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Acuité de la menace terroriste au Moyen-Orient

Par Jean-Louis Bruguière

 

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les pays du Moyen et du Proche-Orient ont été le théâtre de multiples attaques terroristes. De même, c’est dans ces pays qu’ont été formées nombre de nouvelles recrues pour exporter le djihad dans les pays occidentaux, « l’ennemi lointain ». Ce qui a donné lieu à des actions nouvelles, moins spectaculaires que celles conçues par Al-Qaida dans la dernière décennie, quand l’organisation d’Oussama Ben Laden bénéficiait d’un sanctuaire quasi-inexpugnable en Afghanistan, obtenu grâce au soutien du mollah Omar.

L’Afghanistan était devenu un véritable État-terroriste, Al-Qaida avait une capacité opérationnelle incontestable et régnait sur les autres formations terroristes, même si elles avaient gardé leur indépendance. Ce chaudron terroriste qui ne cessera de se renforcer engendrera les attentats du 11 septembre 2001. La réaction violente des États-Unis a eu pour effet de détruire le sanctuaire afghan et de contraindre Oussama Ben Laden et ses lieutenants à trouver de nouveaux refuges, dans les zones tribales pakistanaises et dans d’autres pays du Moyen-Orient. La forte diminution de ses effectifs et surtout de son encadrement, éliminés lors d’opérations militaires ou capturés, a lourdement obéré ses capacités opérationnelles. Toutefois, l’intervention militaire américaine en Irak a fourni à Al-Qaida une opportunité inespérée pour se reconstruire sur de nouvelles bases.

La dislocation du mouvement a affecté sa lisibilité opérationnelle dans un Moyen-Orient qui a connu, en quelques années, de profondes mutations géopolitiques. Si Al-Qaida a pu, grâce aux erreurs de l’administration Bush, retrouver une nouvelle vigueur depuis 2003, il a su également tirer parti des événements du Yémen, d’Irak et de Syrie.

Mythes et réalité d’Al-Qaida

Contrairement à une idée reçue et trop souvent véhiculée par les médias, surtout anglo-saxons, Al-Qaida n’est pas une organisation centralisée, doté d’une structure pyramidale, concevant une stratégie djihadiste globale fidèlement exécutée par des branches délocalisées. C’est davantage un ensemble d’organisations régionales et de cellules opérationnelles locales ayant leur propre agenda et agissant le plus souvent de façon opportuniste, même si leur allégeance à Al-Qaida leur confère une légitimité qui renforce leur image dans les milieux salafistes.

La « guerre contre le terrorisme » décrétée par le président Bush, et dont le point d’orgue fut la guerre en Irak, a atomisé les réseaux islamistes radicaux se revendiquant d’Al-Qaida. Ils sont devenus protéiformes dans leur structure et leur mode de fonctionnement et surtout très réactifs, sur un mode fréquemment opportuniste à tous les facteurs politiques et géopolitiques pouvant servir leurs desseins. Ce que l’on a improprement nommé des franchises est en fait un tissu d’organisations affiliées à Al-Qaida (certaines par un serment d’allégeance), de groupes, de réseaux et de cellules terroristes implantés sur tous les continents, souvent reliés entre eux par des relations circonstancielles et constituant une menace globale difficile à cerner tant ses contours et sa typologie opérationnelle sont polymorphes et mutants.

Cette atomisation des structures terroristes se revendiquant de l’idéologie d’Al-Qaida s’est accrue après le conflit irakien sous l’effet de plusieurs facteurs : une plus grande efficacité dans la lutte contre le terrorisme, des interactions avec des groupes criminels dans la recherche de financements, le rôle joué par les techniques modernes de l’information et de la communication dans le recrutement de nouveaux membres et les processus de radicalisation.

