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Pourquoi plus personne (ou presque) ne soutient les Frères musulmans?

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En Arabie Saoudite comme aux Emirats Arabes Unis, les dernières semaines égyptiennes ont été vues d’un bon oeil, tout comme le coup d’Etat qui avait évincé le président Mohamed Morsi, il y a plus d’un mois. Au Maghreb, les réactions ont été plutôt mitigées et personne ne s’est jamais aventuré à soutenir les islamistes au pouvoir. Seuls les Américains et les Européens ont tenté, avec pragmatisme, de défendre la démocratie et le successeur élu d’Hosni Moubarak. Mais encore une fois, c’est le pragmatisme qui gagnera encore de ce côté-là, et les Frères musulmans n’en seront pas les bénéficiaires. Explications avec Barah Mikail, directeur de recherche pour le think tank Fride.

Depuis le coup d’Etat qui a renversé Mohamed Morsi et durant ces dernières semaines, les pays voisins de l’Egypte ne sont absolument pas intervenus en faveur des Frères musulmans déchus. Pourquoi si peu de soutiens dans la région, notamment parmi les pays du Golfe ?
 

Barah Mikail : Quand on parle des pays du Golfe, il faut établir une nuance dans le cas du Qatar dont le soutien aux Frères musulmans est véritablement assumé.

En revanche, l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, deux acteurs qui dès le début ont été très méfiants vis-à-vis de la confrérie, ont très logiquement soutenu, même implicitement, la situation.

Ce soutien a même augmenté du fait du soutien assumé du Qatar. L’Arabie Saoudite a notamment appelé à ne pas interférer dans les affaires égyptiennes, ce qui a été perçu comme un soutien officiel aux actions de l’armée.

L’Arabie Saoudite a toujours craint la confrérie et redouté que la crise égyptienne ne devienne contagieuse et dangereuse pour le régime.

Peut-on alors dire que se joue en Egypte un duel opposant le Qatar et l’Arabie Saoudite ?
 

Barah Mikail : Il y a en effet un duel indirect mais celui-ci ne se matérialise pas uniquement dans le cas égyptien.

En Syrie notamment, cette confrontation est également vive et l’évolution actuelle des forces en présence tend à le prouver. L’Arabie Saoudite a été récemment promue pour travailler à l’évolution des perspectives avec les rebelles syriens, fonction à laquelle s’employait jusqu’ici le Qatar.

L’Egypte concrétise donc un des aspects les plus parlants de cette situation. Mais en réalité, le duel qui oppose ces deux monarchies est beaucoup plus complexe et se définit à de multiples niveaux, diplomatiques, politiques mais également économiques.

En quoi ces récents événements bouleversent aujourd’hui la diplomatie égyptienne ?
 

Barah Mikail : On ne peut pas réellement parler de bouleversement en Egypte. L’armée a décidé de prendre les commandes du pouvoir mais cela fait maintenant longtemps, durant la présidence de Mohamed Morsi, qu’une partie très visible des Egyptiens appelait l’armée à intervenir.

De son côté, l’armée ne voulait pas agir et préférait rester en coulisse. Tout le monde savait pourtant qu’elle avait les moyens d’une intervention.

Nous savons désormais que l’on ne peut pas mettre l’armée et la force de son rôle de côté.

Même lorsqu’un pays évolue vers la démocratie, rien n’est jamais acquis.

L’actualité égyptienne est une grande leçon, elle montre que lorsque l’armée veut agir, elle écarte automatiquement le processus démocratique.

Au Maghreb, comment réagissent les diplomaties face à la nouvelle donne égyptienne ?
 

Barah Mikail : Les réactions sont très nuancées. Le Maroc a suivi la rhétorique de certains pays du Golfe, d’autant que les islamistes qui tiennent le gouvernement marocain sont également dans une situation d’échec politique et le pouvoir voit d’un assez bon œil ce qui se déroule en Egypte.

L’Algérie a toujours été partisane de la non-ingérence dans les affaires étrangères. Les Algériens ont déjà ont déjà eu leur histoire avec les islamiste et n’ont donc pas entièrement mal perçu le coup d’Etat mené par l’armée.

En Tunisie, le président Moncef Marzouki s’est exprimé en affirmant que la situation égyptienne appelait les Tunisiens à se montrer également vigilants.

Quant à la Libye, il n’y a pas eu de réjouissement officiel mais les Libyens auraient fait connaître leur mécontentement ou leur déception si tel avait été le cas.

Finalement, rien de tout cela n’est réellement vu d’un œil négatif au Maghreb et même si les réactions de chacun de ces pays paraissent similaires, chacun d’entre eux base cependant sa lecture sur les requis de ses propres intérêts nationaux.

L’Occident semble pour sa part assez timide. Où sont les intérêts des pays européens et des Etats-Unis ?
 

Barah Mikail : Il y a une forme d’ambiguïté dans les réactions occidentales. Les Etats-Unis se sont trouvés en plein cafouillage. Personne ne les a entendu soutenir l’armée donc tout le monde a estimé que les Américains soutenaient les Frères musulmans mais derrière cette position, il y a d’abord une volonté de ne pas tomber dans la contradiction.

En effet, les Etats-Unis se sont réjouis de la chute d’Hosni Moubarak, des élections législatives et de l’arrivée d’un président démocratiquement élu, ils ne peuvent pas, aujourd’hui, revenir sur cette position.

Ils menacent de suspendre l’aide financière qu’ils accordent à l’armée mais finalement c’est sans doute le pragmatisme qui l’emportera car les Etats-Unis ont avant tout besoin d’une stabilité égyptienne et pour cela, il ne faut absolument pas que le pays s’effondre et puisque l’armée est la colonne vertébrale de l’Egypte, les Américains devraient vraisemblablement soutenir l’armée.

Quant à l’Union européenne, qui s’est récemment réunit pour éclaircir la bonne position à adopter, elle ne souhaite pas non plus être en contradiction avec la posture moraliste qu’elle a tenu depuis le début de la révolution égyptienne et la chute d’Hosni Moubarak. L’Europe fera donc également preuve de pragmatisme.

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