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Montée du FN: et si la gauche était la première responsable?

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Samedi à l’université d’été du PS à La Rochelle, où il était l’invité d’une table ronde consacrée à la lutte contre l’extrême droite, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, s’est montré très offensif : « Combattre le populisme, c’est répondre aux attentes du peuple », a-t-il lancé. Et de rappeler : « La République, la nation, la laïcité, c’est la gauche ». La veille, le co-président du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon, lui avait une nouvelle fois reproché d’être « contaminé » par les idées de Marine Le Pen et de reprendre « les mots infâmes de l’adversaire ».

Mais pour quelles raisons la gauche semble-t-elle obsédée par le Front national ? Eléments de réponses avec le journaliste et écrivain André Bercoff. Entretien.

JOL Press : Le FN semble être au cœur des préoccupations du PS et du Front de Gauche. La gauche a-t-elle raison de consacrer autant de temps et d’énergie à la montée de l’extrême droite ?
 

André Bercoff : Au lieu de consacrer autant d’énergie à se suspecter mutuellement de « faire le jeu » du FN, les hommes et les femmes politiques de gauche devraient plutôt s’interroger sur les raisons de la montée du Front national. Il y a 60 ans, George Orwell, un écrivain qui s’est battu, les armes à la main, contre le fascisme, affirmait : « Quand l’extrême-droite monte, la gauche doit se poser des questions sur sa propre responsabilité ».

Je crois que la gauche devrait commencer à « balayer devant sa porte », car si le FN monte c’est qu’il y a eu de sa part des oublis complets de toute une partie de la population. Faire la publicité du FN du matin au soir ne résout rien.

JOL Press : Sur quels terrains la gauche a-t-elle fait défaut ?
 

André Bercoff : La gauche a oublié toute une partie de la France précaire. On dit que les endroits les plus pauvres de France, ce sont les banlieues. Très bien, mais on oublie le Cantal, la Creuse, d’autres régions où certains Français sont en très grande difficulté. Ces gens qui ont été traités de « beaufs », de « Dupont Lajoie », de « réacs » et dont on se moquait complètement à gauche, comme à droite, ont eu l’impression d’être écartés des préoccupations des hommes politiques. Sans autres perspectives, ils vont voter Front national parce qu’on les a abandonnés.

JOL Press : Marine Le Pen ne serait-elle pas la principale bénéficiaire de toute cette communication de la gauche ? Elle proposait ironiquement, la semaine dernière, à Jean-Luc Mélenchon de devenir responsable de la communication de son parti…
 

André Bercoff : Ce qui est très gênant dans ce discours, c’est qu’à part se dénoncer mutuellement dans une bataille d’egos de plus en plus clownesque, la gauche ne propose pas de solutions et n’examine pas le problème de façon efficace. Les politiques aujourd’hui se préoccupent beaucoup plus de leurs images que de leurs arguments. Où sont les idées ? Sur les retraites, on entend tout et son contraire. Sur la taxe carbone, ce n’est pas plus clair. On dirait des enfants jouant dans une cour d’école. Chacun fait son numéro mais personne ne se remet en question. Résultat : les Français ne pensent plus que la politique pourrait résoudre quoique ce soit.

Je ne sais pas si Marine Le Pen va en bénéficier, mais force est de constater que depuis des années la majorité des ouvriers votent FN. Ce n’est pas anodin. Et au lieu de les insulter, la gauche doit se poser la question des raisons profondes de ce changement.

JOL Press : Entre le réalisme de Manuel Valls, très critiqué dans son propre camp, et l’angélisme d’un Harlem Désir, quelle politique mener pour lutter efficacement contre le FN ?
 

André Bercoff : La politique la plus juste est celle qui s’occupe de tous les Français. La gauche ne doit pas donner l’impression à une partie de la population que ses préoccupations ne l’intéressent pas. On ne lutte contre les extrémismes, quels qu’ils soient, qu’en se montrant attentifs aux problèmes rencontrés par l’ensemble de la population, pas ceux d’une minorité, mais ceux de tous les Français. Personne ne doit se sentir délaissé. Le reste est  communication : « Litres et ratures ».

JOL Press : La montée de l’extrême-droite est-elle une réalité ou un thème souvent abordé car il permet de mettre tout le monde d’accord ?
 

André Bercoff : Il faut, pour commencer, arrêter avec les clichés. Tous ces fantasmes sur la montée de l’extrême-droite ne sont plus d’actualité. On est en 2013 ! Qui sont les extrémistes aujourd’hui ? Il existe de nouveaux extrémismes, de nouveaux racismes… Ce qui me fascine et me navre, en même temps, c’est que cette question de l’extrême-droite est traitée comme si on était encore dans les années 30. C’est grotesque ! Le Front national a aujourd’hui peu de choses à voir avec le fascisme des années 30. Parler de « peste brune » en 2013 n’a aucun sens. Pourquoi ne parle-t-on pas des nouveaux intégrismes communautaires, qui sont des extrémismes au moins aussi préoccupants que le Front national ?

Cette dénonciation de la montée du FN est le refuge facile de ceux qui n’ont rien à dire et rien à proposer. Mais de quoi parle-t-on ? Ce que les Français souhaitent ce sont des propositions concrètes à leurs frustrations et des réponses face à la mondialisation, à la crise, à la dette, aux tensions au Moyen-Orient…

JOL Press : Pensez-vous que, dans ce contexte, le front républicain ne sera plus efficace aux municipales ?
 

André Bercoff : Je crois que le front républicain a déjà volé en éclat. Je ne peux pas deviner ce qui se passera en 2014 mais, quand on voit les désaccords entre les communistes et Jean-Luc Mélenchon, on se rend compte que le paysage politique a implosé et pas uniquement à gauche. Le front républicain ne peut pas fonctionner car le FN n’est plus seul dans la course aux extrémismes. Une chose est sûre : ce n’est pas en disant que tel ou tel « fait le jeu » de Marine Le Pen qu’on luttera efficacement contre le Front national. Les Français se moquent de ces querelles, ils veulent juste savoir dans quelle direction le pays se dirige et surtout s’il y aura un jour un pilote dans l’avion.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

André Bercoff est écrivain, journaliste et homme de télévision. Depuis son livre, L’Autre France, en 1975, il est l’auteur d’une trentaine de romans et d’essais, dont Qui choisir (2012 – First éditions) ou Moi, Président… (2013 – First éditions).

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