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Keizer, ce graffeur égyptien qui a tout d’un Banksy

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L’Égypte vient de célébrer les trois ans de sa révolution. Trois années d’instabilité, marquées par la destitution brutale de deux chefs d’État, Moubarak et Morsi, à l’appel de la rue.

C’est pendant cette période de bouleversements politiques et sociaux que des dizaines d’artistes contestataires ont émergé dans le monde arabe. Dessinateurs, caricaturistes, graffeurs… Le Printemps arabe a été le terreau d’une effervescence artistique qui ne s’essouffle pas.

Des messages percutants

S’il a commencé son travail quelques temps avant le début de la révolution égyptienne, les œuvres de Keizer ont trouvé, dans les rues du Caire, un écho d’autant plus fort pendant le soulèvement de la population en janvier 2011, qui a abouti à la chute de Moubarak. 

Le graffeur égyptien, qui refuse de révéler son âge et sa véritable identité – seuls sa famille et un cercle restreint damis sont au courant – explique à JOL Press quil ne veut pas courir le risque de se faire arrêter par la police, même s’il conseille, pour ne pas se faire prendre, de « ne pas montrer que tu as peur et de courir comme un fou seulement s’il le faut… »

« J’ai choisi l’anonymat pour ma sécurité, tout simplement parce que je crois vraiment en la capacité d’influence du street art, qui peut pousser au changement par le dialogue visuel et la provocation », explique-t-il. En quelques coups de peinture, le graffeur arrive en effet à laisser sur les murs de la ville des messages politiques percutants. 

« Les forces de l’ordre comprennent la puissance et l’impact de ce média aussi bien en Égypte qu’à l’échelle mondiale […]. Cela fait de moi une cible sur le long terme, avec l’avènement du nouvel État policier en ÉgypteSelon moi, si le street-art n’avait pas le pouvoir de faire la différence, il serait ignoré par les autorités ».

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Banksy, Blek le rat et tous les inconnus

Armé de ses bombes de peinture, ce « street-artist » parcourt les quartiers de la capitale égyptienne, s’attaquant au pouvoir de l’armée, au consumérisme, au communautarisme et à toutes les formes d’inégalités. Dessins naïfs mais incisifs, jeux de mots, portraits ou slogans détournés : le travail de Keizer, qui rappelle celui du célèbre graffeur anglais Banksy, transforme les murs du Caire en véritables œuvres d’art.

D’ailleurs, que pense-t-il de Banksy ? « C’est un honneur de voir mon nom figurer à côté de lui dans la même phrase, c’est flatteur », explique-t-il, « mais je ne suis pas le seul impliqué : tous les artistes de rue socio-politiques, dont je fais partie, doivent à Banksy le fait de rendre cette forme d’art commercialisable et attrayante. Mais nous avons aussi une énorme dette envers l’artiste français Blek le rat, qui est le parrain de ce mouvement ».

Quant à savoir qui sont les artistes qui l’inspirent, Keizer confie qu’il y en a tellement qu’il a peur d’oublier de mentionner certains qu’il admire. « En ce moment, je suis plus inspiré par des jeunes artistes inconnus, que je découvre tous les jours. Ils ont des talents incroyables qui me rendent optimiste pour le futur ».

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D’un mur à un autre

Le graffeur, qui explique sêtre lancé dans le street-art pour lutter contre loppression et linjustice, souhaitant avant tout transmettre le message « Pense par toi-même et questionne la réalité », n’expose pas seulement ses dessins sur les murs du Caire.

Il les publie également sur le mur de sa page Facebook, qui rassemble aujourd’hui plus de 6 500 fans. Certains de ses dessins, comme celui représentant une femme tenant sur sa tête un immeuble à la manière des femmes traditionnelles, sont accompagnés de messages.

