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Euroscepticisme : «Quand on est pour l’Europe, il faut savoir l’expliquer»

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JOL Press : D’après l’eurobaromètre du 1er semestre 2013, les pays affichant les plus forts taux de défiance sont la Grèce (81 %), l’Espagne (72%) et le Royaume-Uni (69%). Outre la crise économique que la Grèce et l’Espagne ont subie de plein fouet, quel facteur peut rapprocher ces 3 pays sur l’euroscepticisme ? N’y a-t-il pas des euroscepticismes plutôt qu’un seul ?
 

Vivien Pertusot : Ces trois couvrent en effet trois réalités très différentes. Au-delà de la crise en elle-même, la Grèce est sous plan d’aide de l’UE. L’Union européenne y est alors associée à la troïka (FMI, BCE et Commission européenne). Dans l’imaginaire collectif grec, la troïka a plongé et maintenu le pays dans l’austérité.

L’Espagne n’étant pas sur un tel plan d’aide, l’UE est un acteur secondaire dans la crise que subit la péninsule ibérique. Les hommes politiques nationaux sont plus sujets à la défiance du peuple espagnol. L’UE est néanmoins associée à cette crise pour son manque de solutions.

Au Royaume-Uni, la défiance envers l’UE est presque une tradition. L’euroscepticisme actuel est donc davantage lié à des facteurs structurels que contextuels.

On doit donc, effectivement, parler de plusieurs euroscepticismes. L’Aube dorée, ainsi que le grandissant parti d’extrême-gauche eurosceptique, en Grèce, n’ont rien à voir avec l’UKIP britannique. D’ailleurs, émerge en Angleterre une frange de plus en plus critique de l’UE, au sein-même des partis travailliste et conservateur. Enfin en Espagne, il n’existe pas réellement de parti eurosceptique. La défiance envers l’UE se construit et se structure autour des partis régionalistes (basque et catalan).

JOL Press : Les pays où la défiance a le plus augmenté depuis 5 ans sont l’Espagne, la Grèce et Chypre. En l’occurrence, leur économie étouffe complètement depuis la crise de 2008. La crise n’est-elle pas un facteur principal de défiance envers l’Union européenne ?
 

Vivien Pertusot : Je l’inclus dans un phénomène plus large. En ajoutant le Portugal, ces pays ont effectivement ce point commun. Mais le paradigme est plus large. La défiance est générale, tournée contre les institutions politiques traditionnelles. Au niveau national comme européen. Le reproche est l’incapacité apparente de ces institutions à résoudre la crise.

Les plans d’aide à ces États étaient d’ampleur différente, mais les populations ont rapidement perçue l’Union européenne comme un acteur à part entière. Et donc à responsabilité entière, à l’instar des autres institutions.

JOL Press : L’extrême droite est souvent associée à l’euroscepticisme. Néanmoins, les pays de l’UE où les partis d’extrême-droite ont réalisé les meilleurs scores lors de leurs législatives respectives, sont l’Autriche, la Hongrie et la Finlande. L’euroscepticisme dans ces pays est pourtant moins fort. La collusion entre vote nationaliste d’extrême droite et euroscepticisme n’est-elle qu’un mythe ?

Vivien Pertusot : Là encore, il faut bien distinguer les situations. Autant les partis d’extrême-droite autrichien et finlandais ont quelques ressemblances, et sont assez comparables au Front National. Autant le Jobbik en Hongrie est bien plus dur et extrémiste, et s’apparente plus à l’Aube dorée grecque.

Ainsi, la montée de l’extrême-droite  n’est pas une nouveauté en Finlande ou en Autriche. En revanche, il est récent, dans ces États, que l’extrême-droite s’approprie l’euroscepticisme. La défiance était auparavant plus diffuse, et n’était pas l’apanage de l’extrême-droite.

De tels partis jouent sur trois plans : discours anti-immigration, euroscepticisme et dénonciation des élites. Ce thème était d’ailleurs plutôt le terrain de jeux de l’extrême-gauche ! L’euroscepticisme et le discours anti-élites sont ainsi devenus des atouts pour l’extrême-droite. Ce qui explique en partie sa progression à travers l’Europe.

La Hongrie, elle,  est vraiment un cas à part, mais pas nouveau non plus. Le gouvernement de Viktor Orban est déjà très à droite. L’électorat hongrois est vraiment spécifique, avec la question des minorités slovaques…

JOL Press : La Suisse a une position particulière en Europe : elle ne fait pas partie de l’UE, et vient récemment de valider un référendum mettant en place des quotas d’immigration. Cette position peut-elle influencer des pays membres de l’UE, où l’euroscepticisme gagne du terrain ?
 

Vivien Pertusot : La Suisse est une sorte de forteresse à l’intérieur de l’Europe. Ses décisions actuelles plaisent beaucoup, en effet, aux anti-européens tels que Geert Wilders aux Pays-Bas. La Suisse est un pays souverain, fait partie du marché unique et instaure des quotas : c’est exactement ce qu’aimerait faire un Geert Wilders, ou l’UKIP en Angleterre.

En revanche, je ne pense pas que cette position influence, concrètement, les autres pays européens. Il serait impossible pour eux, typiquement, de mettre en place des quotas d’immigration. Ce serait une remise en question fondamentale de la liberté de circulation des personnes, un des quatre piliers du marché unique.  C’est improbable, à moins d’une sortie de l’Union européenne.

JOL Press : En France, le FN ne cesse de monter aux élections nationales, et 56 % de la population ne croit pas en l’UE, chiffre qui a progressé de 11 points depuis 2008. Quelles conclusions en tirer en vue des Européennes de mai prochain ?
 

Vivien Pertusot : La première conséquence est très simple. On va assister à une poussée du Front national au Parlement européen en mai.

La conclusion la plus importante est néanmoins que le FN est le seul parti en France à parler d’Europe. Peut-être pas de façon constructive, mais le seul. De plus, la montée de cette défiance, cette vague de critique envers l’UE au sein de la population française, n’encourage pas les autres partis à se montrer très pro-européens.

On risque donc d’avoir, lors des élections européennes, un débat très manichéen, à savoir : « êtes-vous pour ou contre l’Europe ?». Avec d’un côté, le Front National martelant sur le contre, et de l’autre, des partis qui hésitent. Parce que lorsqu’on est pour l’Europe il faut l’expliquer…

Propos recueillis par Romain de Lacoste pour JOL Press

 

Vivien Pertusot est responsable du bureau bruxellois de l’Institut Français de Relations Internationales (IFRI). Il a travaillé à l’OTAN et a enseigné les Sciences Politiques à l’Université Lille 2.

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