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Nouveau signe d’autoritarisme en Turquie: le contrôle d’Internet

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Le Parlement turc a adopté mercredi 5 février une série d’amendements controversés qui renforcent le contrôle de l’Etat sur Internet. (Crédit : Shutterstock)

JOL Press : La Turquie a adopté une série d’amendements visant à renforcer le contrôle de l’État sur Internet. Comment réagissez-vous face à cette nouvelle législation ?
 

Claude EdelmannOn peut penser que ces amendements étendent à l’Internet et aux réseaux sociaux différentes lois déjà liberticides, comme par exemple l’article 125 du Code pénal turc, qui portent atteinte à la liberté d’expression en bridant la presse, l’édition, l’art, la chanson, etc… En principe, un tel texte punit de 2 ans de prison tout propos jugé offensant pour autrui – ou pour une institution – mais qui, abusivement interprété, permet de poursuivre n’importe quel opposant au pouvoir.

Dans son dernier Rapport de mars 2013, « Turquie décriminalisez le désaccord ! » Amnesty International a dénoncé le caractère si ambigu et si flou des termes utilisés dans la législation turque qu’ils permettent les interprétations les plus arbitraires des censeurs. Ainsi, la loi n°5651 sur la cybercriminalité permet de poursuivre des internautes pour « terrorisme », sans définir ce que signifie ce terme. Sous prétexte de protéger la jeunesse contre la drogue ou les abus sexuels, un contrôle accru d’Internet permet aux autorités de faire taire l’opposition et la contestation. Comme le remarquent les internautes, les thèmes bannis en Turquie n’ont aucun rapport avec des idées présumées subversives : ils concernent l’histoire du génocide des Arméniens, l’armée, la question Kurde, celle des Alevis, le PKK et autres sujets « sensibles », comme la définition arbitraire du terrorisme.

Les récents amendements sont également controversés parce qu’ils remettent à l’Autorité gouvernementale des Télécommunications (le TIB) le soin de bloquer les sites internet sans décision de justice. Les internautes turcs parlent de milliers de sites déjà bloqués par l’État, et des centaines de mots-clefs bannis par le pouvoir.

JOL Press : Ces nouveaux amendements doivent-ils être considérés dans un contexte plus large, celui d’un régime de plus en plus autoritaire ?…
 

Claude Edelmann : Absolument. Ces derniers mois, beaucoup ont parlé de l’arrogance, de la « dérive autoritaire » de M.Tayyip Erdoğan, où l’on a vu le premier ministre se braquer contre toute opposition. Malheureusement, son intolérance a débouché sur la violence. Vous  savez que la contestation, en fin mai 2013, est partie de la résistance pacifique d’écologistes à un projet d’aménagement contesté du jardin de Gezi Park, à Istanbul. Or ce sont les bavures inacceptables de la police qui ont déclenché les manifestations qui ont suivi : 2,5 millions de personnes dans les rues selon la préfecture. Des manifestations pacifiques, souvent festives, qui se sont étendues à 35 villes de Turquie. Selon l’Union des médecins turcs, on a compté cinq morts, plus de 8 000 blessés. Onze personnes ont perdu un œil à cause de l’impact des armes de la police abusivement utilisées. Ont été également blessés et arrêtés des médecins, des avocats et de simples passants. Parmi ceux-ci, Amnesty International a adopté l’un des cas les plus emblématiques parmi les victimes, Hakan Yaman, 37 ans, père de deux fillettes, qui rentrait chez lui, et qui a été sauvagement attaqué par cinq policiers alors qu’il ne faisait pas partie des manifestants. Matraqué alors qu’il se trouvait à terre, crâne et mâchoire fracassés, un objet enfoncé dans l’œil, traîné dans un feu. Les policiers responsables de tels actes, et d’autres auteurs d’homicides, pourtant identifiés, n’ont subi aucune sanction. Ce sont de tels dénis de justice qui ont provoqué de nouvelles manifestations en janvier, par ex. 20 000 personnes à Ankara, tout aussi sauvagement réprimées.

JOL Press : Comment se situe la Turquie dans le monde en matière de liberté de la presse ?
 

Claude Edelmann : Derrière la Chine et l’Iran, selon Reporters sans frontières (RSF). En Turquie, en décembre, 49 journalistes étaient en prison, contre 32 en Chine et 35 en Iran. RSF note que durant les manifestations de juin et juillet, on a compté 153 journalistes blessés par la police, bien qu’ils fussent clairement identifiés par des badges, des caméras, des micros.

JOL Press : Cette situation empire-t-elle depuis ces dernières années ?
 

Claude Edelmann : Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, M. Tayyip Erdoğan a soulevé de nombreux espoirs, notamment en termes de démocratie. Dans l’espoir d’une adhésion à l’UE, et sous la pression de celle-ci, il a été contraint de soumettre les militaires, de réaliser certaines réformes, dont beaucoup, d’ailleurs, ont été sabotées ou cosmétiques. Mais les politologues constatent un net recul de la démocratie, tandis que la Commission de l’UE a exprimé son « inquiétude » face à la crise actuelle en Turquie, après le scandale de la corruption et des malversations qui ont touché l’équipe du Premier ministre et ses proches.  

JOL Press : Que font dans ce contexte les ONG des droits de l’homme internationaux et turcs ?
 

Claude Edelmann : Toutes rappellent sans cesse que les libertés de la Presse et d’Internet appartiennent aux droits fondamentaux de l’humanité, dans les conditions précisées par les normes internationales, auxquelles les autorités turques doivent se conformer. Elles demandent que les membres des forces de l’ordre soient mieux formés, et éveillés à ces droits fondamentaux. Elles rappellent que les lois turques autorisent les rassemblements et les manifestations pacifiques, et réclament aux autorités que des enquêtes indépendantes et impartiales soient menées sur les victimes des répressions et sur les auteurs de violences.

Ces organisations des droits de l’homme ne se contentent pas de dénoncer chaque jour les violences de la police turque, mais luttent contre l’impunité et les irrégularités relevées dans les procès politiques. Elles pointent très précisément les flottements de la législation, par exemple, justement, des récents amendements qui censurent l’Internet et les réseaux sociaux.

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