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Quand les rues du Caire explosent, le Sinaï s’enflamme

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Dans la journée de lundi 19 août, 25 policiers ont été tués dans une attaque à la roquette qui a ciblé deux minibus des forces de police provenant de la ville d’Al Ariche située au nord du Sinaï et à destination de Rafah, lieu où se trouve l’unique point de passage vers la bande de Gaza, selon une annonce du ministère égyptien de l’Intérieur. Deux policiers ont également été blessés au cours de cette attaque.

Les attaques se succèdent au Sinaï, comme en écho à la crise qui secoue l’Egypte depuis plus d’un mois. Explications avec Jean Marcou, directeur des relations internationales à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

Alors que le Caire est toujours en pleine crise, le terrorisme se développe dans le Sinaï. Y-a-t-il un lien entre ces deux situations ?
 

Jean MarcouLa situation tendue dans le Sinaï n’est pas nouvelle. Avant même la révolution, la situation y était déjà explosive et les activistes les plus radicaux n’ont pas attendu les événements actuels pour agir et tenter de mettre l’Egypte dans une situation difficile. Lorsqu’Hosni Moubarak était au pouvoir, il lui a souvent été reproché de collaborer avec Israël.  Depuis la révolution, la question du changement de la politique égyptienne vis-à-vis d’Israël a été posée et pourtant rien n’a vraiment changé.

Aujourd’hui des groupes et des individus  continuent bien sûr à désirer ce changement, mais je ne suis pas sûr qu’il y ait un lien direct entre ce qui se passe au Caire et ce qui se passe dans le Sinaï. Ce n’est d’ailleurs pas le cœur du problème actuellement.
Qui sont ces djihadistes qui agissent dans le Sinaï ? Et que veulent-ils ?
 

Jean MarcouCe sont les mêmes djihadistes qui avaient déjà agi l’année dernière à peu près à la même période. Le 5 août 2012, un assaut contre un poste-frontière israélien avait fait plusieurs morts, signant ainsi le bilan le plus meurtrier depuis les accords de paix israélo-égyptiens de 1979.

A l’époque, cet attentat avait provoqué un fiasco politique de taille et le président de l’époque, Mohamed Morsi, avait alors limogé le maréchal Hussein Tantaoui, qui était chef de Conseil suprême des forces armées.
 
Ces mouvements agissent aujourd’hui pour pousser à une remise en cause des liens avec Israël. La situation est également explosive en raison de la présence des Bédouins qui ont souvent contesté la politique menée à leur égard par les régimes antérieurs. On a même évoqué la participation des Bédouins à certains attentats, mais personne  n’a jamais pu établir leur réel degré d’implication…
L’année de mandat des Frères musulmans a-t-elle aggravé la situation dans le Sinaï ?
 

Jean Marcou : On peut dire que cette situation s’est maintenue telle qu’elle était. La région du Sinaï a connu de grandes difficultés il y a un an, lors de la prise de pouvoir des Frères musulmans.

Néanmoins l’instabilité s’est révélée croissante durant l’année qui s’est écoulée.

L’armée a-t-elle désormais les mains libres pour agir ?
 

Jean MarcouL’armée va probablement agir plus intensément car elle tentera absolument de maintenir les relations en l’état avec Israël.

On peut penser qu’elle aura la volonté de mener une action encore plus déterminée contre les islamistes qui sévissent dans la région.  Elle aura à cet égard les coudées plus franches que les Frères musulmans pris entre leur hostilité à l’Etat d’Israël et le réalisme dont ils devaient faire preuve lorsqu’ils étaient au pouvoir en respectant le statu quo établi.
Les Etats-Unis menacent de suspendre leur aide financière destinée à l’armée égyptienne. Cette menace pourrait-elle inciter l’armée à agir dans le Sinaï afin de préserver cette précieuse stabilité avec Israël ?
 

Jean MarcouJe ne pense pas que la menace américaine de suspendre son aide, en particulier son aide militaire, vise à dissuader l’Egypte de changer de politique à l’égard d’Israël. Comme je vous l’ai dit précédemment la question d’un changement de politique ne s’est jamais véritablement posée. Au pouvoir pendant un an, les Frères musulmans ont maintenu le statu quo qui s’était établi avec les Israéliens depuis les accords de Camp David en 1979. C’est d’ailleurs entre autres pour cela que Mohamed Morsi a bénéficié jusqu’au bout d’un fort soutien de Washington.

Avec le nouveau gouvernement provisoire égyptien dominé par l’armée, il y a encore moins de chance pour que la paix avec Israël, établie il y a maintenant près de 35 ans, soit remise en cause. La menace américaine de rétorsion concerne en réalité surtout la répression sanglante conduite par le gouvernement égyptien, qui a fait plus de morts en 5 jours, que pendant les 18 jours de la révolution qui, en janvier-février 2011, a renversé le régime d’Hosni Moubarak.

Actuellement, des voix s’élèvent avec insistance aux Etats-Unis pour demander la remise en cause de l’aide américaine. Les Etats-Unis sont en fait pris entre des principes qui les incitent à ne pas cautionner un gouvernement qui procède à une répression massive contre une population civile. Pourtant, ils ont besoin de garantir leur présence au Moyen Orient et leur lien profond avec l’Egypte, pays stratégiquement essentiel, en raison de la présence du Canal de Suez et de la position centrale de ce pays au sein du monde arabe.
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