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Entre franc-maçons et scientologues, qui sont les Gülenistes turcs?

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Le Premier ministre turc n’en finit pas de s’en prendre à ses nouveaux pires ennemis. Accablé par un scandale financier qui n’en finit pas, Recep Tayyip Erdogan lance chaque jour une nouvelle pique contre une confrérie, celle du prédicateur musulman Fethullah Gülen, accusée d’être à l’origine de ce que le Premier ministre qualifie de complot à son encontre.

Recep Tayyip Erdogan veut alerter sur les dangers des Gülenistes

Le 15 janvier dernier, le Premier ministre était à Ankara et prononçait un discours devant les ambassadeurs turcs. Recep Tayyip Erdogan a profité de cette occasion pour demander à tous les représentants de la Turquie dans le monde de témoigner du « véritable visage de cette organisation », de « ses ambitions et ses désirs » et des « dimensions du danger » qu’elle représente.

« L’empire de la peur instauré par cette organisation, particulièrement dans la justice et dans la police doit être parfaitement explicité », a insisté le chef du gouvernement.

« Nous n’acceptons pas la terreur, qu’elle soit séparatiste, religieuse, ethnique ou sectaire. Pour nous la terreur est la terreur, d’où qu’elle vienne. Et nous la condamnons fermement », a finalement conclu Recep Tayyip Erdogan, sans jamais identifier clairement le nom de cette confrérie, mais ne parlant que d’une « organisation » ou d’un « gang criminel ».

Un Etat dans l’Etat

C’est sans doute l’affaire la plus grave à laquelle doit faire face le Premier ministre depuis qu’il est arrivé au pouvoir il y a dix ans. Il y a plusieurs semaines, la justice turque a inculpé et placé en détention plusieurs hommes d’affaires, élus et les deux fils de deux ministres qui ont été mis en cause dans une vaste affaire de corruption. Pas moins de dix ministres ont été mis à la porte, volontairement ou contre leur gré, en une soirée.

Derrière ces hommes, c’est le parti au pouvoir qui est directement accusé de ce scandale financier et même dans son propre camp, le Premier ministre commence à voir partir ses alliés.

Parmi eux, la confrérie dirigée par le prédicateur musulman Fethullah Gülen. Ce dernier, pourtant fidèle ami de l’AKP depuis 2002, est en fait furieux du projet gouvernemental qui tend à supprimer les établissements de soutiens scolaires privés, une des principales ressources de l’organisation. Le Premier ministre accuse cet homme d’avoir entièrement mis en place ce complot afin de nuire à sa personne.

Depuis, Recep Tayyip Erdogan a alors lancé une vaste opération de communication pour sauver sa place au milieu de ce marasme politique et a été très clair, il ne cèdera pas à une tentative de déstabilisation mise en œuvre par un « Etat dans l’Etat » – tel qu’il qualifie les islamistes de Fethullah Gülen –  afin de « salir » et « détruire » les progrès que ce dernier a permis à la Turquie de faire depuis plusieurs années.

Une organisation sectaire

La confrérie de Fethullah Gülen semble avoir définitivement rompu les relations qu’elle entretenait avec l’AKP. Ils étaient pourtant alliés de longue date, bien que la confrérie des Gülenistes ait toujours revendiqué son indépendance de toute organisation politique.

Depuis, cette étrange organisation secrète est devenue le centre de l’attention du monde entier et l’on se demande alors qui et ce qu’il se cache derrière ce groupe aux contours sectaires.

Parmi les trois millions de fidèles que compterait cette organisation financée par de riches hommes d’affaires, ils sont nombreux à être installés dans les hauts postes de la police et de la magistrature. C’est ce constat qui pousse d’ailleurs Recep Tayyip Erdogan à estimer que l’enquête contre lui est totalement manipulée par les Gülenistes.

La confrérie se targue également d’être suivie par 10 millions de sympathisants, en Turquie ou ailleurs, partout où elle s’est implantée.

« Elle est organisée comme une secte », explique un chercheur français, qui a préféré garder l’anonymat, à France 24. « Dans certains lieux ‘gülénistes’ à Istanbul, on a vraiment l’impression d’être dans un établissement scientologue. Ils délivrent des discours d’amour universel et diffusent des documents sur lesquels on peut voir des célébrités. Des cours sont dispensés dans les écoles gülenistes, mais impossible de savoir jusqu’à quel point les enseignements sont religieux », note-t-il encore.

Un fonctionnement qui rappelle étrangement les loges franc-maçonnes. « Les gülénistes sont très soucieux de leur image, qu’ils contrôlent totalement. La plupart des membres n’ont d’ailleurs même pas le droit d’évoquer la confrérie », indique le chercheur à France 24.

A la rencontre de Jean-Paul II

Derrière cette organisation, c’est la personnalité de Fethullah Gülen qui intrigue. Ce penseur musulman vit depuis 1999 en exil aux Etats-Unis.

Depuis qu’il a commencé à prêcher, Fethullah Gülen s’est attaché à enseigner une version de l’islam moderne et inspirée de la démocratie et du dialogue interconfessionnel. C’est ainsi qu’il a souhaité rencontrer les autres religions, comme l’illustre sa rencontre avec le pape Jean-Paul II.

Considéré comme une des personnalités musulmanes les plus importantes au monde, Fethullah Gülen a été élu penseur le plus influent de l’année par le magazine Foreign Policy en 2008.

Depuis 1990, Fethullah Gülen fait de nombreux adeptes à l’étranger. En France, une école de la confrérie a ouvert ses portes à Villeneuve-Saint-Georges, dans le Val de Marne.

Fethullah Gülen président ?

En 2015, le mandat de l’actuel président Abdullah Gül s’achève. Celui-ci n’avait que peu de pouvoirs mais une révision prochaine de la Constitution pourrait bien conférer à cette fonction une toute autre importance. Ils sont alors nombreux à se demander si Fethullah Gülen ne pourrait pas être l’homme de la situation pour redresser le pays.

Pour le moment, Recep Tayyip Erdogan se verrait très bien remplacer celui avec qui il a fondé l’AKP. Or pour la première fois, le président sera directement élu par les électeurs et encore une fois, l’actuel Premier ministre vient de voir ses ambitions ébranler par cette dernière affaire.

Les électeurs pourraient-ils se tourner vers Fethullah Gülen ? Tout est possible, affirment les observateurs, bien que celui-ci semble avoir mal joué sa carte dans le scandale financier qui touche le gouvernement. Depuis que l’opinion publique a compris que ce sont ses proches infiltrés dans tous les services judiciaires et policiers qui ont permis la révélation de ce scandale, cette figure islamiste a quelque peu perdu de sa prestance.

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