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Madagascar: une présidentielle vouée à l’échec?

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L’élection présidentielle malgache se déroulera le 25 octobre, après plusieurs mois d’indécision. Pourquoi autant de difficultés pour organiser ce scrutin ?
 

Jean Frémigacci : Cette élection a été décalée à de nombreuses reprises et je pense que les détenteurs du pouvoir auraient bien aimé repousser encore une fois ce scrutin. Le gouvernement de transition craint pour sa place.

Ces élections ont été très mal organisées. Un critère l’exprime avec évidence, il s’agit du nombre d’électeurs inscrits. Il y a environ 7 millions d’électeurs, pour une population qui dépasse 20 millions d’habitants. Comme plus de la moitié de ces 20 millions ont plus de 18 ans, on peut présumer qu’il y a environ 3 millions de Malgaches qui ne figurent pas sur les listes électorales.

D’autre part, le délai d’attente entre le vote et les premiers résultats, qui s’annonce très long, présage déjà de fraudes dans les urnes.

Peut-on néanmoins espérer un résultat positif au terme ces élections ?
 

Jean Frémigacci : Bien évidemment non. Il y a peu de chance de voir ce résultat accepté par l’ensemble des candidats. Un grand nombre de candidats espèrent décrocher la magistrature suprême. À Madagascar, le pouvoir donne tout. D’énormes dépenses électorales sont faites pour soudoyer les électeurs et beaucoup ont procédé à un investissement important à l’occasion de ces élections, pour s’exposer, ils n’ont pas l’intention de perdre leur mise.

Il faut donc s’attendre à de virulentes contestations de la part de certains politiciens très engagés qui auront dépensé beaucoup d’argent en pure perte et qui seront confrontés à la nécessité de se refaire. En 2001, le conflit entre Marc Ravalomanana et Didier Ratsiraka avait débouché sur une quasi-guerre civile. Marc Ravalomanana avait proclamé sa victoire, à la majorité absolue dès le premier tour, très tôt, tout simplement parce qu’il avait dépensé tellement d’argent au premier tour, qu’il n’avait plus les moyens de financer un second tour.

Le contexte actuel est-il favorable à une telle contestation ?
 

Jean Frémigacci : La situation actuelle est éminemment plus favorable à la contestation puisque parmi ce grand nombre de candidats, aucune personnalité charismatique n’a émergé. Un très grand nombre sont déjà discrédités parce qu’ils ont profité, non pas simplement de la crise des quatre dernières années, mais de la crise des trente dernières années.

De nombreux candidats ont été mouillés dans les régimes précédents, d’autres ont été de mèche avec Marc Ravalomanana. Enfin, il y a pour finir, des candidats qui figurent sur la liste des 109 personnes qui ont trempé dans le coup d’Etat de Andry Rajoelina contre Marc Ravalomanana en 2009, et qui avaient formé la nouvelle oligarchie au pouvoir. Dans la presse locale, il y a des appels à éliminer ces candidats.

Ce scrutin se déroule dans un contexte extrêmement malsain et dangereux.

Comment expliquez-vous cette instabilité qui fait l’actualité de Madagascar depuis des décennies ?
 

Jean Frémigacci : Il faut rappeler quelques données fondamentales de la relation entre gouvernants et gouvernés. Si les politiciens ont le champ libre pour vaquer à leurs occupations de corruption, c’est bien parce que le peuple est en dehors du coup.

Le processus électoral n’a pas de sens pour les 80 % de ruraux. Il faut savoir que les Malgaches baignent dans une société religieuse, de nombreux citoyens pensent qu’il n’est pas leur devoir de dire qui doit gouverner à Madagascar. Le choix de Dieu prévaut. Et puisque le choix de Dieu n’est pas aisément perceptible aux yeux du monde, il faut alors que se dégage une personnalité charismatique comme il en a existé par le passé. C’est le cas de Joseph Ravoahangy en 1946. Le charisme de cette personnalité montre en fait qu’il est un véritable envoyé de Dieu, un homme providentiel.

Ce n’est absolument pas dans les quelques candidats qui se présentent cette année que nous voyons se dégager une personnalité de ce genre. Les Malgaches estiment que cette élection est une affaire de politiciens qui s’arrangeront une fois de plus pour tromper et exploiter le peuple.

D’autre part, et quoiqu’en disent les intellectuels malgaches, Madagascar n’est toujours pas une nation. C’est regrettable pour un pays qui a une forte unité géographique, linguistique et culturelle mais cette unité culturelle n’a pas débouché sur cette construction politique qu’est la nation. À Madagascar, au-delà du clan, qui est l’unité de base, le cercle de solidarité abstraite n’est pas la nation mais l’ethnie. L’urbanisation change quelque peu ce processus, mais l’île reste encore très rurale.

Madagascar est en état d’émiettement et la seule chance pour que le pays sorte de l’instabilité est de voir un homme fort s’imposer, qu’il crée son parti, et qu’il rassemble autour de lui, jusqu’à créer un parti unique. Il ne s’agit évidemment pas là de faire l’apologie d’une dictature fascisante, mais de tenter une synthèse entre le principe démocratique et l’idéal malgache de la recherche du consensus qui s’efforce d’empêcher les conflits de dégénérer.

Cette élection se déroulera sous contrôle international, et les organismes qui se déplaceront sont nombreux à affirmer que cette élection pourrait restituer l’autorité de l’Etat. Vous n’y croyez donc pas ?
 

Jean Frémigacci : Une flopée de délégations ont débarqué. Il y a celle de l’Unité africaine, une délégation européenne composée d’une cinquantaine de membres, tous experts – dont certains de nos parlementaires -, une délégation spéciale de l’Organisation francophone.

Tous surveillent les élections et nous diront certainement que malgré des imperfections inévitables, elles se sont bien déroulées, que le peuple malgache s’est prononcé etc.

Mais il faudrait pourtant un miracle pour que l’autorité de l’Etat soit restaurée durablement. La crise devrait durer encore longtemps, jusqu’à ce que le chef d’Etat idéal des Malgaches se présente.

Quel est cet idéal ?
 

Jean Frémigacci : Il s’agit du souverain qui a créé le premier royaume important sur les hautes terres centrales et qui s’appelait Andrianampoinimerina, ce qui signifie « le seigneur cher au cœur de l’imerina », et qui a régné entre 1787 et 1810.

Il était un souverain sévère mais juste et bon, et organisateur d’une agriculture prospère qui a permis à la population de prospérer et d’augmenter en nombre, si bien que son fils a pu ensuite lever une armée afin de partir à la conquête de Madagascar. Ce souverain est resté vivant dans la mémoire populaire.

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