Site icon La Revue Internationale

Colombie: la révolte paysanne secoue le pays

daniel_pecaut.jpgdaniel_pecaut.jpg

[image:1,l]

Depuis le 19 août dernier, une vague d’indignation et de colère secoue la Colombie. Le paysans dénoncent notamment les Traités de libre échange qui engendrent l’importation de produits agricoles plus compétitifs.

Face au mécontentement des paysans colombiens, le président Juan Manuel Santos a décidé le 30 août dernier de militariser Bogota et de déployer 50 000 soldats. « (…) J’ai ordonné la militarisation de Bogota et je ferai de même dans toute municipalité ou région où la présence de nos soldats sera nécessaire » a déclaré le chef d’Etat. Le point sur la situation avec Daniel Pécaut, spécialiste de la Colombie.
 

JOL Press : Pourquoi la situation explose-t-elle seulement maintenant ?
 

Daniel Pécaut : Ce qu’il se passe actuellement en Colombie est lié à la conjoncture des négociations à la Havane. Les mouvements sociaux, qui ne pouvaient pas s’exprimer depuis de nombreuses années parce que les mouvements armés étaient omniprésents, se réveillent aujourd’hui. C’est un ensemble de revendications différentes qui se conjuguent pour créer cette agitation paysanne extrêmement forte dans un pays qui n’est pas habitué à ce que les revendications sociales soient exprimées.  

JOL Press : Comment le mouvement dit paysan est-il né ?
 

Daniel Pécaut : Le mouvement dit paysan a débuté il y a un mois dans une zone d’exploitation pétrolière et de culture de coca près du Venezuela. Cela a été relativement violent : il y a eu plusieurs morts et des dizaines de blessés.

Le gouvernement a promis en cas d’accord avec la guérilla, la constitution de zones de réserves paysannes : des zones avec une administration relativement décentralisée et dans lesquelles les grandes exploitations capitalistes rurales ne pourraient pas s’implantées. Les guérillas des FARC jouent beaucoup  sur l’idée de réalisation de zones de réserves paysannes sur le territoire colombien avec l’espoir qu’elles pourront y avoir une influence extrêmement  importante. 

 A cela, s’est adjoint des révoltes des mineurs informels dans la mesure où la Colombie est devenue depuis quelques temps un pays d’exploitation de petites mines – notamment de mines d’or qui sont souvent sous contrôles de groupes illégaux comme les guérillas ou les groupes paramilitaires. Le gouvernement a voulu règlementer cette exploitation de mines, c’est ce qui a provoqué cette effervescence parmi la population de mineurs très importante en Colombie.  

Mais pour comprendre la situation actuelle, il faut également ajouter les revendications des zones de paysans pauvres, dans lesquelles les guérillas ne sont pas implantées. Avec le cours des matières premières dans une zone près de Bogota –  très conservatrice – avec l’effondrement des prix de la pomme de terre. Ce sont des paysans pauvres qui vivaient de la pomme de terre et qui en partie à cause du Traité de libre commerce et de l’importation de pomme de terre venant d’autres pays, les prix se sont effondrés, et c’est là qu’il y a eu des mouvements extrêmement durs alors qu’il s’agit de la paysannerie la plus conservatrice du pays.  

Dans d’autres régions, comme celle du café, se juxtaposent les revendications des paysans cultivateurs de café dont les prix se sont également effondrés et des riches commerçants qui sont poussés par des courants d’extrême droite. Contre le gouvernement de Juan Manuel Santos, il y a à la fois la pression des mouvements sociaux, la pression des guérillas qui négocient à La Havane et qui veulent mettre le gouvernement en difficulté et la pression de l’extrême droite totalement opposées aux négociations qui se déroulent à Cuba avec l’ancien président Alvaro Uribe.

JOL Press : Il s’agit de l’une des crises les plus importantes depuis que Juan Manuel Santos est au pouvoir : quels sont les points sur lesquels le président colombien pourrait-il céder ?
 

Daniel Pécaut : Ce n’est pas différent de la France, il s’agit d’un mouvement paysan. Il y a une situation d’extrême polarisation en Colombie à cause des négociations : on assiste à des mouvements paysans extrêmement forts comme ils pourraient y en avoir dans le Languedoc ou dans n’importe quel autre pays lorsque les prix chutent.

Dimanche 1er septembre, le gouvernement a affirmé qu’il était en train d’arriver à une solution avec les mineurs sur les conditions d’exploitation des mines d’or et des autres mines informelles. Dans les zones de café, le problème a été plus ou moins réglé même s’il y a une extrême droite très forte.

Concernant le problème de la construction des zones de réserves paysannes, c’est un projet qui va être au coeur de l’actualité les mois qui viennent, et qui est complètement dépendant de ce qu’il se passe à La Havane. Les Farcs jouent tout sur la possibilité d’être influents dans les futures zones de réserves paysannes aussi bien dans le sud de la Colombie – régions influencées par les guérillas – que dans d’autres régions. 

Quitter la version mobile