Site icon La Revue Internationale

L’Ukraine, un allié de taille pour la Russie

[image:1,l]

JOL Press : Le Premier ministre ukrainien, Mykola Azarov, a confirmé mardi que c’était bien la Russie qui était à l’origine de la suspension de l’accord d’association entre l’Ukraine et l’UE.  Peut-on dire que l’Ukraine a cédé au chantage russe ?
 

Florent Parmentier : Il y a eu une contre-offre de la Russie qui a fait suite à une offre européenne qui était attrayante mais les arguments russes ont été certainement plus agressifs dans la manière de les vendre et avaient surtout un volet plus répressif. En ce sens, c’est à la fois du chantage et c’est aussi la marque qu’un certain nombre d’acteurs en Ukraine y ont trouvé leur compte.

JOL Press : Pourquoi la Russie met-elle autant de pression sur l’Ukraine ?
 

Florent Parmentier : Il y a des enjeux de long terme. Le premier enjeu est d’ordre culturel et traditionnel : la Russie considère l’Ukraine comme un pays important, notamment parce que ce sont deux pays qui ont coexisté pendant plusieurs siècles ensemble au sein d’un même État. L’Ukraine accueille également des troupes russes – à Sébastopol [dans le sud-ouest du pays] la Russie dispose notamment de plusieurs bateaux –, et la langue russe a encore une importance dans la vie de tous les jours en Ukraine, même si l’Ukrainien s’est affirmé comme langue nationale.

Le second enjeu est d’ordre économique : la Russie a mis sur pied des projets d’intégration économique dans le cadre de l’Union eurasienne [avec la Biélorussie et le Kazakhstan]. Cette Union douanière a un intérêt pour la Russie : sans l’Ukraine, ce marché commun autour de la Russie n’aurait pas véritablement de poids.

La Russie tient donc beaucoup à l’Ukraine, et surtout à ce que celle-ci ne change pas de modèle de développement en suivant les recommandations de l’UE, tout simplement parce que les autorités russes ont plus de mal à opérer selon les règles européennes alors qu’elles arrivent à opérer selon les règles de Kiev. Il faut rappeler que l’Ukraine est un pays où la corruption est proverbiale, et les investissements étrangers y sont parfois maltraités.

Tout a donc été mis en œuvre pour que l’Ukraine ne signe pas cet accord d’association, même si l’Ukraine ne souhaite pas formellement faire partie de l’Union eurasienne. La perspective des prochaines élections ukrainiennes en 2015 pousse également la Russie à faire pression sur l’Ukraine, car l’accord de libre-échange avec l’UE n’est pas caduc et pourrait très bien être réactivé par le successeur de Viktor Ianoukovitch.

JOL Press : Parmi les manifestants ukrainiens, certains criaient « nous ne sommes pas l’URSS, nous sommes l’Union européenne ». Les prétentions de l’URSS dans l’espace post-soviétique sont-elles encore vivaces aujourd’hui ?
 

Florent Parmentier : Il y a un certain nombre de chaînes d’interaction économique qui ont été brisées dans les années 90, et que l’Union eurasienne essaie précisément de reconstruire. Cela n’a rien de condamnable en soi.

Ce qui est plus condamnable à mon sens, ce sont les enjeux mémoriels : du côté des autorités russes, on a tendance à passer sous silence que l’aire qui était présentée comme une grande puissance géopolitique, l’URSS, a aussi une histoire faite de « cadavres dans le placard »… C’est surtout sur ces questions mémorielles, qui n’ont pas encore été réglées (comme la famine ukrainienne ou le génocide dans les années 30) que les enjeux sont encore vivaces.

Il y a enfin la question des liens humains, qui ne disparaîtront pas d’un coup, ne serait-ce que parce que la langue russe continue à avoir un rôle de langue vernaculaire. Un citoyen ukrainien aura ainsi plus de facilités à se déplacer au sein de l’espace post-soviétique que pour aller à Paris, à Berlin ou dans d’autres endroits de l’espace Schengen.

JOL Press : Quels avantages présente alors l’accord d’association avec l’Union européenne pour l’Ukraine ?

Florent Parmentier : Le grand avantage c’est que l’Ukraine serait en contact avec une zone de développement beaucoup plus importante que ce que pourrait lui ouvrir l’Union eurasienne. Il faut voir que la seule économie allemande est sensiblement plus riche que l’ensemble de l’Union eurasienne, et cela est encore plus vrai si l’on cumule évidemment les 28 Etats membres de l’Union européenne.

Cela représente l’un des grands enjeux pour l’Ukraine, moyennant un changement des règles du jeu économique sur place, ainsi qu’un travail important d’harmonisation législative, mais aussi dans l’environnement des affaires. L’intérêt de l’Ukraine serait donc de suivre les économies les plus riches du continent et qui sont à portée de main. Il suffit de voir l’écart de développement considérable entre la Pologne et l’Ukraine, deux États voisins, pour comprendre tout le bénéfice que pourrait en tirer l’Ukraine.

JOL Press : La position de l’Ukraine va-t-elle avoir des conséquences sur celle des autres pays intégrés au projet de Partenariat oriental (Géorgie, Moldavie, Biélorussie, Arménie et Azerbaïdjan) ?
 

Florent Parmentier : L’Arménie a déjà annoncé en septembre son intention d’adhérer à l’Union eurasienne, quand bien même elle n’a pas de frontières communes avec ces pays. Il est clair que la position ukrainienne fragilise la Moldavie voisine ; pour des pays comme la Biélorussie et l’Azerbaïdjan, la position de l’Ukraine ne change finalement pas grand-chose, les deux pays ne faisant pas partie de l’OMC.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

———————————————————————–

Docteur en Science politique, Florent Parmentier est enseignant à Sciences-Po Paris où il dirige notamment la filière énergie du Master Affaires Publiques. Ses intérêts de recherche incluent l’étude de la « grande Europe » (notamment les pays du Partenariat Oriental) et la politique énergétique européenne.

Quitter la version mobile