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Voile dans les facs, mixité, alcool… la laïcité menacée en Turquie

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Samedi 16 novembre, la présentatrice Feyza Cigdem Tahmaz apparaissait sur la chaîne câblée TRT Türk, pour présenter les informations de 17 heures, la tête recouverte d’un voile. Quelques semaines plus tôt, quatre députées s’étaient présentées, têtes voilées, à une séance du parlement turc. De tels évènements ne s’étaient pas produits depuis 1999 en Turquie, lorsque la députée Merve Kavakçi, membre du Parti de la vertu, s’était fait huée par toute l’assemblée parce qu’ elle portait un hijab.

Polémique sur le voile en Turquie

Ces apparitions sont considérées comme de nouvelles menaces contre la laïcité. Dans un pays laïc – depuis les réformes d’Atatürk, en 1923 – les Turcs sont de plus en plus nombreux à dénoncer la dérive « islamiste » du Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir depuis 2002.

Le Premier ministre islamo-conservateur turc, Recep Tayyip Erdogan, a récemment aboli l’interdiction de porter le voile islamique dans le secteur public et dans les universités. « C’est une interdiction douloureuse qui a causé beaucoup de souffrances: elle est enfin terminée. Une ère sombre a pris fin » a-t-il lancé à l’assemblée, dans le cadre de réformes destinées à « démocratiser le pays» Il a ainsi exhorté les parlementaires à respecter la décision de ces quatre députées, en déclarant qu’il « n’y avait aucun règlement au Parlement qui l’interdise et chacun doit respecter la décision de nos sœurs à ce sujet ».

Fin de la mixité dans les résidences universitaires

Au nom de la morale, le chef du gouvernement s’est également récemment attaqué à la mixité dans les résidences universitaires : « Nous n’avons pas autorisé et nous n’autoriserons pas que filles et garçons restent ensemble dans les résidences d’Etat » a-t-il déclaré, estimant que « toutes sortes de choses » pouvaient se passer dans des endroits mixtes. « Nous faisons et ferons ce qu’il faut. En tant que pouvoir d’inspiration démocrate et conservatrice, nous nous devons d’intervenir » a-t-il ajouté.

L’interdiction de la cohabitation hommes-femmes a déclenché une pluie de critiques dans la société turque. Pour les étudiants, cette mesure est une nouvelle atteinte à la laïcité: « Notre société qui se revendique conservatrice et islamique estime que les mariages religieux sont légitimes : elle pense que ce n’est pas moral lorsque deux amis discutent entre eux dans leur maison : je ne comprends et je n’accepte pas cette mentalité » a par exemple expliqué une étudiante interrogée par Euronews. Comment contrôler le respect de la mixité dans les résidences étudiants? Certains observateurs craignent de voir émerger une « police des mœurs » qui veillera à ce que les souhaits du premier ministre soient respectés. 

Interdiction de vendre de l’alcool

Toujours en prônant le « respect des mœurs », Recep Tayyip Erdogan a fait voter une loi cet été pour interdire la vente d’alcool entre 22 heures et 6 heures. Cette mesure appliquée depuis le début du mois de septembre, a suscité une levée de boucliers chez les commerçants et l’opposition laïque qui voient dans cette loi une énième manière pour le gouvernment de contrôler la vie privée de la population et d’islamiser davantage la société.

Pour la sociologue turque réfugiée en France, Pinar Selek,  il s’agit davantage « d’un renforcement des valeurs » : «  Le parti de la Justice et du développement (AKP) actuellement au pouvoir n’est pas très différent des mouvements européens, comme les partis chrétien-démocrate » expliquait-elle à JOL Press, en juin dernier.

Pour elle, l’AKP est « un parti néolibéral, néoconservateur , mais ce n’est pas un parti islamiste ». « Le gouvernement utilise un discours religieux, notamment avec la restriction de l’alcool, et essaie d’intervenir sur le mode de vie des Turcs, mais je ne pense pas que la Turquie soit la seule dans ce cas : c’est un problème mondial, c’est la conséquence du développement du néo-conservatisme » estime la sociologue. 

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