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Alliances avec le FN: «François Fillon a commis une lourde erreur tactique»

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Les réactions se sont multipliées à l’UMP depuis que François Fillon a conseillé « de voter pour le moins sectaire », en cas de duel FN/PS aux municipales. « C’est l’avenir de l’UMP qui est en jeu si on la laisse dériver vers l’extrême droite », a confié au Figaro, Jean-François Copé.  « Je pense à nos candidats aux municipales : la banalisation du vote FN peut être ravageuse pour eux alors qu’à l’inverse, si on refuse les compromissions tout en ne lâchant rien sur la droite décomplexée, on gagnera.»

« Les déclarations de François Fillon divisent et affaiblissent l’UMP », a déploré Xavier Bertrand, dimanche, dans le « 12-13 Dimanche », sur France 3. « Ses propos sont graves », a-t-il poursuivi. « Je reste fidèle à ma vision du séguinisme, d’une droite qui parlait à tous mais qui refusait toute alliance avec le FN », a-t-il ajouté.

« La position de l’UMP doit rester claire. Ni PS ni FN, ni défaitisme ni trahison de nos valeurs », a déclaré le vice-président de l’UMP, Luc Chatel, sur radio J. « Pas question de faire la courte échelle a ceux qui veulent nous siphonner ! Défendons nos couleurs et nos valeurs ».

Comment expliquer un tel positionnement politique de la part d’un homme qui a toujours refusé toute alliance avec le parti d’exrême-droite ? Eléments de réponse avec Liliane Delwasse, auteure de Dr Fillon et Mr Sarkozy (Archipel, 2012). Entretien.

JOL Press : François Fillon a-t-il « joué avec le feu », pour reprendre les mots de Jean-Marc Ayrault ?
 

Liliane Delwasse : François Fillon a été imprudent. Je ne sais pas si c’était volontaire ou un glissement sémantique mais, en effet, il a joué avec le feu. Un ancien Premier ministre qui met le FN sur le même plan que le Parti socialiste, c’est dangereux. Je pense qu’il a choisi de ne pas exclure les électeurs du FN, mais le résultat est catastrophique. Il est en train de mettre, une nouvelle fois, le feu à l’UMP. Or après ce qui c’était passé l’année dernière, le parti n’avait pas besoin de cette polémique. Les réactions ont été extrêmement violentes dans la majorité mais aussi dans son propre camp.

François Fillon est sur une pente assez périlleux en matière de communication. Ce dérapage arrive après la publication dans Paris Match de photos de sa famille dans son manoir familial de Solesmes. « Je veux qu’on me voit comme je suis. Je n’ai pas besoin de m’inventer une image », a-t-il justifié. On lui a longtemps reproché d’être trop dans la retenue, il a donc dû vouloir aller à l’extrême dans l’autre sens, mais ce n’est pas très malin, en matière de communication. Georges Pompidou avait dit à Jacques Chirac, à propos du Château de Bity : « Quand on prétend faire de la politique, on s’arrange pour ne pas avoir de château, sauf s’il est dans la famille depuis au moins Louis XV ».

JOL Press : Les membres de l’UMP dénoncent unanimement la sortie de François Fillon. Pourquoi la question des alliances avec le FN est-elle si sensible ?
 

Liliane Delwasse : Parce que le FN séduit de plus en plus les électeurs de l’UMP. Avec la ligne Buisson, sur des tas de sujets, l’UMP n’est pas en contradiction avec le FN. L’ancien parti de la majorité peut très bien se disloquer entre les sympathisants proches du FN et ceux qui seraient proches du centre. L’équilibre est très fragile.

JOL Press : Qu’est-ce qui aujourd’hui différencie radicalement le FN de l’UMP ?
 

Liliane Delwasse : Ce ne sont pas les mêmes partis, les mêmes idéaux, la même histoire. Sur l’Europe, le FN et l’UMP sont parfaitement aux antipodes. L’UMP est un parti profondément européen qui a beaucoup œuvré pour la construction européenne quand le FN défend l’idée d’une sortie de la zone euro. En matière économique aussi, les uns défendent une certaine idée du libéralisme quand les autres plaident pour plus de protectionnisme.

Aujourd’hui l’UMP n’a pas le choix, soit elle décide de défendre une politique du « tout sauf le FN », soit elle va droit à sa perte. En banalisant les alliances avec le Front national, François Fillon met les électeurs de son parti dans la plus grande confusion. Bien sûr que pour les municipales il y aura des alliances entre le FN et l’UMP localement – il y en a toujours eu – mais là, les vannes sont ouvertes pour en faire davantage. Allez définir « le moins sectaire »… Faire des alliances avec le FN, c’est légitimer le FN.

JOL Press : Fillon n’est-il pas allé sur ce terrain-là car il s’est rendu compte que la diabolisation ne servait plus à rien ?
 

Liliane Delwasse : C’est certainement ce qui l’a poussé à faire cette déclaration mais c’est, à mon avis, une erreur stratégique. Il aurait pu dire qu’il ne confondait pas le parti et ses électeurs – la conjoncture économique, les impôts, le chômage, la montée de l’insécurité peuvent entraîner une tentation du vote FN – mais ce n’est pas ce qu’il a dit. Faire croire que certains élus FN seraient moins « sectaires » que des socialistes c’est oublier que la dédiabolisation n’est qu’apparente. Marine Le Pen n’est jamais vraiment officiellement revenue sur les sorties antisémites de son père, par exemple.

JOL Press : Tout ceci ne donne-t-il pas l’impression que l’UMP est en grande faiblesse à quelques mois des municipales ?
 

Liliane Delwasse : Si, assurément. Au regard des sondages, l’UMP ne profites pas du rejet du gouvernement. Ce que je ne comprends pas c’est pourquoi le centre ne renaît pas de ses cendres plus rapidement. L’UMP est en véritable décomposition. Le parti a réussi à solder sa dette de 11 millions d’euros, après l’invalidation des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy, mais moralement entre les « fillonistes » et les « copéistes » il existe un fossé que rien n’a comblé.

Les députés et les sénateurs, sur le terrain, n’ont pas oublié, ni pardonné. Depuis cette élection malheureuse à la présidence du parti, il n’y a pas eu d’apaisement. On peut donc, à bon droit, s’inquiéter pour l’UMP, à quelques mois des municipales. Ces divisions et le manque de résultats du gouvernement vont gonfler les rangs des abstentionnistes mais aussi des électeurs FN.

C’est une lourde erreur tactique qu’a fait Fillon. Depuis des années, ce « cordon sanitaire » qui sépare la droite « républicaine » du FN est un sujet de préoccupation. Mais avec sa déclaration, l’ancien Premier ministre a fait voler en éclat tout ce travail de clarification. C’est ahurissant comme maladresse. D’autant que François Fillon n’est pas homme à regretter ses propos. Nicolas Sarkozy savait reconnaître quand il s’était trompé, pas lui. L’UMP avait payé ses dettes, elle aurait pu espérer sortir de l’ornière creusée par l’élection à la présidence du parti, aujourd’hui tout est à refaire.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Liliane Delwasse, journaliste politique, a collaboré au Monde, à L’Express, au Point, au Quotidien de Paris et au Canard enchaîné. On lui doit notamment Sylviane et Bernadette sont en campagne (avec Frédéric Delpech, Ramsay, 2001) et Quand les femmes prennent le pouvoir (Anne Carrière, 2006).

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