine, près de 900 personnes sont mortes en Egypte, particulièrement des opposants islamistes.

« Sur le plan moral, il est évidemment très difficile pour les Etats-Unis de ne pas réagir à ce qui se passe en Egypte. Barack Obama a reçu et accepté un prix Nobel de la paix, il ne peut pas fermer les yeux sur un pays qui massacre ses habitants », explique Sophie Pommier, professeur à Sciences-Po Paris et spécialiste de l’Egypte dans un entretien à l’Express.

Mais l’argument moral aura-t-il sa place dans les relations internationales ? Les Etats-Unis oseraient-ils punir l’armée égyptienne pour son mauvais comportement ? C’est peu probable pour l’éditorialiste Roger Cohen qui affirme que la suspension de cette aide serait un « réflexe impulsif ».

« Cela ne ferait qu’augmenter la possibilité d’un chaos en Egypte et dans la région », écrit-il dans le New York Times.

Même discours pour Sophie Pommier, interrogée dans l’Express, qui estime donc que pour mettre un terme à ces cafouillages, Israël pourrait intervenir en faveur d’un compromis.

Ces annonces ne sont « pas un très bon signe pour la sécurité de la région, notamment d’Israël. Il est probable qu’Israël fasse pression pour éviter un geste malheureux des Etats-Unis », ajoute-t-elle.

La Russie et l’Arabie Saoudite, renforts potentiels

Que ferait l’Egypte sans les Etats-Unis ? Le gouvernement de transition semble donc avoir quelques alliés de secours.

L’Arabie Saoudite, ouvertement opposée aux Frères musulmans, semble déterminée à se faire le soutien de la nouvelle Egypte.

Mais les Etats-Unis pourraient également se méfier d’un adversaire de taille, la Russie. « Avant Sadate, l’armée égyptienne étaient équipée et formée par la Russieé, explique encore Sophie Pommier. « Aujourd’hui, compte tenu de la reconfiguration de l’équilibre géopolitique dans la région avec le bras de fer Arabie Saoudite-Qatar et la montée en puissance de la Russie, notamment sur la Syrie, les Etats-Unis doivent être très prudents ».

Et le pragmatisme l’emportera

Les risques sont grands et ils sont nombreux à croire que les Etats-Unis choisiront la voix du pragmatisme.

« La nécessité pour les Etats-Unis de conserver une influence dans le pays le plus peuplé du monde arabe est si importante que nous n’allons probablement couper aucune aide », écrivait ainsi le Time lundi.

« Personne n’a entendu les Etats-Unis soutenir l’armée donc tout le monde a estimé que les Américains soutenaient les Frères musulmans mais derrière cette position, il y a d’abord une volonté de ne pas tomber dans la contradiction », explique Barah Mikail, directeur de recherche pour le think tank Fride.

« En effet, les Etats-Unis se sont réjouis de la chute d’Hosni Moubarak, des élections législatives et de l’arrivée d’un président démocratiquement élu, ils ne peuvent pas, aujourd’hui, revenir sur cette position », ajoute-t-il.

« Ils menacent de suspendre l’aide financière qu’ils accordent à l’armée mais finalement c’est sans doute le pragmatisme qui l’emportera car les Etats-Unis ont avant tout besoin d’une stabilité égyptienne et pour cela, il ne faut absolument pas que le pays s’effondre et puisque l’armée est la colonne vertébrale de l’Egypte, les Américains devraient vraisemblablement soutenir l’armée », conclue-t-il finalement.

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