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Quels liens entre la gauche extrême et l’islamisme?

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Abdelhakim Dekhar soupçonné d’avoir tiré dans les locaux de BFM TV, d’avoir blessé un jeune photographe à Libération puis tiré au siège de la Société générale a été interpellé, mercredi 20 novembre, dans la banlieue parisienne.

Si son ADN n’était pas répertoriée par les services de police, ce n’est pas pour autant un inconnu. Son nom était apparu lors de la « tuerie de la place de la Nation » à Paris, perpétrée par Audry Maupin et Florence Rey, en octobre 1994. Soupçonné d’avoir fourni une arme au couple, il a été condamné en 1998 pour « association de malfaiteurs » à quatre ans de prison.

A l’époque, Abdelhakim Dekhar s’était présenté comme un « membre des services secrets algériens », envoyé en mission dans les milieux d’extrême gauche et anarchiste pour y dénicher des islamistes. Si la justice n’a pas cru à cette version des faits, il n’est pas interdit de s’interroger sur l’existence ou non de lien entre une certaine gauche de la gauche et les milieux islamistes.

Si des collusions existent, de quelles natures sont-elles ? Eléments de réponse avec Christophe Bourseiller, écrivain, journaliste et spécialiste de l’extrême gauche.

JOL Press : Abdelhakim Dekhar avait déclaré en 1994 être un « membre des services secrets algériens », envoyé dans les squats d’extrême gauche et anarchistes pour y dénicher des islamistes. Ces déclarations relèvent-elles davantage du fantasme que de la réalité ?

Christophe Bourseiller : Il s’agit probablement d’affabulations. Dekhar n’a jamais été ni un leader ni un théoricien. Il n’a sans doute jamais participé aux services secrets algériens. D’ailleurs, pourquoi les Algériens s’intéresseraient-ils à une poignée de squatteurs autonomes, pratiquant des hold-up ?

Nous assistons en réalité à la tragique dérive d’un homme seul, au comportement suicidaire. Les autonomes incarnent depuis les années 70 un courant post-anarchiste, désireux de rompre avec les carcans organisationnels, pour entrer en phase avec la spontanéité des masses. Ils n’ont aucune espèce de lien avec l’islamisme.

JOL Press : Existe-t-il des collusions entre une certaine gauche de la gauche et l’islamisme ?

Christophe Bourseiller : Certains courants trotskistes ont tissé des liens avec les Frères Musulmans dès l’année 2002. Il s’agissait d’entrer en contact avec les islamistes les plus « sociaux ».  Ces liens existent toujours à des degrés divers. 

JOL Press : D’où viennent ces relations ? Depuis quand existent-elles ?

Christophe Bourseiller : Ces relations se sont tissées dans les mois qui ont suivi l’attentat du World Trade Center. Ils sont originellement le fait d’un puissant courant trotskiste, actif dans les pays aanglo-saxons : la Tendance socialiste internationale. Cette tendance a depuis lors passé un accord avec la Quatrième Internationale.

En France, les partisans de la TSI sont actifs dans le Nouveau Parti anticapitaliste, dont certains membres participent au collectif des Indigènes de la République, favorables aux femmes voilées. 

JOL Press : Quelles valeurs ou idéologies politiques partagent ces militants d’extrême gauche et certains islamistes ?

Christophe Bourseiller : L’idée est simple. De même qu’il a naguère existé dans l’Église catholique une « théologie de la libération », regroupant les chrétiens favorables à la lutte de classes, il devrait y avoir dans le monde musulman un équivalent. Certains trotskistes ont cru le trouver chez Tariq Ramadan et les Frères musulmans.

JOL Press : Comment concilier le féminisme et l’islamisme, la liberté des mœurs et une lecture rigide du Coran ? 

Christophe Bourseiller : On ne peut les concilier. D’où le grand écart de ces militants laïcs, féministes, révolutionnaires et anticléricaux.

JOL Press : Existe-t-il un islamisme rouge, au niveau mondial ?

Christophe Bourseiller : Evidemment pas, puisque l’islamisme est incompatible avec les idées marxistes.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Christophe Bourseiller est écrivain, journaliste et professeur à l’Institut d’études politiques. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, parmi lesquels Vie et Mort de Guy Debord, Histoire générale de l’ultra-gauche et Extrêmes gauches : la tentation de la réforme.

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