Al-Qaida central, qui n’a plus la même capacité opérationnelle, s’est renforcé dans les domaines de la communication et de la propagande : apparaitre comme le fédérateur des mouvements djihadistes et le gardien de l’idéologie originelle, en suscitant au travers de serments d’allégeance sollicités des liens de fidélité et de loyauté, voilà la nouvelle stratégie d’Al-Qaida. Pour ce faire, l’organisation d’Oussama Ben Laden a créé après le 11 septembre 2001 sa propre société de production, Al Sahab, et communique régulièrement via internet, en particulier grâce à des sites web dédiés, des comptes Twitter ou Facebook.

La propagande des mouvements liés à Al-Qaida, leur capacité à recruter y compris des combattants étrangers, leur combativité, leur capacité à gérer (si nécessaire par la terreur) les populations civiles, leur confèrent des moyens accrus pour s’imposer dans des zones grises en proie à des conflits ou victimes d’un effondrement de la gouvernance politique.

Ce qui caractérise le plus fondamentalement le terrorisme islamiste post-Ben Laden est l’extraordinaire capacité de ces groupes à comprendre les situations locales, à en tirer parti et à récupérer les effets induits de mouvements insurrectionnels qu’ils n’ont pourtant pas provoqués ou des faux-pas de la diplomatie internationale. Oussama Ben Laden n’a pas réussi à faire ce que le Printemps arabe a su réaliser.

Néanmoins, les soubresauts de cette vague révolutionnaire, gonflée par la rue à Tunis et au Caire, devaient fournir à ces organisations djihadistes de nouvelles opportunités. Tirant profit du climat insurrectionnel provoqué par les Frères musulmans au pouvoir en Égypte et en Tunisie, dont la dérive liberticide avait entrainé une nouvelle fois le peuple dans la rue, les réseaux terroristes locaux sont devenus de plus en plus actifs. En Tunisie, l’organisation Al Ansar Al Chariah de Seiffalah Ben Hacine, alias Abou Iyad, est soupçonnée d’être responsable des assassinats des opposants Mohamed Brahimi et Chokri Belaïd. Il est également accusé de diriger une cellule liée à Al-Qaida opérant au Mont Chaambi, à la frontière algérienne. Au Caire, l’armée a pris le pouvoir et les Frères musulmans, qui entretiennent une stratégie de la tension, sont réprimés par les militaires. Dans le même temps, des cellules islamistes liées à Al-Qaida sont de plus en plus actives dans le Sinaï, comme le groupe Ansar bayt al maqdis prenant pour cible l’armée et la police égyptienne et tirant des roquettes sur Israël.

Nonobstant la propagande d’Al-Qaida et l’efficacité réelle des sites internet dans la radicalisation et le recrutement de jeunes djihadistes, le moteur indiscutable de ce processus qui nourrit les réseaux et maintient la flamme du jihad demeure les « terres de djihad », ces pays où des conflits armés opposent les musulmans à d’autres communautés religieuses ou à des gouvernements de pays arabes jugés « mécréants ». Ce furent dans la décennie 1990, l’Afghanistan, puis la Bosnie et le Kossovo, la Tchétchénie, le Cachemire, en 2003 l’Irak, dernièrement la Syrie et dans une moindre mesure la zone du Sahel.

L’imbroglio syrien : un risque d’embrasement ?

La Syrie est devenue aujourd’hui le premier réceptacle de djihadistes étrangers qui accourent dans ce pays en guerre pour grossir les troupes de deux organisations islamistes se revendiquant d’Al-Qaida, qui combattent le régime de Bachar el-Assad au sein de l’Armée syrienne libre. On compterait des milliers de combattants étrangers, dont plusieurs centaines venus d’Europe.

Mais, dans ce Moyen-Orient en ébullition endémique depuis l’insurrection en Syrie, où sévit une guerre civile, hiérarchiser les facteurs d’instabilité s’avère un exercice difficile tant ils s’enchevêtrent les uns dans les autres et interfèrent entre eux.

Les facteurs politiques et diplomatiques, parce qu’ils sont plus faciles à identifier, paraissent les plus déterminants. Pour autant, le terrorisme tient une place non négligeable bien que sa lisibilité soit moindre : soit il tire profit de la faible gouvernance des États ou de revendications ethniques ou tribales pour entretenir une instabilité endémique, comme au Yémen ; soit il a réussi à récupérer des crises politiques ou des situations insurrectionnelles qu’il n’a pourtant pas créé, comme en Syrie ou en Égypte.

