Site icon La Revue Internationale

L’Ukraine, symbole du rapport de force entre Washington et Moscou

[image:1,l]

La place de l’Indépendance, à Kiev, est de nouveau la propriété des manifestants, depuis que ces derniers l’ont reprise aux forces de l’ordre au terme de violents affrontements qui ont fait plusieurs dizaines de morts. La « trêve » annoncée par le président Viktor Ianoukovitch est presqu’un lointain souvenir et alors que l’Ukraine frôle la guerre civile, la résolution du conflit qui oppose les adversaires au pouvoir semble être entre les mains des puissances étrangères.

L’Union européenne est hors course en Ukraine

Depuis le début de la crise ukrainienne, trois acteurs principaux observent la situation ukrainienne avec inquiétude. L’Union européenne et la Russie en premier lieu, les Etats-Unis ensuite.

Mercredi 19 février, les dirigeants européens étaient réunis pour réfléchir à des sanctions à imposer au gouvernement de Viktor Ianoukovitch. Une démarche que de nombreux observateurs estiment au moins sans intérêts, sinon trop en retard par rapport à l’actualité du conflit.

« Les pays d’Europe occidentale tentent de reprendre la main en dernière instance, la seule option étant visiblement ici de gagner du temps en espérant que le conflit s’étiole de lui-même », expliquait ainsi Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur à l’Institut Français de Géopolitique, pour le site Atlantico. « Le problème, au-delà du fait de savoir si ces sanctions sont trop légères ou non, est de voir que le tempo de l’Union européenne est totalement décalé », a estimé pour sa part Philippe Migault, chercheur à l’Iris, toujours pour Atlantico.

Pour Barack Obama, pas de rapport de force en Ukraine

Si l’Union européenne perd la main sur la crise ukrainienne, ne restent alors que Washington et Moscou pour prendre l’avantage et intervenir en gendarmes du monde. L’Ukraine devient le théâtre du rapport de force qui oppose ces deux puissances.

Le président américain a jugé, mercredi 19 février, que « le gouvernement ukrainien a la responsabilité de faire en sorte que nous allions vers une forme de gouvernement d’union nationale, même transitoire, qui débouche sur des élections libres et honnêtes de manière à ce que le peuple ukrainien puisse exprimer sa volonté ».

Interrogé sur ce rapport de force avec la Russie qui s’exprimerait particulièrement en Ukraine, Barack Obama a affirmé : « Notre démarche, aux Etats-Unis, n’est pas de voir là quelque partie d’échec, digne de la guerre froide, que nous disputerions avec la Russie ».

Le président a voulu couper court au débat, en face d’une Russie qui semble avoir pris fait et cause pour la légalité du gouvernement ukrainien.

Les quatre phases de Moscou

Le rapport de force est pourtant indéniable, et ce n’est pas seulement en Ukraine qu’il se vérifie. Pour Dmitri Trenin, directeur de la Fondation Carnegie pour la Paix Mondiale, interrogé par le Nouvel Observateur, ce rapport de force est aujourd’hui à son paroxysme après être passé par quatre phases successives.

Dans une première phase, « au début des années 2000, Poutine a cru que la Russie pourrait rejoindre l’Occident aux côtés de l’Amérique et de l’Europe. Il a donc initié un partenariat étroit avec Washington, dans lequel Moscou acceptait le rôle de junior partner, de petit dernier», résume Dmitri Trenin.

Puis est venu le temps où Moscou a voulu faire un pas de plus vers les Etats-Unis et l’Union européenne. L’initiative russe n’a pas été bien accueillie et la Russie est entrée dans une phase de désillusion, cette phase correspond aux années 2003-2004, le début de la guerre en Irak qui « a profondément divisé cette famille occidentale à laquelle il voulait appartenir », explique Dmitri Trenin.

« A partir de 2004, explique encore cet expert, Poutine a abandonné sa stratégie d’alliance avec Washington. Cela a conduit à l’incroyable discours de Munich en 2007, au cours duquel le président russe a attaqué la politique étrangère américaine avec une violence inouïe ».

Deux diplomaties, deux mondes

Mais alors que l’Occident n’était pas encore devenu un « ennemi » aux yeux de Poutine, les choses ont changé lorsque Barack Obama est arrivé au pouvoir. Après quelques vaines tentatives de rapprochement, est survenue la crise libyenne. Au Conseil de sécurité de l’ONU, la Russie s’est abstenue de voter en faveur d’une opération armée. Cette abstention n’a pas empêché l’intervention de l’Otan et Vladimir Poutine y a vu un affront.

« Poutine en a tiré la conclusion que décidément les leaders occidentaux, Obama compris, n’étaient pas fiables et qu’ils représentaient un danger pour son propre pouvoir », analyse Dmitri Trenin pour le Nouvel Observateur.

De fil en aiguille, les relations entre Barack Obama et son homologue russe se sont compliquées, donnant parfois des airs de Guerre froide à la scène internationale. Nulle Guerre froide cependant, simplement deux mondes qui s’opposent dans un silence qui se dévoile aujourd’hui dans la crise ukrainienne mais également, et surtout, dans la crise syrienne où les diplomaties qu’incarnent les deux puissances s’officialisent à la face du monde.

Un « brutal rapport de force »

Cependant, si Vladimir Poutine a, dans un premier temps, souhaité suivre les « grands »? qu’ils soient Américains ou Européens, il a aujourd’hui une nouvelle idée en tête. Une idée notamment incarnée dans son projet d’Union eurasienne.

Les Etats-Unis et l’Union européenne sont devenus « décadents » pour le Kremlin et le président russe croit fermement en un nouvel ordre mondial. Vladimir Poutine « ne croit pas au ‘gagnant-gagnant’, uniquement au brutal rapport de force », explique encore Dmitri Trenin. « Selon lui, l’Amérique est désormais une superpuissance en perte de vitesse. Il estime que le moment est enfin venu de faire jeu égal avec Washington. Cela a été l’objectif de sa stratégie en Syrie ».

« Pour lui, l’Europe et l’Eurasie représentent désormais deux civilisations différentes », conclut enfin cet expert. « Il juge l’Europe trop tolérante, trop éloignée des valeurs traditionnelles conservatrices d’inspiration orthodoxe qu’il promeut aujourd’hui, lui, le tsar moderne de la Russie ».

Quitter la version mobile