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L’Irak peut-il encore échapper à une guerre civile?

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Après plusieurs jours d’observation, les autorités irakiennes ont décidé de laisser du temps aux dignitaires locaux de la ville de Fallouja pour éliminer eux-mêmes la menace terroriste. Depuis le 3 janvier dernier, un groupe proche d’Al-Qaïda, l’Etat islamique en Irak et au Levant (EEIL), a pris le contrôle de cette ville à majorité sunnite. Mercredi 8 janvier, les combats se sont poursuivis toute la journée et même s’il est difficile de déterminer les acteurs qui ont pris part à ces combats, quatre groupes seraient actifs : les forces de sécurité irakiennes, les tribus hostiles aux groupes djihadistes, les militants de l’EEIL et les groupes locaux qui leur sont favorables.

Ce qu’elles veulent

Ce n’est pas la première fois que le monde entend parler de islamistes extrêmistes. Créé en dans le sillage de l’invasion américaine en Irak, en 2003, l’EEIL a eu plusieurs patronymes avant d’être baptisé du nom de leur projet. En effet, l’objectif revendiqué par ces « ultras » parmi les djihadistes affiliés à Al-Qaïda est de créer un grand califat islamique qui serait à cheval sur le Liban, la Syrie et le nord de l’Irak.

C’est dans cette zone que les membres de l’EEIL, qui seraient entre 5 000 et 6 000 agissent depuis leur création. Des attentats contre le Hezbollah chiite libanais à la guerre qu’ils mènent actuellement pour prendre le contrôle du nord de la Syrie, l’EEIL a su témoigner de sa détermination et de sa volonté de contrôle sur tous les musulmans sunnites de la région. Une ambition hégémonique qui a valu à l’EEIL de se mettre à dos la plupart des groupes djihadistes qui combattent en Syrie.

Pourquoi maintenant ?

Depuis l’intervention américaine, la situation politique n’a jamais réussi à retrouver une stabilité nécessaire. En Irak peut être plus qu’ailleurs, la démocratie imposée a en effet du mal à trouver sa place.

« Depuis le renversement de Saddam Hussein et la mise en place d’un gouvernement irakien issu d’élections ‘démocratiques’, selon le principe ‘un homme – une voix’, les Chiites, majoritaires en Irak, avec leurs alliés kurdes, qui composent à eux deux plus de 70 % de la population de l’Irak, ont naturellement gagné les élections et ont formé un gouvernement », explique ainsi Karim Pakzad, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques. « Mais dans une société où les Arabes sunnites, même minoritaires, ont gouverné pendant plusieurs décennies le pays et, surtout habitués aux largesses de Saddam Hussein, il est difficile d’accepter le statut d’une minorité à leur tour en marge du pouvoir ».

Dans un pays où les communautés sont profondément divisées, « la politique autoritaire de Maleki et l’absence d’une véritable partage du pouvoir avec les Arabes sunnites ont fait de ce cette communauté un terrain favorable aux organisations islamistes extrémistes », ajoute encore cet expert.

Il n’aura alors fallu qu’une étincelle pour que cette situation délicate n’explose. Le démantèlement, le 30 décembre dernier, d’un camp de protestataires anti-gouvernementaux installés à Ramadi a suffi pour que l’EEIL passe à l’offensive.

De quoi cette situation est-elle le révélateur ?

La crise syrienne, depuis qu’elle a démarré il y a bientôt trois ans, n’a cessé de vouloir déborder de l’autre côté de ses frontières. D’abord au Liban, où les communautés religieuses s’affrontent comme en écho aux combats qui opposent sunnites et alaouites en Syrie, mais aussi en Irak, où la majorité chiite au pouvoir a naturellement cherché à soutenir le régime de Bachar al-Assad tandis que la minorité sunnite s’est retrouvée parmi l’opposition au régime.

Cependant, si la crise syrienne est le révélateur d’une crise, c’est bien de celle laissée par les Américains après leur départ d’Irak. C’est en tout cas ce qu’estime Chas Freeman, ancien ambassadeur américain interrogé par Le Figaro.

« Ce qui se passe montre l’absurdité de nos efforts. Nous avons couvert notre retraite avec le surge (opération américaine menée entre 2007 et 2009, ndlr), en favorisant la purification ethnique au profit des chiites afin de parvenir à une certaine stabilité, mais les fractures sectaires n’avaient jamais disparu. Ce qui se passe est la continuation de l’anarchie et de la guerre civile que nous avons provoquées en intervenant », explique ce spécialiste de la région.

Vers une guerre civile ?

S’il est difficile à ce jour d’imaginer quelles pourront être les conséquences d’une telle crise, les observateurs de la région sont pessimistes et dans un pays au bord de la guerre civile depuis plusieurs mois, il n’en faudrait pas beaucoup plus pour que la situation n’explose.

« Nous sommes très très inquiets », avouait cette semaine le secrétaire d’Etat américain John Kerry, après avoir annoncé que les Etats-Unis n’enverraient pas de troupes sur place.

« Après quasiment quatre années d’accalmie durant lesquelles on pensait que l’Irak maitrisait la situation, on a assisté, à partir de la fin 2011, à une dégradation de la situation et à une multiplication des attentats suicides et terroristes, notamment contre la communauté chiite », rappelle Karim Pakzad. « Aujourd’hui, nous sommes face une situation extrêmement compliquée. Personnellement, je pense que la démocratie, telle que nous la connaissons en Occident, à savoir basée sur des élections démocratiques, a échoué en Irak », juge-t-il encore.

« Tant que le gouvernement irakien n’aura pas trouvé un système pour que la communauté arabe sunnite ne se sente pas exclue du pouvoir, l’instabilité demeurera », conclut encore cet expert.

Quelle solution pour éviter une guerre civile ? « Ce qu’il faudrait, c’est un médiateur entre chiites et sunnites et les Américains ne sont pas bien placés pour jouer ce rôle, pas plus d’ailleurs que les Européens. Je ne vois que les Russes, mais en ont-ils envie ? », ajoute pour sa part Chas Freeman.

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