Nul doute qu’en cette fin d’été 2013, la guerre civile en Syrie a relégué au deuxième plan tous les autres problèmes politico-sécuritaires du Moyen-Orient. L’attaque chimique du 21 août sur les quartiers est de Damas imputée au régime de Bachar el-Assad a suscité une réprobation unanime, sans que ne se dessine pour autant les modalités de la riposte. L’option militaire un temps envisagé par Washington et Paris semble aujourd’hui abandonnée au profit d’une démarche politique qui emporterait l’adhésion du Conseil de sécurité des Nations unies.

Il est vrai que l’option militaire n’était pas sans risque : une déstabilisation des pays de la région avec un effet domino sur les pays du Golfe ; un risque terroriste, notamment au Liban contre les intérêts américains et français. Israël, déjà en bute à l’activisme terroriste croissant des cellules djihadistes opérant dans le Sinaï, serait également menacé par les deux organisations islamistes liées à Al-Qaida opérant en Syrie dont l’influence et les capacités opérationnelles s’en trouveraient renforcées. Mais c’est surtout le Hezbollah manipulé par l’Iran qu’elle redoute le plus. Il est de fait que la capacité de cette dernière, surarmée et composée de militants bien entrainés et disciplinés, n’est plus à démontrer.

L’Iran est d’évidence un acteur majeur dans cet échiquier, même s’il ne fait pas partie de la région du Cham. Ses liens avec Damas, et son engagement militaire avec le Hezbollah aux côtés des forces syriennes, le place au centre du jeu diplomatico-militaire. Téhéran hausse le ton et a menacé Israël d’une « éminente destruction » ajoutant qu’une action militaire contre la Syrie serait, pour les Etats-Unis, « un second Vietnam »[1]. Cette logorrhée belliqueuse n’est pas surprenante de la part de l’Iran. Elle souligne sa forte implication dans le dossier syrien et son soutien politique, mais aussi militaire au régime du président Assad. Des rumeurs ont circulé sur des menaces de prises d’otages de ressortissants américains par le Hezbollah[2] ou des cyber-attaques.

L’éventualité d’une intervention du Hezbollah sur commandite iranienne rappellerait l’attentat terroriste de la rue de Rennes du 17 septembre 1986 revendiqué par le CSPPA (une appellation de circonstance du Hezbollah) ou les attentats de Buenos Aires en 1992 et 1994 contre l’ambassade d’Israël et l’association israélite AMIA, également attribués au Hezbollah. Plus récemment, une série d’attentats à Bangkok, à New Dehli et à Tbilissi a été imputée à l’Iran, bien que ce pays s’en soit fermement défendu.

Ces précédents, comme le soutien que les services iraniens auraient apporté aux militants d’Al-Qaida après le 11 septembre (en particulier les facilités offertes, après 2003, à la branche irakienne d’Al-Qaida alors dirigée par Abou Moussab Al-Zarkaoui pour l’accès par son territoire à l’enclave d’Al Ansar al Islam dans le kurdistan irakien) témoigne de la capacité de Téhéran à recourir à des stratégies indirectes à des fins politiques ou pour la sauvegarde de ses intérêts. .

Mais fallait-il renoncer à l’usage de la force comme l’ont prôné Washington et Paris ? Les opinions publiques occidentales y étaient hostiles. La voie était devenue étroite pour les deux capitales dont la position a été fragilisée par l’initiative diplomatique russe. Si des mesures alternatives politiques efficaces, comme le placement sous contrôle international de l’arsenal chimique de Damas, ne sont pas obtenues, c’est la crédibilité de Washington et de ses alliés qui sera obérée. La Syrie et surtout l’Iran analyseraient la reculade des deux capitales comme un aveu de faiblesse et y verraient un encouragement à accentuer leur pression sur l’Occident par des stratégies de contournement comme le recours au terrorisme. La gestion du dossier nucléaire iranien en sera rendue plus difficile et Washington aura de plus en plus de difficulté à contenir son allié israélien dans sa volonté d’agir militairement contre Téhéran pour lui interdire l’accès à l’arme nucléaire. D’autant plus que la dégradation du climat sécuritaire régional fait craindre, à Tel Aviv, un regain de menaces en provenance du Hezbollah et de l’Iran.

