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Sotchi 2014: les JO vus par Vladimir Fédorovski

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JOL Press : Sotchi, c’est un bel endroit pour faire la fête ?
 

Vladimir Fedorovski : C’est extraordinaire, c’est un endroit extraordinaire qu’ils ont transformé… C’était une station charmante dont ils ont un peu abimé les forêts… Mais, en même temps, ils ont amélioré les infrastructures de la ville.

Sotchi, c’est, en même temps, un endroit tragique. Juste pour rappeler mon « Roman des espionnes », des choses terribles ont eu lieu sur ces terres, la terreur, la lutte contre Trotski et, bien plus récemment, la guerre en Tchétchénie, c’était là, ou juste à côté avec la résidence de Boris Eltsine prise pour cible…

Des rendez-vous diplomatiques majeurs se sont déroulés ici, comme récemment une rencontre secrète entre Poutine et Netanyahu… Sotchi est un haut-lieu de la diplomatie internationale.

Il y aussi Sotchi, symbole de la résistance  à l’islamisme et, comme dit Poutine, à la lâcheté occidentale. Vladimir Poutine a adopté la posture du défenseur des valeurs chrétiennes…

JOL Press : C’est le sauveur de l’Occident chrétien ?
 

Vladimir Fedorovski : Le sauveur de l’Occident chrétien qui prétend qu’il y aurait un islamisme modéré alors que, selon Vladimir Poutine, c’est impossible, que c’est comme si on avait parlé de bolchévisme modéré… Ces conceptions sont soutenues par 80% des Russes.

Sotchi est un symbole pour les islamistes. L’émir auto-proclamé du Caucase affirme qu’il va transformer ces jeux en enfer, « les Jeux du diable ». C’est le même qui veut constituer un califat de Boukhara à Poitiers…

 

JOL Press : Et puis, les compétitions de ski alpin se dérouleront sur des sites sacrés pour les Tcherkesses… Qui sont les Tcherkesses ?
 

Vladimir Fedorovski : Il y a une centaine de nationalités au Caucase et les Tcherkesses sont l’une d’entre elles. Par celles-ci, il y a les grands guerriers traditionnellement opposés au pouvoir russe. Les Tcherkesses sont connus au-delà du Caucase, au Proche-Orient notamment… Le roi de Jordanie dispose ainsi d’une garde tcherkesse.

Ce sont de grands combattants comme les Tchétchènes et leur histoire est tragique, ponctuée par la résistance aux tsars, la résistance aux Bolchéviks, leur déportation pendant la Deuxième Guerre mondiale – car ils auraient collaboré avec les Nazis… et jusque les guerres en Tchétchénie, 125 000 morts, deux guerres, celle d’Eltsine puis celle de Poutine.

JOL Press : Est-ce que c’est au nom du nom respect des valeurs de l’Occident par l’Occident que Vladimir Poutine justifie ses propres violations des droits de l’Homme ?
 

Vladimir Fedorovski: Vladimir Poutine, historiquement, se présente comme le successeur de deux personnages. Le premier, c’est le chef mythique du KGB, Andropov, et le second, c’est Deng Xiaoping, l’inventeur de la Chine moderne.

Ces deux hommes ont en commun d’avoir considéré que le combat flamboyant pour la liberté et qui a conduit à la fin du communisme a été pleinement contre-productif. La fin de l’empire a conduit à la pagaille poussée par un complot de l’Occident.

Vladimir entend interrompre cette hémorragie de puissance. Et, il dit aussi que, la seule solution, c’est d’assurer la stabilité du pays d’abord puis, éventuellement, d’envisager des réformes, économiques d’abord puis sociales et sociétales ensuite.

De mon point de vue, il ne faut pas diaboliser. Les appels aux boycotts – non suivis d’effet – ont été profitables à Vladimir Poutine car, une fois de plus, il a pu dénoncer un complot occidental.

JOL Press : Comme le disent un certain nombre d’historiens, contenu de la taille du territoire et de l’âme russe, le peuple russe devrait-il être dirigé d’une main de fer sans quoi il serait rapidement ingouvernable ?
 

