Site icon La Revue Internationale

Égypte: Le référendum aura valeur de vote de confiance pour l’armée

armee-constitution-egypte.jpgarmee-constitution-egypte.jpg

[image:1,l]

JOL Press : Les Egyptiens s’apprêtent à voter à l’occasion du référendum sur la constitution. Doit-on s’attendre à une forte mobilisation des électeurs ?
 

Barah Mikail : Tout dépend de ce que l’on entend par mobilisation. Si l’on parle des grandes agglomérations, et en particulier celles d’entre elles qui ont connu de forts mouvements de manifestations ces derniers mois, comme Le Caire et Alexandrie, alors oui, celles-ci devraient faire valoir un taux de participation important, peut-être pas forcément écrasant pour autant. Mais à échelle nationale, il y a de fortes chances que l’on ait à relativiser le pourcentage de la participation. Je crois que celui-ci dépassera toutefois les 50% de la population ce qui, si cela se vérifie, apporterait au référendum une forme de justification a posteriori.

JOL Press : Les Frères musulmans ont appelé à boycotter le scrutin. Cependant, la population paraît fatiguée par trois ans de crise politique et prête à tout pour retrouver un semblant de stabilité. Dans ce contexte, l’appel au boycott sera-t-il suivi ?
 

Barah Mikail : Le boycott auquel appellent les Frères musulmans sera de toute façon suivi par la base populaire qui les soutient. Mais cela ne veut pas pour autant dire que la situation s’étendra au-delà. Si je crois que l’on peut raisonnablement s’attendre à une absence d’intérêt de la part d’une partie non négligeable de la population égyptienne pour ce référendum, cela ne veut pas dire que tous ceux qui le boycotteront le feront par suivisme des Frères musulmans. L’image et la popularité des Frères sont sérieusement mis à mal et ils paraissent effectivement avoir perdu aujourd’hui une partie conséquente de leurs soutiens. Il ne faut en effet pas oublier que ceux qui avaient opté pour l’élection de Mohammed Morsi à la présidence égyptienne n’étaient pas tous des islamistes. En ce sens, oui, la lassitude des Egyptiens et leur volonté d’aller de l’avant devraient bénéficier à ce référendum, à tout le moins pour ce qui concerne le taux de participation. Mais l’appel au boycott par les Frères musulmans est à prendre pour ce qu’il est vraiment : un déterminant parmi beaucoup d’autres.

JOL Press : Les libéraux, eux-aussi, dénoncent un texte trop favorable aux pouvoirs de l’armée. Pourraient-ils voter massivement « non » ?
 

Barah Mikail : Les libéraux dénoncent en effet ce qu’ils considèrent être des abus dans le texte mais l’important, c’est ce que pense leur base. Et même celle-ci semble divisée, je crois qu’il ne faut pas exagérer ce que l’on croit être un amalgame que les Egyptiens feraient entre Moubarak et le général Sissi. Bien sûr, la population continuera à faire valoir son attachement à limiter les régressions sur le plan des droits et des libertés. Mais sa crainte du futur ne veut pas nécessairement dire qu’elle rejettera en bloc la constitution. A supposer par ailleurs que cela soit le cas, n’oublions pas pour autant que le courant libéral est à mille lieues de représenter les aspirations d’une majorité des Egyptiens. Je demeure persuadé que, dans les orientations globales à échelle nationale, ce sont plutôt des formes déclinées de conservatisme (religieuses soient-elles, idéologiques ou politiques) qui dominent.

JOL Press : D’un point de vue extérieur, ce projet de constitution ne semble soutenu par personne. Est-ce vraiment le cas en Egypte ?
 

Barah Mikail : Seul le résultat des élections nous le dira, mais si ce projet de constitution n’était vraiment soutenu par personne pourquoi dès lors aurait-il été proposé ? Les opposants à ce texte ont tous leurs raisons propres de faire valoir leur mécontentement, mais beaucoup d’entre eux ne rejettent pas pour autant le texte en bloc. Il faut pour cela garder à l’esprit le fait que les Egyptiens sont inquiets devant les risques posant sur un pays connu jusqu’à peu pour sa stabilité. La violence au Sinaï, la perte dramatique par le pays de sa posture régionale, les fortes tensions sociales et leur traduction par des violences générant des morts, tout cela semble les mettre devant un impératif : celui de consacrer un leader fort qui saura limiter la casse. C’est en ce sens que je crois que l’avantage de Sissi est qu’il incarne la seule personne connue crédible et dotée de moyens d’action efficaces pour préserver l’image et la sécurité de l’Egypte. C’est en ce sens qu’une partie du référendum sur la constitution a valeur de référendum sur la personne de Sissi.

JOL Press : Peut-on vraiment croire que cette constitution, si elle est votée, pourrait apporter la paix en Egypte ?
 

Barah Mikail : Absolument pas, la situation en Egypte dispose de déterminants qui dépassent le cas de cette seule constitution. La paix sociale ne sera pas garantie du jour au lendemain, quelle que soit l’issue du référendum. Mais je pense cependant que le succès de ce référendum est nécessaire si l’on veut limiter le renforcement des tensions et affrontements qui ont prévalu depuis le coup d’état du 3 juillet. Aussi critiquable soit cette constitution, et aussi gênant soit son cautionnement d’un pouvoir militaire fort, l’Egypte demeure bel et bien dans une situation d’état d’urgence qui nécessite le recours à une personnalité forte. Bien que cela fracasse les théories sur la supposée naturelle et pressée allégeance des populations à l’endossement des conditions nécessaires pour la consolidation d’un processus démocratique exempt de failles apparentes. Que les Egyptiens soient majoritairement en faveur de la démocratie, c’est très probable. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu’ils en font le seul critère d’appréciation pour leur vote. La sécurité me semble un impératif bien plus grand à leurs yeux, quitte à ce que celle-ci ne puisse être rétablie que par étapes.

JOL Press : En cas d’adoption du texte, comment pourraient réagir les Frères musulmans ? Quels sont leurs moyens d’action politique maintenant qu’ils sont devenus une « organisation terroriste » ?
 

Barah Mikail : Les Frères musulmans ont perdu beaucoup de leurs capacités d’action, surtout depuis leur évincement du pouvoir. Ils vont certes continuer à faire valoir leur opposition à l’ordre ambiant et clamer leur propre légitimité, que la constitution emporte une majorité des votes ou non. Mais leurs recours sont des plus limités maintenant qu’ils sont hors système. Il faudra voir si, pour les échéances électorales à venir, ils tenteront la participation à travers des candidats présentés officiellement comme indépendants. Si cela est le cas, ce ne sera ni plus ni moins qu’un retour à la situation qui prévalait sous Moubarak. Mais avec des chances en moins pour eux de reconquérir la partie de l’électorat qui ne leur fait plus confiance. 

Quitter la version mobile