Quoiqu’il en soit, les atermoiements de la diplomatie internationale font le jeu des organisations terroristes et des États totalitaires qui les soutiennent. Les organisations terroristes sahéliennes affiliées à Al-Qaida ont su les exploiter, en janvier 2013, par une tentative de prise de contrôle de l’ensemble du territoire malien.

Sur le dossier syrien, Washington et les capitales européennes sont confrontés, dans leur logique de soutien à l’opposition au régime de Damas, à un dilemme : la fourniture d’armes à la rébellion ne risque-t-elle pas de renforcer le potentiel militaire du front Al-Nosra et de l’État islamiste d’Irak et du Levant dont l’agenda politique est d’instaurer un État islamiste fondée sur la charia ? L’exemple libyen hante tous les esprits, même si, sur un plan géopolitique, les deux situations ne sont pas comparables. La chute du régime de Kadhafi a entrainé le chaos et libéré des quantités considérables d’armes de tout type, en grande partie récupérées par les organisations djihadistes du Sahel. La prise de contrôle du nord-Mali n’aurait pas été possible si AQMI, Mujao et Ansar Dine n’avaient pu renforcer leur potentiel militaire avec l’armement libyen.

Le Yémen dans le contexte du Printemps arabe

Si, dans le cas de l’Égypte comme de la Tunisie, les mouvements djihadistes ont su tirer parti de facteurs politiques qui leur étaient favorables, dans d’autres pays du Moyen-Orient ces mêmes mouvements, à la faveur du vide laissé par les pouvoirs en place et de leur carence dans l’exercice de certaines de leurs missions régaliennes, tentent de s’imposer plus ouvertement en menant des opérations de belligérance en parallèle d’actions terroristes. C’est notamment le cas du Yémen.

Profitant de ces troubles politico-sécuritaires de la révolution yéménite qui a abouti à l’éviction du président Saleh, l’AQPA[3], la branche yéménite d’Al-Qaida, s’est lancée au début de l’été 2012 dans une vaste opération visant à contrôler le sud du pays. Furent ainsi prises par les militants islamistes les villes de Zinjibar, Jaar et Shaqra. Pour ce faire, l’AQPA a opportunément profité des revendications séparatistes du mouvement indépendantiste du sud et des vacances du pouvoir central. Une situation qui n’est pas sans rappeler l’opération conduite par l’AQMI avec l’aide du Mujao et des touaregs d’Ansar Dine dans le nord-Mali.

Le sud-Yémen a été reconquis dans le courant de l’été 2012. L’armée yéménite, avec l’appui des drones américains qui ont mené 18 attaques en 2011 et 50 en 2012, a éliminé les principaux cadres de l’AQPA, notamment son fondateur Saïd Al- Shihri. Toutefois, Nasser al-Wouhashi, le chef actuel de l’AQPA, a échappé aux forces yéménites et aux frappes des drones. Il aurait été, selon les informations révélées par les médias, au centre d’une conférence téléphonique sécurisée par internet et réunissant des responsables de haut niveau d’Al-Qaida dont Hayman al-Zawahiri et des représentants des principales organisations qui lui sont affiliées.

 Cet échange, capté par les services de renseignements américains, aurait porté sur des projets d’attentats de grande envergure contre les puissances occidentales, provoquant la fermeture des représentations diplomatiques et consulaires des États-Unis et de plusieurs pays européens au Yémen et dans d’autre pays du Moyen-Orient et du Maghreb. Le jeudi 8 août, Sanaa a affirmé avoir déjoué un plan de l’AQPA visant à s’emparer de localités et d’installations pétrolières et à prendre des étrangers en otage.

