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Ukraine: le désir d’Europe est un désir de démocratie et de libertés

[image:1,l] Drapeau européen dans les rues de Kiev (crédit : Mykhaylo Palinchak / Shutterstock.com )

JOL Press : Compte tenu de la situation en Ukraine, dans quelle atmosphère s’est déroulé le sommet Union européenne – Russie de ce mardi ? Quel message l’Union européenne avait à transmettre à Vladmir Poutine ?

Jean-Marie Cavada : La première chose, c’est de clarifier le rôle de l’Union européenne qui négocie, depuis de longues années, un accord de haut niveau – essentiellement composé d’échanges économiques mais aussi de rapports politiques réguliers – avec l’Ukraine et de dire ce que l’Union européenne veut.

L’Union européenne n’a aucune vocation à se mêler du choix des Ukrainiens. Nous n’avons pas vocation à entretenir des cercles qui feraient basculer l’Ukraine, davantage encore, vers l’Union européenne – d’autant plus que c’est plus complexe que cela cet apparent « désir d’Union », ce désir de se tourner vers l’Europe.

L’Union européenne a vocation à laisser, et à garantir – car c’est un voisin de la Pologne, notamment – que le gouvernement ne réprimera pas la population, et notamment son opposition, libérera les prisonniers des prisons, abolira – et c’est fait depuis mardi matin – les lois du 16 janvier, répressives, qui avaient été votées à la hâte, à coups d’amendements additionnés à une loi de finances – une pratique assez bizarre – et, enfin, respectera les normes démocratiques qui sont les nôtres.

Pour le reste, c’est aux Ukrainiens de choisir. Nous, ce que nous voulons, c’est que la démocratie s’applique, qu’on ne torture pas dans les prisons, que la police rentre dans ses casernes et que le peuple ukrainien, qui est très friand de liberté – c’est un pays très étrange qui a besoin, depuis longtemps, de l’expression de libertés, liberté d’association, liberté d’opinion, liberté de réunion -, vivent comme il le souhaite.

L’Union européenne doit se limiter à cela. Vladimir Poutine doit l’entendre cela. Nous n’avons pas de visées colonialistes sur l’Ukraine. Il doit le comprendre même si c’est assez difficile dans le climat actuel.

JOL Press : Au-delà des déclarations d’intention, de quels moyens disposent l’Union européenne pour se faire entendre, pour faire prévaloir ses positions ?

Jean-Marie Cavada : Il y a deux champs d’action. D’abord, il faut développer notre action diplomatique puis, ensuite, éventuellement répressive, en termes financiers, vers l’Ukraine. La deuxième, c’est de développer une autre action diplomatique pour apaiser la Russie, pour apaiser Vladimir Poutine, et pour bien faire comprendre que nous ne devons pas compromettre nos relations bilatérales, tout à fait indispensables dans la mondialisation, et faire un pas l’un vers l’autre.

JOL Press : Que doit faire l’Union vis-à-vis des dirigeants actuels de l’Ukraine ?

Jean-Marie Cavada : User de diplomatie, réunir, tenter de réunir autour d’une table-ronde le président Ianoukovitch et son opposition – c’est que qu’essaient de faire Madame Catherine Ashton et le commissaire Stefan Füle, en charge des questions d’élargissement -, de le convaincre de la nécessité de faire marche arrière – c’est ce qui est en train d’être fait maintenant – et d’essayer d’équilibrer la population.

Si cela ne suffisait pas, si le Président devait conserver sa désastreuse position qui consiste à faire frapper sa population par ses forces de l’ordre – il y  a tout de même eu des morts, cinq officiellement et une soixantaine de disparitions non élucidées, et pour lesquelles on peut penser que la police politique a torturé et enfermé les victimes… -, alors nous devrions faire pression sur les avoirs des oligarques ukrainiens, qui ont trempé dans la répression, sur leurs avoirs en Europe. II y a beaucoup de gens qui ont des intérêts en Europe et il faut menacer de geler ces intérêts.

JOL Press : Tournons-nous de nouveau vers Moscou… Quel pourrait être l’intérêt pour Vladimir Poutine d’entendre le message européen ?

