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Colombie: vers un accord historique entre les FARC et le gouvernement?

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JOL Press: Retour sur l’histoire de la guérilla colombienne des FARC. Où ce mouvement puise-t-il ses racines ?
 

Michel Gandilhon : Les FARC puisent leurs racines dans le monde paysan colombien, et dans la guerre civile qui a suivi l’assassinat du candidat libéral extrêmement populaire Jorge Eliecer Gaitan à la présidentielle en 1948. Il y a eu un conflit entre le parti libéral et le parti conservateur, les deux partis dominants à l’époque en Colombie. Cette guerre civile s’est étendue aux campagnes et a pris en partie la forme d’une lutte entre les petits paysans et l’oligarchie terrienne liée à l’appareil conservateur. Des groupes d’autodéfense dirigés par le parti communiste colombien  et certaines fractions du parti libéral qui résistaient à l’armée et à la police colombienne sous les ordres des conservateurs, se sont créés. En 1964, une partie de ces groupes sont devenus les Forces armées révolutionnaires de Colombie : à l’époque elles étaient le bras armés officiel du parti communiste colombien.

JOL Press : Après 50 années de violence, comment expliquer la défaite de l’organisation armée ?
 

Michel Gandilhon : Le premier facteur qui explique la défaite des FARC – ou du moins le fait qu’elles aient été obligées de négocier avec l’Etat -c’est qu’à partir des années 2000, il y a eu un renforcement considérable de l’armée colombienne grâce au « Plan Colombie » signé en 2000 avec les Américains. L’armée colombienne, traditionnellement faible, a reçu des milliards de dollars grâce à ce plan et s’est renforcée en nombre d’hommes, en armement, rendant toute perspective de prise du pouvoir par les FARC irréaliste.

Ainsi, les FARC ont subi des revers militaires très importants. Elles  ont perdu la moitié de leurs effectifs par rapport aux années 1990. Aujourd’hui on estime qu’elles comptent encore 8000 hommes.

Autre point fondamental, et qui n’était jamais arrivé dans toute l’histoire des FARC, c’est que les combattants voient leurs chefs se faire tuer au combat comme le successeur de Manuel Marulanda, fondateur historique de la guérilla des FARC, Alfonso Cano.

Le deuxième facteur concerne la perte de soutien d’une partie de la population colombienne pour les FARC. Le parti communiste a toujours exercé une certaine influence en Colombie sur certains secteurs de la société civile, via les syndicats ou les organisations de masses. Ainsi, les FARC ont toujours bénéficié d’une certaine popularité parmi les Colombiens, et notamment dans une partie du monde paysan. Mais aujourd’hui, la population est lasse de la violence et rend les FARC responsable de la continuation de la guerre civile. 

Le secteur paysan qui les soutenait auparavant se détourne également des FARC :  les paysans se rendent bien compte au bout de décennies de la lutte que les FARC ne leur ont rien rapporté. La répartition des terres en Colombie n’a jamais été aussi inégalitaire. Les FARC attirent la répression sur les paysans et il arrive que certains guérilléros commettent des crimes de guerre contre les communautés paysannes qui refusent de s’embrigader dans leurs rangs.<!–jolstore–>

JOL Press: L’accord partiel entre les FARC et le gouvernement marque-t-il un tournant dans le processus de paix ?
 

Michel Gandilhon : Six aspects doivent être discutés à La Havane à Cuba. Le gouvernement et les FARC en sont pour l’instant au deuxième point. Il en reste encore quatre: il faut donc rester prudent. L’histoire de la Colombie depuis trente ans est jalonnée de tentatives d’accords, d’armistices, de cessez-le-feu, de tentatives de négociations, qui à chaque fois, se sont mal terminés. 

JOL Press : Quels sont les points qui posent problème dans les pourparlers ? 
 

Michel Gandilhon : La question agraire est absolument capitale en Colombie. Il s’agit, avec le Brésil, du pays le plus inégalitaire du monde en termes de répartition des terres. Selon certains chiffres, 0,5% de la population détiendrait 60% des terres.  C’est un problème au cœur de la vie politique colombienne depuis soixante ans comme l’a reconnu le président Juan Manuel Santos,  lequel a fait un pas énorme en direction des FARC en reconnaissant officiellement que la question agraire est au cœur du combat des FARC. Juan Manuel Santos s’est engagé à redistribuer les centaines de milliers d’hectares de terres qui ont été volées par les paramilitaires pendant les années 90. Encore une fois, il faut être prudent, nous n’en sommes qu’aux balbutiements. Il y a de grandes déclarations de principes, mais Juan Manuel Santos devra maintenant affronter l’oligarchie colombienne. 

JOL Press : Qu’en est-il de la question du narcotrafic ?
 

Michel Gandilhon : Le problème du narcotrafic est un point très important puisque la Colombie a été jusqu’à récemment le premier producteur de cocaïne au monde. Depuis les années 90, les FARC gagnent énormément d’argent grâce au trafic de cocaïne : cela leur permet d’acheter des armes, de payer des soldes ou encore des uniformes. Certains spécialistes des forces armées révolutionnaires pensent qu’une partie des FARC pourrait être criminalisée, à l’instar de ce qu’il s’est passé pour les paramilitaires. Dans certaines régions de la Colombie, il y a une certaine porosité entre les FARC et les paramilitaires. 

JOL Press: L’accord prévoit l’intégration des FARC dans la vie politique. Concrètement comment pourrait se faire cette réintégration ?
 