L’Irak : la spirale de la terreur

L’Irak connait également une flambée de violence terroriste, mais dans un contexte différent. Le pays peine à se reconstruire. Les tensions entre chiites et sunnites, ainsi que la paralysie de l’appareil politique, sont mises à profit par la branche irakienne d’Al-Qaida pour accroitre le niveau de la violence terroriste. Cette dernière est actuellement à un étiage jamais atteint depuis 2005. Pour la seule journée du 6 août, une série d’attentats a fait plus de 40 morts et, selon l’ONU, un millier de personnes ont été tuées lors d’attaques terroristes, principalement à l’aide de voitures piégées. Abou Moussab Al-Zarkaoui, chef sanguinaire d’Al-Qaida en Irak, avait conçu le dessein machiavélique de provoquer un cycle infernal de confrontations interconfessionnelles sanglantes en s’attaquant aux lieux saints du chiisme et à leurs grandes manifestions religieuses. L’Irak subit ce sinistre héritage entretenu aujourd’hui par l’EIIL.

Les situations évoquées ne sont pas comparables, mais elles ont toutes été affectées par l’action de réseaux islamistes se revendiquant d’Al-Qaida. Les démocraties occidentales ont du mal à comprendre cette menace « virale » d’une nébuleuse constituée de groupes autonomes ayant leur propre agenda, leur stratégie, leur typologie fonctionnelle qui infiltre les États faibles et se développe dans les interstices des zones grises. Leur réaction est souvent inappropriée si ce n’est contre-productive. Nombre de dirigeants d’Al-Qaida ont été tués dans les zones tribales pakistanaises ou au Yémen par des drones, mais les pertes collatérales engendrées alimentent le sentiment anti-américain et nourrit la propagande des djihadistes en accélérant les processus de radicalisation.

Le temps politique n’est pas celui des mouvements terroristes. Les djihadistes ne sont pas contraints par des exigences constitutionnelles ou légales et l’imprévisibilité de leur action n’est due qu’à des contraintes opérationnelles, contrairement à la diplomatie des États. L’exemple de la Syrie est topique à cet égard. La fermeté du ton à Washington, Paris et Londres a fait place à l’irrésolution dans l’action. La décision de frapper la Syrie s’éloigne avec l’annonce d’un accord international sur le contrôle de l’arsenal des armes chimiques de Damas.

Agir en prenant en considération la réalité locale

Ces hésitations et volte-face minent la crédibilité du camp occidental et renforcent les États totalitaires et les organisations terroristes dans leur stratégie. Le sentiment d’impunité que pourrait susciter cet attentisme politique est de nature, en modifiant les rapports de force en cours, à provoquer une fracture stratégique dont la Russie et la Chine (qui soutiennent la Syrie et l’Iran) tireraient un avantage géopolitique dépassant le cadre du Moyen-Orient. La violence terroriste prendrait alors une dimension accrue, en particulier au Liban, déjà secoué par une série d’attentats dans la banlieue sud de Beyrouth et à Tripoli. Si le régime Syrien se trouvait réellement menacé,

Les menaces d’Assad contre la France seraient alors à prendre au sérieux, tant le Hezbollah, son allié traditionnel, possède une réelle capacité opérationnelle à conduire des actions asymétriques partout dans le monde.

Il est impératif de réduire, autant que faire se peut, ce décalage entre les intentions et l’action et de veiller à mieux prendre en compte les réalités locales. La France, avec le soutien des forces maliennes et de la MISMA, a su opportunément, par une action militaire forte, repousser un raid de djihadistes de l’AQMI, du Mujao et d’Ansar Dine sur Bamako pour y installer un régime de type taliban.

