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La France est la première à bloquer le débat sur le désarmement nucléaire

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L’Assemblée générale des Nations Unies, réunie en session ordinaire depuis le 17 septembre, se penche cette année sur le désarmement nucléaire. Un sujet qui divise, mais qui semble réunir les bonnes volontés, au moins de façade, des pays nucléarisés.

Il semble d’ailleurs que les Nations Unies aient décidé de reprendre la main sur ce dossier pour engager un débat de fond qui aboutisse à une décision concrète et, pourquoi pas, à la signature d’un traité. Explications avec Patrice Bouveret, directeur de l’Observatoire de l’armement, un centre d’expertise et d’information indépendant.

Où se trouvent les armes nucléaires sur la planète ? Quels sont les pays aujourd’hui les plus nucléarisés ?
 

Patrice Bouveret : Les deux pays les plus nucléarisés du monde sont sans aucun doute les Etats-Unis et la Russie puisqu’à eux deux, ces Etats possèdent 95 % de l’arsenal nucléaire mondial qu’on estime à environ 17 000 têtes nucléaires.

Après les Etats-Unis et la Russie, une deuxième catégorie de pays apparaît, celle des pays autorisés à posséder l’arme nucléaire en raison des clauses du Traité de non-prolifération, et dans laquelle se trouvent la Chine, le Royaume-Uni et la France.

La France possèderait environ 300 têtes nucléaires, soit un peu plus que le Royaume-Uni. Quant à la Chine, bien que les informations soient difficilement accessibles, on estime qu’elle en possèderait également 250.

Puis, dans une dernière catégorie viennent les pays non signataires du Traité de non-prolifération que sont Israël, qui possèderait entre 80 et 200 têtes nucléaires, l’Inde, le Pakistan avec environ une centaine chacun et enfin la Corée du Nord qui, bien que nous n’ayons que très peu d’informations sur son arsenal, serait en possession de moins d’une dizaine de têtes nucléaires.

Estimez-vous que le désarmement nucléaire est vraiment une priorité de la communauté internationale ? Les pays se sentent-ils vraiment concernés ?
 

Patrice Bouveret : Ce sujet devient de nouveau une priorité après être resté dans l’ombre durant plusieurs années. Pendant la Guerre Froide, le risque d’une guerre nucléaire a été au cœur de toutes les préoccupations puis l’attention est retombée ces vingt dernières années.

Mais aujourd’hui, la question émerge de nouveau car les puissances non nucléaires se rendent compte qu’aucun plan de désarmement n’est avancé par les puissances nucléaires malgré leur engagement dans le cadre du Traité de non-prolifération et que la situation tend à stagner. C’est notamment le cas du Mexique ou de la Norvège.

En mars dernier s’est d’ailleurs déroulée à Oslo une réunion concernant les conséquences humanitaires que provoquerait une guerre nucléaire. 127 pays se sont rendus à cette réunion, mais parmi les pays nucléarisés, seuls l’Inde et le Pakistan on fait le déplacement, les cinq puissances nucléaires « officielles » ayant décidé de boycotter la réunion. Et une seconde réunion va se tenir à Mexico en février 2014.

Au niveau des Nations Unies, une résolution a été votée l’année dernière pour la mise en place d’un groupe de travail qui s’est réuni depuis à plusieurs reprises et qui, lors de la réunion de haut niveau qui se déroulera le 26 septembre, devra faire des propositions pour faire avancer ce dossier.

Un espoir se dessine peut-être car pour le moment, le sujet n’est abordé que dans la Conférence du désarmement qui ne fonctionne qu’au consensus et dont les débats sont inévitablement bloqués.

A la suite de cette réunion de haut niveau, des propositions seront soumises à l’Assemblée générale et si nous n’avons pas encore connaissance du contenu du rapport final du groupe de travail de l’ONU sur le désarmement nucléaire, nous savons que de bonnes idées ont été soumises afin que les Nations Unies se réapproprient le dossier.

Car aujourd’hui, il existe des traités internationaux sur les autres catégories d’armes de destruction massive, les mines antipersonnel, les bombes à sous-munition ou même sur le commerce des armes conventionnelles sauf sur l’interdiction des armes nucléaires notamment parce que le débat a toujours été bloqué par les cinq puissances nucléaires et le Traité de non-prolifération n’avance désormais plus.

Qu’en est-il de la position française ? La France s’est souvent vantée d’être très avancée dans son processus de désarmement.
 

Patrice Bouveret : C’est effectivement le message que veut faire passer la France au niveau national. Mais il en est tout autrement à l’international. En effet, la France est la première à bloquer toutes les mesures en faveur du désarmement, affirmant que ce n’est pas un sujet prioritaire, contrairement à la prolifération.

La France a pris quelques mesures à la fin des années 90 mais n’a rien fait depuis. Et actuellement, elle modernise son arsenal, notamment ses sous-marins et sa force aéroportée.

Sous le mandat de Nicolas Sarkozy, la France n’avait pas hésité à dire qu’elle était prête à mener des frappes préventives. Aujourd’hui, le discours du gouvernement a un peu changé et dans le Livre blanc de la Défense, on ne parle plus que de riposte.

Néanmoins, la France modernise encore ses vecteurs, elle prépare les sous-marins de 3e génération, alors que la deuxième génération n’a été mise en service qu’en 2010, elle améliore ses missiles pour qu’ils aient une meilleure portée.

Certes, les Français ne mènent plus d’essais nucléaires, mais ils font de la simulation, tout comme les Etats-Unis.

La France estime que la non-prolifération est un sujet plus grave que le désarmement parce qu’elle voit l’Iran travailler à obtenir une arme et imagine déjà l’Arabie Saoudite, l’Egypte ou encore le Qatar réclamer également leurs armes si la République islamique l’obtient.

Mais la France se trompe, car en plaçant l’arme nucléaire comme moyen de défense ultime, elle favorise la prolifération. Et si elle veut vraiment mettre un terme à ce cercle vicieux, elle devrait mettre en avant un autre système de sécurité et être ouverte à un processus de désarmement qui pourra enclencher une autre dynamique au niveau mondial.

Pensez-vous qu’éliminer l’arme nucléaire de la planète soit vraiment possible ?
 

Patrice Bouveret : A court terme non. C’est un processus long, mais je pense qu’un jour, ce sera possible. Lorsque la pression des opinions publiques sera devenue assez forte, une porte s’ouvrira alors, car ce ne sont pas les Etats nucléarisés qui se trouveront dans l’obligation d’y renoncer.

Or si des mouvements civiques peuvent se développer en Occident, cette dynamique aura plus de difficultés à naître ailleurs et c’est la grande difficulté que nous rencontrerons.

Au bout du compte, l’arme nucléaire n’est pas une arme utilisable. C’est une arme de puissance et si, aujourd’hui, un pays l’utilisait, il serait immédiatement rayé de la carte. L’arme nucléaire perd également tout son rôle si l’ordre mondial actuel est modifié, et notamment si le Conseil de sécurité de l’ONU est élargi, par exemple.

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