Vladimir Fédorovski : La Russie est un pays comme tous les autres. Considérer que la Russie est un pays à part implique une connotation raciste : comme si la dictature était dans le sang russe… Cela ne correspond pas à la réalité. Il y a eu de grands combattants de la liberté. Il y a deux Russie : Vladimir joue la Russie profonde contre la Russie la plus évoluée.

JOL Press : Qu’attend Vladimir Poutine de ces Jeux Olympiques ?
 

Vladimir Fédorovski : Il a tout intérêt à ce que la Russie gagne le plus de médailles possible. Ils ont perdu beaucoup d’argent avec ces jeux. Vladimir Poutine combat les oligarques, mais dans les faits le système est éminemment corrompu. Pour l’instant Sotchi c’est un test : il faut que ces Jeux restent un symbole de sa percée internationale.

JOL Press : Etant donné le coût élevé de ces Jeux, craignez-vous des difficultés comme d’éventuelles manifestations ?
 

Vladimir Fédorovski : Je ne pense pas que ce sera dans l’immédiat, mais plutôt au milieu de l’année prochaine, lors du sommet du G8 à Sotchi. Vladimir Poutine devrait s’en sortir. Après la parenthèse Sotchi, deux possibilités sont envisageables : un raidissement de nouveau régime, soit, comme je le prédis, il aura tellement besoin de l’Occident sur des dossiers sérieux comme l’Arctique ou le gaz de schiste, qu’il y aura une évolution du régime.

JOL Press : L’Union eurasiatique: autre projet dans les cartons de Vladimir Poutine : selon vous, est-ce à prendre au sérieux ?
 

Vladimir Fédorovski : Oui c’est à prendre au sérieux, c’est un projet qui existe. Avec le gaz et le pétrole, la Russie verrouille ses pays voisins. Elle n’a pas complètement réussi avec l’Ukraine mais l’Union eurasiatique se place dans la posture qui est profitable sur le plan intérieur. Vladimir Poutine pense déjà à son rôle dans l’histoire et veut se placer en leader de la grandeur et de la réunification de la Russie. Sur ce plan là, il affirme qu’il faut reconstituer l’empire qui sera économique, avec les armes redoutables : le gaz et le pétrole russe. 

JOL Press : Après Sotchi en 2014, la Russie accueillera la Coupe du monde de football en 2018. Un autre symbole fort?
 

Vladimir Fédorovski : Quel symbole ! Vladimir Poutine prépare les élections, comme je vous l’ai dit, il a tout calculé : le sommet de Saint-Pétersbourg, les jeux Olympiques de Sotchi, le sommet du G8, puis au moment des élections, lorsqu’il sera au comble de sa gloire géopolitique, ce sera le sport avec la Coupe du monde de football en 2018.

JOL Press : Concernant votre livre « Le Roman des espionnes » (Editions du Rocher), peut-on dire que la Russie à une capacité spécifique à créer des formidables personnages d’espionnes ?  
 

Vladimir Fédorovski : Historiquement, le XXe siècle a placé la Russie au centre du travail d’espionnage. Derrière chaque évènement majeur du XXe siècle : il y avait une femme. Le Roman des espionnes est un livre particulier : ce n’est pas un roman, mais il se lit comme un roman car il réunit le mystère, amour et évasion, mais en rien n’est inventé dans cet ouvrage. Je raconte l’histoire d’Anna Chapman, personnage flamboyant l’espionne illégale du Kremlin, arrêtée par les Etats-Unis, mais aussi le parcours de celle qui a préparé le grand complot contre Hitler, ou cette espionne qui a fait tuer Trotski, le grand opposant de Staline. C’est une manière de rappeller le rôle important qu’elles ont joué dans l’Histoire et de raconter autrement les grands évènements du siècle dernier. Tout cela donne un livre assez énigmatique pour soigner la tristesse de notre époque.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press. Images et montage par Louise Michel D.

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Ancien diplomate russe et auteur de plusieurs ouvrages historiques, dont « Le Roman des espionnes », Vladimir Fédorovski est aujourd’hui l’écrivain d’origine russe le plus édité en France. Il a été choisi par le service des sports de France Télévisions pour commenter la cérémonie d’ouverture des JO de Sotchi, le vendredi 7 février entre 17h et 20h sur France 2.

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