« Cette œuvre est dédiée à nos femmes ouvrières et salariées qui rendent notre vie quotidienne en Égypte possible. Pour les belles mères qui travaillent dur, les femmes de ménage, cuisinières, agricultrices, infirmières, vendeuses de légumes, etc. Celle-ci est pour vous. Merci », peut-on lire dans un message accompagnant ce dessin repris dans plusieurs médias étrangers.

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Un travail de fourmi

Keizer organise son travail en deux temps. La journée, il fait ses pochoirs et ses dessins chez lui. Tard le soir, il les applique sur les murs de la ville. Un travail consciencieux, qui lui permet néanmoins d’échapper aux regards indiscrets.

Dailleurs, parmi ses nombreux dessins, un symbole apparaît à plusieurs reprises : celui de la fourmi. Elle court, géante ou minuscule, sur les murs cairotes. « Les fourmis sont les grands oubliés, les sans-voix, les anonymes, ceux qui sont marginalisés, dégradés, victimes du capitalisme, les méconnus, les sans-noms, ceux qui sont morts au cours des siècles de guerres, de génocides et de nettoyages ethniques », explique-t-il sur sa page Facebook.

« Elles sont la classe ouvrière, les gens ordinaires, de bons êtres humains qui travaillent dur et qui souhaitent joindre les deux bouts lorsque la connexion a été déjà été rompue par la cupidité de l’industrie. […] Elles forment la colonie qui lutte et se sacrifie aveuglément pour la reine fourmi et sa monarchie. […] Il est temps pour le peuple des fourmis de montrer à leur reine que c’est uniquement grâce à elles qu’elle a autant de pouvoir » conclut-il dans ce message – à peine – subliminal.

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« Des messages révolutionnaires dans les quartiers aisés »

Interrogé par Europe 1, le graffeur autodidacte, qui a fait des études de communication « qui ne lui ont servi à rien », raconte qu’il a voyagé aux quatre coins du globe, multipliant les petits boulots. « Je suis très content, je m’estime même chanceux de n’avoir jamais été confiné à une école de pensée ou à une méthode artistique », confie-t-il à JOL Press « Cela aurait enterré mon approche subversive et ma créativité satirique ».

En pleine révolution égyptienne, source intarissable d’inspiration, il réalise quasiment une œuvre par jour sur les murs de la capitale. La chute de Mohamed Morsi en juillet 2013 lui inspirera encore d’autres nombreux dessins, certains détournant le visage du président déchu.

Désormais, il explique qu’il sort entre une et trois fois par semaine, la plupart du temps tard le soir, en vélo, caché sous sa capuche, choisissant ses quartiers avec soin : « dans des endroits plus passifs où il y a des gens plus aisés […] il y a besoin de messages plus révolutionnaires. À Tahrir par exemple [la place qui fut le symbole de la révolution en 2011, ndlr], je ne vais pas aller écrire : « révoltez-vous » ou « liberté ». Ils savent ce que c’est la révolution », explique-t-il sur Europe 1.

En général, il choisit le lieu en fonction du message, de la zone, du mur, de la classe sociale qui vit dans le quartier. « Certains ont été faits dans des bidonvilles, spécialement pour eux, d’autres messages ont été écrits à l’adresse des élites, et parfois c’est la totale improvisation », explique-t-il à JOL Press.

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Ses œuvres en vente

Aujourd’hui, l’artiste arrive à vivre de son art en vendant ses œuvres, notamment à des « femmes mariées à des millionnaires et qui veulent juste avoir un Keizer devant les yeux lorsqu’elles boivent leur thé. […] Si un père de famille veut un portrait de son fils, je ne vais pas lui demander 600 livres égyptiennes. Il est possible que je le fasse gratis », indique-t-il encore à Europe 1

Ses fans peuvent se réjouir : il est désormais possible de lui acheter directement ses œuvres par Internet. L’artiste l’a fait savoir il y a quelques jours sur sa page Facebook : « après avoir passé trois ans à échapper aux autorités et à travailler sous la couverture de l’obscurité », Keizer se livre – presque – au grand jour.

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