Site icon La Revue Internationale

Arctique: Le pôle Nord pourrait-il être canadien?

[image:1,l]

JOL Press : Quel est aujourd’hui le statut du pôle Nord ?
 

Frédéric Lasserre : Le point spécifique du pôle Nord se trouve dans les eaux internationales, que l’on appelle dans le jargon juridique « la zone ». Pour le moment, le pôle Nord n’appartient à personne. Il est cependant revendiqué par la Russie, qui a déposé en 2001 une demande d’appropriation à la commission des Nations unies, demande qui s’est vu refusée en 2002. La Russie doit soumettre bientôt une nouvelle demande. Et l’an dernier et cette année, le Danemark a fait des demandes partielles, concernant l’extension du plateau continental. La souveraineté de ces États est pour le moment limitée à 200 miles marins.

JOL Press : Que représente le pôle Nord pour le Canada ?

Frédéric Lasserre : Les demandes pour l’extension du plateau continental doivent s’appuyer sur des preuves d’ordre géologique. Les États doivent donc rassembler un certain nombre d’éléments pour montrer à la commission des Nations unies que l’on a bien affaire à une extension physique et biologique du plateau continental, au-delà de la limite des 200 miles marins.

Or, quand on regarde une carte de l’océan Arctique, on remarque que le pôle Nord se trouve en plein dans une plaine abyssale, à plus de 4000 mètres de profondeur, donc le pôle Nord a très peu de chances de faire partie du plateau continental canadien.

À partir du moment où l’on n’est pas sur un plateau continental, il y a par ailleurs peu de chances qu’il y ait des ressources. D’un point de vue stratégique, la demande de souveraineté a d’autant moins d’intérêt que, sur les plateaux continentaux, les États côtiers ont des droits souverains uniquement sur les ressources du sol, mais ils ne peuvent pas contrôler la navigation ou la pêche. C’est donc une revendication avant tout symbolique.<!–jolstore–>

JOL Press : Existe-t-il des ressources en pétrole disponibles dans cette zone ?
 

Frédéric Lasserre : Dans cette zone, probablement pas. Dans l’ensemble de l’océan Arctique, oui, il y a des ressources minières et gazières. On a une idée de l’ordre de grandeur de ces ressources : on dit que dans l’Arctique, il reste environ 13% des ressources de pétrole et 30% des réserves de gaz à découvrir. La plupart des géologues s’accordent à dire qu’elles sont généralement près des côtes, à l’intérieur des zones économiques exclusives.

Donc dans des plateaux continentaux étendus au-delà des 200 miles marins, il y a peut-être des ressources, mais s’il y en a, elles ne le sont pas en grande quantité d’après ce que l’on connaît à l’heure actuelle, bien sûr. Ce n’est donc pas cela qui motive fondamentalement les États, même s’ils espèrent trouver quelque chose, peut-être d’ici 20 ou 30 ans.

JOL Press : Qu’est-ce qui motive alors les États à se lancer dans la « course au pôle Nord » ?
 

Frédéric Lasserre : S’ils déposent ces dossiers de demande d’extension de leur plateau continental, c’est pour deux raisons : d’abord, c’est une possibilité que leur offre la Convention sur le droit de la mer qu’ils ont ratifiée. Ensuite, c’est parce qu’il y a une date limite pour déposer ces demandes. Ce n’est pas une course contre les voisins, mais une course contre la montre ! À partir du moment où un État ratifie la Convention, il dispose de dix années pour déposer son dossier. C’est cela qui explique les démarches actuelles, plus que l’espoir de trouver des ressources dont l’exploration dans les zones économiques exclusives se révèle déjà extrêmement complexe et coûteuse.

JOL Press : Peut-on imaginer que le pôle Nord revienne un jour au Canada ou bien la « guerre » avec la Russie et le Danemark va-t-elle continuer ?
 

Frédéric Lasserre : Comme je l’ai dit, c’est une revendication assez symbolique, donc je ne pense pas que les États s’engageront dans une querelle autre que rhétorique concernant le contrôle du pôle Nord.

Quant à savoir comment la Commission statuerait, cela dépendra notamment de ce que le Canada va inclure dans son dossier comme éléments de preuves géologiques. C’est avant tout une décision politique de dernière minute, donc pour le moment, les éléments de preuves que le Canada est capable d’avancer sont assez ténus.

Mardi 10 décembre, le ministre des Affaires étrangères a par ailleurs souligné que l’exploration du plateau continental ne serait que partielle et qu’une autre campagne d’exploration serait lancée dans un ou deux ans pour compléter le dossier et fournir d’autres arguments.

Ce qui est aujourd’hui plus intéressant, c’est le statut de la « dorsale de Lomonossov », chaîne de montagnes sous-marines qui se trouve environ à 80 ou 100 kilomètres à l’ouest du pôle Nord et qui, elle, pourrait potentiellement être plus intéressante que le Pôle Nord, pour le Canada, le Danemark ou la Russie. On ne sait pas encore bien si c’est le prolongement de la plaque eurasienne ou de la plaque nord-américaine. Ce sera à la Commission de trancher.

La Commission pourrait rende un verdict favorable à la Russie ou au Danemark ou encore au Canada. Il se peut aussi que la dorsale soit un prolongement des deux plaques continentales. Comme il se peut qu’elle ne soit le prolongement d’aucune des deux plaques… Quelle que soit sa position, le fait que le pôle Nord soit encore plus éloigné du Canada me rend assez sceptique quant au statut canadien du Pôle Nord.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

————————————————————————-

Frédéric Lasserre est professeur de l’Université Laval à Québec, spécialiste des aspects géopolitiques de l’Arctique canadien et des changements climatiques, ainsi que des enjeux stratégiques de la gestion de l’eau et du droit de la mer.

Quitter la version mobile