Jean-Marie Cavada : Vladimir Poutine est dans une position fragile en ce moment et sa nervosité le montre. La Russie avait conçu les Jeux Olympiques de Sotchi comme une sorte de ravalement de façade pour son prestige international, pour calmer aussi, un peu, son opinion intérieure – dont on ne peut pas dire qu’elle soit toujours très bien traitée.

La Russie a besoin de respectabilité actuellement. Or, cette position de respectabilité aux yeux de la communauté internationale semble compromise par les manœuvres à destination du pouvoir ukrainien.

Depuis qu’il est au pouvoir, Ianoukovitch n’a cessé de louvoyer, de balancer entre Moscou et Bruxelles. Donc la Russie est dans une position fragile et c’est le moment de lui faire entendre que nous ne voulons pas nous ingérer dans l’affaire ukrainienne mais que nous ne tolérons pas que l’Ukraine devienne la Biélorussie, c’est-à-dire une dictature.

JOL Press : N’est-ce pas aussi, paradoxalement, l’occasion d’approfondir le partenariat avec la Russie ?

Jean-Marie Cavada : Très franchement, aujourd’hui, le partenariat Union européenne – Russie est en piteux état. Malheureusement, car je suis de ceux qui pensent que nous devons trouver le moyen, comme la Russie aussi doit le trouver, d’entretenir des relations beaucoup plus souples.

En ce moment, il n’y a pas grand-chose qui marche dans ce partenariat. Économiquement, il y a plusieurs dossiers qui sont devant l’OMC – devant une sorte de tribunal de l’Organisation mondiale du commerce – et sur lesquels nous avons des différends. La question du survol de la Sibérie n’est toujours pas réglée. Et je ne vous parle même pas des droits de l’Homme… questions qui font hurler l’Union européenne et dont le président Vladimir Poutine se fiche allègrement.

JOL Press : Ce désir d’Union, ce désir d’Europe, manifesté par certains manifestants arborant des drapeaux européens dans les rues de Kiev, comment l’expliquez-vous ?

Jean-Marie Cavada : Depuis que l’Ukraine a retrouvé sa liberté – c’est-à-dire depuis une vingtaine d’années maintenant -, l’aspiration vers l’Europe a toujours été très forte.

Mais, nous Européens, nous pensons que c’est un signe, selon lequel, l’Ukraine voudrait absolument adhérer à l’Union. Non, ce que veulent ces Ukrainiens, c’est que l’on applique en Ukraine les libertés fondamentales, la charte des droits fondamentaux – liberté de la presse, liberté de se réunir, liberté de penser, liberté de circuler.

Or, ce n’est pas le cas, c’est un pays qui a toujours oscillé entre une sorte d’apparente démocratie et de pouvoir assez fort, assez musclé. Et, par conséquent, une partie de la population prend l’Europe à témoin comme le symbole des libertés exigées en Ukraine. C’est pour cela qu’elle nous appelle à l’aide, et non pour adhérer. Nous sommes loin, loin de là. L’Europe est un exemple de démocratie que des Ukrainiens souhaiteraient voir appliquer par le pouvoir et dont le pouvoir ferait bien de s’inspirer. Car, sinon, je ne donne pas cher de ce pouvoir.

Les Ukrainiens ne sont pas toujours des tendres. Ils ont une grande tradition de manifestation, de contestation. C’est un peuple ardent et belliqueux. Souvenez-vous de la grande grève des mineurs de 1989, qui ont jeté par terre le pouvoir et tout cassé sur leur passage. Cela ne plaisante pas et cela d’autant plus qu’actuellement cette opposition est traversée par des courants qui n’ont aucune parenté avec la revendication de liberté, qui sont des courants d’extrême droite – et certains néo-nazis – qui se sont joints aux manifestations. Ce sont des provocateurs nés et ils ont intérêt à mettre du désordre pour tenter de se rapprocher du pouvoir.

C’est très compliqué et, pour preuve, depuis 48 heures, les leaders de l’opposition ont tenté de maintenir un calme très précaire.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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