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JO de Sotchi 2014: la Russie ne recule devant rien

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JOL Press : Quels enjeux politiques et économiques représentent les Jeux Olympiques de Sotchi pour la Russie ?
 

Eric Monnin : Il faut d’abord rappeler que c’est la première fois que la Russie accueille les Jeux Olympiques d’hiver. Et la dernière fois qu’elle a accueilli les JO d’été, en 1980 à Moscou, cela avait été très controversé : 64 nations avaient boycotté.

Les JO d’hiver n’ont incontestablement pas la même importance que les JO d’été. Les Jeux que l’on a vécus à Londres en 2012 sont des Jeux ayant un retentissement mondial. Les Jeux d’hiver sont des jeux que l’on appelle « familiaux ». L’importance est moindre : à Londres, il y avait par exemple près de 11 000 athlètes. À Sotchi, il y en aura 2 500.

Donc lorsqu’on parle de retentissement des JO d’hiver, il faut se méfier : nous ne sommes pas dans une logique de « gigantisme » comme en été. Les JO d’hiver, c’est avant tout une histoire européenne. Par exemple, lors des JO de Vancouver en 2010, ceux qui ont remporté presque toutes les médailles ne sont que des Européens et presque exclusivement des Allemands.

Par ailleurs, il y a concernant Sotchi des enjeux politiques et économiques très importants : ce seront les Jeux les plus chers de l’histoire. Les Jeux d’Athènes en 2004 ont coûté environ 11 milliards d’euros selon les estimations, ce qui représente déjà une somme gigantesque. Les Jeux de Russie vont coûter environ 36 milliards d’euros. Même lors des Jeux d’été, nous ne sommes jamais arrivés à ce niveau-là !

JOL Press : Pourquoi la Russie dépense-t-elle autant d’argent ?
 

Eric Monnin : D’abord parce que nous ne serons pas loin du Caucase, donc le budget de sécurité dépasse tout l’entendement (1,4 milliard d’euros). Sur le plan économique, c’est effectivement du jamais vu. Mais il y a aussi un objectif politique : les Jeux se positionnent dans ce qu’on appelle le « Programme fédéral 2006-2014 pour le développement de Sotchi », mis en place par la région de Krasnodar.

Sotchi, qui jouit d’un climat subtropical, est la Riviera ou la Côte d’Azur russe – même si les pistes de ski se trouvent juste à côté. L’objectif a été de transformer cette station thermale en une station de classe mondiale. D’un point de vue politique, la Russie veut développer cette région pour montrer la grandeur de cette station mais aussi pour envisager d’autres manifestations à caractère international.

À la suite des Jeux se dérouleront en effet deux événements fondamentaux en Russie : la Coupe du monde de football en 2018, dont une partie se déroulera à Sotchi, et le Grand Prix de Formule 1 en 2014. Un circuit est donc en construction à Sotchi et fait le tour d’Olympic Park, là où vont se dérouler les JO.

Nous ne sommes donc pas dans une logique de « Jeux pour les Jeux », mais vraiment dans une logique plus large de développement de cette Riviera caucasienne à long terme, dans le but – un peu comme le Qatar – de permettre un développement économique du pays par le sport, et de montrer la grandeur de la Russie.

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JOL Press : Les Jeux Olympiques ont régulièrement fait l’objet de polémiques. Sont-ils finalement des « tribunes politiques » ?

Eric Monnin : Il y a trois événements dans le monde qui sont regardés : les Jeux Olympiques – d’été –, la Coupe du monde et le Tour de France. Les personnes qui veulent faire entendre leurs revendications peuvent se servir de cette vitrine médiatique planétaire que sont les Jeux Olympiques, comme on l’a vu en 1968 avec les Black Panthers sur le podium de Mexico, avec l’attentat de Munich en 1972, et avec différents types de boycott dans les années 80-84. L’objectif est bien de saisir une opportunité de revendiquer.

En 2008 en Chine, certains appelaient au boycott des JO de Pékin. Mais il n’a pas fonctionné. En fait, on s’aperçoit aujourd’hui que l’on n’est plus vraiment dans cette logique de boycott ou de démonstration de son désaccord. L’histoire des JO se caractérise par trois ères : une ère plus idéologique, une ère plus politique et aujourd’hui, nous sommes entrés dans une ère économique.

Donc boycotter les JO, ou simplement montrer son désaccord, c’est aussi prendre le risque de s’attirer les foudres de la guerre, puisque l’on n’obtiendra pas tel ou tel marché économique. Aujourd’hui, on veut participer aux JO aussi pour entretenir ou créer des liens économiques.

JOL Press : Surtout quand il s’agit de pays émergents comme la Russie ou la Chine, car les pays ont tout intérêt à ne pas se les mettre à dos…
 

Eric Monnin : Absolument. Les choses sont simples : en 2007, un an avant les JO de Pékin, la Chine avait un taux de croissance qui frôlait les 14 %. A-t-on intérêt à montrer son désaccord avec des pays comme ceux-là ? Je ne crois pas. C’est là que le côté idéologique ou politique est délaissé au profit d’une logique vraiment économique.

Par ailleurs, la Russie ne veut reculer devant rien pour montrer sa parfaite maîtrise technologique – elle a notamment créé plusieurs pistes de ski en faisant appel aux meilleurs concepteurs comme Bernhard Russi – et veut montrer qu’elle a les capacités de créer des infrastructures nouvelles et surtout de classe mondiale. Elle ne se refuse rien pour accéder à l’excellence.

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JOL Press : Pensez-vous que les Jeux Olympiques sont en train de perdre leur esprit sportif pour entrer dans une logique du « tout marketing » ?
 

Eric Monnin : Je tournerai la chose autrement. On a affaire aujourd’hui à de vrais athlètes professionnels, contrairement aux années 70 où l’amateurisme était de mise, et où les sportifs ne venaient pas pour être payés. Depuis le Congrès de Baden Baden en 1980, on a officialisé le professionnalisme. Est-ce que cela dénature pour autant les JO ? Je ne pense pas. Nous sommes, comme je l’ai dit, dans une nouvelle ère, économique.

En plus de cela, il y a des exigences du point de vue sécuritaire, des infrastructures, et c’est pour cela aussi que les JO coûtent cher. Aujourd’hui, on veut mondialiser l’économie, et cette mondialisation économique touche également le sport.

JOL Press : Quelles sont les valeurs véhiculées par les Jeux Olympiques ?
 

Eric Monnin : Cela peut paraître très utopique, mais on s’aperçoit qu’il y a effectivement certaines valeurs transmises lors des Jeux.

À l’ONU, il y a 193 nations qui siègent. Au CIO, il y a plus de 200 nations qui sont reconnues. Quand vous êtes aux Jeux d’été, toutes ces nations qui défilent ensemble ! La Corée du Nord et la Corée du Sud défilent dans le même stade…

On voit des choses très surprenantes, qu’on ne verrait peut-être pas à l’ONU ou ailleurs dans le monde… Donc une des valeurs très importantes à mon sens, c’est qu’on a une certaine unité : tout le monde se côtoie dans le même village olympique. Au-delà du côté fraternel, joyeux, c’est vraiment l’unité et l’universalité qui l’emportent.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Eric Monnin est maître de conférences à l’Université de Franche-Comté, docteur en sociologie, agrégé d’éducation physique et ancien judoka. Il est l’auteur de De Chamonix à Sotchi, un siècle d’olympisme en hiver, Éditions Désiris, 2013. Il a reçu cette année la médaille Pierre de Coubertin des mains de Jacques Rogge, président du Comité International olympique.

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