Michel Gandilhon : La Colombie a une expérience en termes de réintégration de mouvements armés dans la vie politique : il y a l’exemple du M-19, un mouvement de guérilla urbaine, qui s’est très bien réintégré dans la vie politique en créant un parti, en se présentant aux élections – ils ont fait 20% – en faisant voter une nouvelle constitution, toujours en vigueur,  au début des années 1990. L’actuel maire de Bogota Gustavo Petro Urrego est d’ailleurs un ancien membre du M-19.

En 2005, une loi prévoyant la réintégration des paramilitaires dans la vie civile avec des possibilités d’amnistie partielle a été votée. L’accord stipulait notamment qu’en échange de l’aveu de leurs crimes, les paramilitaires ne pouvaient pas être condamnés à des peines de prison de plus de huit ans. Il y a aujourd’hui en politique un mécanisme qui permet d’accueillir les guérilleros qui se rendent, et notamment de les réintégrer dans la vie sociale.

Nous pouvons donc être relativement optimistes quant à une possible réintégration des FARC via un nouveau parti politique sachant que cela est déjà arrivé auparavant.

JOL Press : Comment expliquez-vous le fait que les FARC aient accepté ce pas décisif vers la paix ?

 

Michel Gandilhon : Les FARC ne peuvent gagner par la voie armée : elles perdent des combattants, elles perdent leurs chefs, elles doivent négocier si elles ne veulent pas disparaître. L’Etat colombien, se rend bien compte de son côté qu’il ne pourra jamais éradiquer totalement les FARC. Malgré les milliards de dollars des Etats-Unis, malgré un renforcement considérable de l’armée colombienne, il reste encore entre 8000 et 9000 combattants armés qui ont tout de même des facultés de nuisances très importantes, comme l’attestent les centaine de policiers et de militaires qui sont tués chaque année dans le pays.

JOL Press : Les chefs de la guérilla sont responsables de nombreux crimes de guerre : peut-on imaginer une amnistie ou des peines symboliques ?

 

Michel Gandilhon : On peut imaginer des amnisties totales ou partielles ou des peines de prison plus ou moins symboliques. Mais il faut tenir compte d’une partie de l’opinion colombienne, notamment les familles des paysans massacrés ou des otages qui ont été tués… Tout cela va devoir se négocier. Ce sera le point numéro trois de l’agenda des négociations. 

JOL Press : Déjà en 1984, les Farc avaient signé un accord avec le gouvernement, qui prévoyait l’intégration des membres de l’organisation armée à la vie politique. Les anciens combattants avaient été la cible  des paramilitaires. Un tel scenario est-il envisageable aujourd’hui ?

 

Michel Gandilhon : Cet accord de 1984 prévoyait une amnistie pour les combattants des FARC et une réintégration des militants à la vie politique. Les FARC ont créé un parti baptisé l’Union patriotique, se sont présentés aux élections et ont obtenu  des centaines d’élus municipaux. L’UP a présenté également deux candidats à la présidence de la république. Mais deux problèmes ont émergé : il y avait, d’une part, une partie de l’appareil militaire des FARC qui ne jouait pas le jeu et considérait  l’Union patriotique comme une manière de gagner du temps et d’autre part, une partie de l’oligarchie terrienne qui refusait l’intégration des FARC dans la vie politique. Ainsi des paramilitaires à la solde de la classe dominante et des cartels ont  assassiné des centaines, voire des milliers de militants de l’UP.

JOL Press : Si l’accord de paix est signé entre les deux parties, Juan Manuel Santos pourrait être réélu en 2014 ?

 

Michel Gandilhon : Si un accord de paix définitif est signé, je pense que Juan Manuel Santos sera triomphalement réélu par les Colombiens. Cette guerre civile perdure depuis 1948…Il faut voir dans quel état se trouve la Colombie aujourd’hui : quatre millions de réfugiés internes – placée derrière le Soudan, la Colombie détient le triste record du plus grand nombre de réfugiés de l’intérieur – des centaines de milliers de morts et de disparus, des otages, des régions dévastées…Le président de la république qui arrivera à mettre un terme à ce conflit armé vieux de 65 ans, et à instaurer la paix en Colombie fera l’objet de la gratitude du peuple colombien. 

JOL Press: L’accord final fera l’objet d’un referendum. Quel sera le plus grand obstacle selon vous ? Alvaro Uribe ?

 

Michel Gandilhon : Il y a des perspectives réelles pour parvenir à un accord, mais il y a des forces internes qui s’y opposent. Derrière Alvaro Uribe se trouvent l’oligarchie agraire et ses  milices armées – les paramilitaires comptent encore plusieurs milliers d’hommes dans leurs rangs –  qui constituent un grand obstacle à la paix. Le deuxième frein viendra d’une partie des FARC elles-mêmes : certains secteurs de l’organisation sont criminalisés du fait de leur implication dans le trafic de drogues et, comme les paramilitaires, n’ont pas intérêt à ce que le conflit cesse. Il y a une troisième force : l’armée dont certains secteurs ont intérêt à ce que le conflit continue pour continuer à toucher l’aide américaine. Il arrive ainsi que les militaires tuent des paysans et leur mettent les uniformes des FARC pour gonfler les chiffres de combattants armés tués : on appelle ce scandale celui des « falsos positivos » – les « faux positifs » en français.

Propos recueillis par Louise Michel D.

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Michel Gandilhon est chargé d’études à l’OFDT (Observatoire français des drogues et des toxicomanies) où il coordonne le bulletin Drogues, enjeux internationaux. Il a publié en 2011 aux éditions Les Nuits rouges La Guerre des paysans en Colombie, de l’autodéfense agraire à la guérilla des FARC.

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