Mais si le nord du Mali, sanctuaire de ces groupes terroristes, a été libéré, la situation politico-sécuritaire n’est pas pour autant réglée. De nombreux membres de l’AQMI et du MUJAO ont trouvé refuge dans le sud de la Libye et dans certains pays avoisinants, dont le Niger. La Mauritanie est le seul pays du Sahel à avoir contenu la pression djihadiste. La politique volontariste du président Mohamed Oul Aziz contre les réseaux de l’AQMI, les trafiquants de stupéfiants et les autres groupes criminels opérant dans le Sahel a barré la route aux réseaux terroristes dans leur recherche de nouveaux refuges. Une posture qui devra être reprise par les pays voisins, tant les discontinuités dans la politique répressive des États servent traditionnellement les desseins des organisations terroristes. La vaste zone grise constituée d’États faibles s’étendant de la corne de l’Afrique au Sahara occidental est propice au développement de ces organisations terroristes et de tous les trafics, notamment celui des armes après la chute du régime de Kadhafi. Or l’activité de ces groupes terroristes ne se cantonne pas au seul continent africain. Les Shebab entretiennent des liens avec l’AQPA et nombre de dirigeants du Mujao et de l’AQMI ont séjourné dans des camps en Afghanistan, sans compter leurs liens d’allégeance à Al-Qaida.

Une priorité politique persistante

 La lutte contre le terrorisme au Moyen-Orient, mais aussi en Afrique, doit demeurer une priorité dans les agendas politiques des États. Elle demande une réponse globale et concertée, exclusive de considérations partisanes.

Mais, au-delà des postures politique et des effets d’annonce, force est de constater que la réalité est différente. Aucun réel consensus n’existe à l’échelon international concernant la lutte contre le terrorisme. Les États peinent à cerner les nouveaux contours de ces organisations polymorphes se revendiquant de l’héritage d’Oussama Ben Laden. Si la coopération internationale en matière de renseignement a été significativement renforcée depuis les attentats du 11 septembre, il n’en est pas de même dans le domaine judiciaire, en particulier en matière d’extradition. Or l’exemplarité de la répression est une condition essentielle du succès de la lutte contre le terrorisme. Plus qu’hier, les réseaux terroristes de la mouvance Al-Qaida se développent de façon sournoise sur un mode métastasique. Leur dangerosité est d’autant plus forte que leur visibilité est faible. Certes, l’activisme de l’AQPA au Yémen a atteint un niveau tel que la réponse militaire s’avérait nécessaire, comme ce fut le cas au Mali en début d’année.

Mais, ailleurs, les modes de riposte sont plus complexes. Comment lutter contre ces centaines d’européens qui rejoignent aujourd’hui en Syrie les deux organisations islamistes inféodées à Al-Qaida ? Nous savons que certains d’entre eux reviendront dans leur pays d’origine pour y promouvoir le djihad sous d’autres formes. Nous avons une longue expérience de ce phénomène contre lequel nous avons lutté. Notre stratégie d’anticipation de la menace, par le recours à l’infraction pénale d’association de malfaiteurs terroristes, nous a permis de déjouer de nombreuses tentatives d’actes terroristes, y compris des projets d’attentats. Mais nos partenaires européens n’ont pas la même législation, ni les mêmes modes de riposte.

Les réseaux terroristes opérant au Moyen-Orient et en Afrique sont beaucoup plus attentifs qu’on ne le pense généralement à ces disparités de législation qui leur offrent des opportunités opérationnelles dans leur lutte contre l’Occident. Avant l’instauration du mandat d’arrêt européen, Al-Qaida avait donné pour consigne à ses militants de tirer profit de la libre circulation à l’intérieur de l’espace Schengen pour conduire leurs opérations clandestines. L’intrication croissante, dans un but financier sans agenda politique commun, entre les réseaux criminels et les organisations terroristes, ajoute à la complexité du phénomène et pose, avec les prises d’otage, un problème politique délicat pour les États.

Si le courage politique et la solidarité internationale ne l’emportaient pas, le terrorisme international continuera à déstabiliser le Moyen-Orient et à menacer l’Occident.


[1] Propos rapporté par Reuters le 29 août, citant l’agence Iranienne Tasnim news.

[2] Stratfor, 29 août.

[3] Al-Qaida dans la péninsule arabique.

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