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Sports d’hiver et organisation des JO: la France a-t-elle sa place?

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JOL Press : La France a été la première nation à accueillir les JO d’hiver à Chamonix, en 1924. Y a-t-il une véritable « tradition » française en matière de sports d’hiver ?
 

Eric Monnin : Oui et non. Oui, dans le sens où Pierre de Coubertin [qui a rétabli l’organisation des Jeux olympiques en 1894, et a présidé le Comité international olympique] s’est servi, pour organiser les premiers Jeux d’hiver, de cette histoire sportive que l’on a en France, notamment dans les Alpes et les Pyrénées, pour témoigner d’un savoir-faire, d’une expérience française.

Mais la France est très rapidement entrée en concurrence avec ce que l’on appelait les « Jeux du Nord ». Ces derniers avaient été créés par un ami proche de Pierre de Coubertin, le Suédois Viktor Balck, qui s’est opposé à Coubertin puisqu’il voulait que les Jeux d’hiver soient des jeux uniquement scandinaves (Suède, Norvège, Finlande). L’histoire française des sports d’hiver s’est ainsi construite, comme l’Allemagne ou l’Autriche, en concurrence avec les pays scandinaves.

Les premiers Jeux olympiques d’hiver se sont finalement déroulés à Chamonix en 1924. Ils s’appelaient alors « Semaine internationale des sports d’hiver ». Ce n’est qu’un an après, lors du Congrès du CIO à Prague en 1925, qu’ils ont été nommés « Jeux olympiques d’hiver ». Si Coubertin a permis d’organiser cette semaine internationale des sports d’hiver en France en 1924, c’est parce que c’était concomitant avec les JO d’été de Paris qui avaient lieu la même année.

JOL Press : La France a-t-elle les capacités d’accueillir les Jeux olympiques d’hiver ?

Eric Monnin : Il y a incontestablement un savoir-faire français en la matière. D’autant plus qu’un pays qui a déjà accueilli les Jeux olympiques a souvent les structures déjà disponibles. Par contre, je ne suis pas certain que la France veuille réorganiser des jeux olympiques d’hiver. Aujourd’hui, une nation puissante, qui compte dans l’environnement mondial dans lequel nous sommes, cherche plutôt à organiser des Jeux d’été. C’est cela le créneau. La France s’inscrit désormais dans cette logique-là, en pensant déjà aux prochains Jeux d’été en 2024…

JOL Press : La France a déjà accueilli trois fois les JO d’hiver depuis leur création. Pourquoi la candidature française pour les JO d’Annecy en 2018 a-t-elle échoué ?
 

Eric Monnin : C’est difficile à dire. La volonté d’« alterner » les continents a pu jouer. Les Jeux d’hiver organisés en France depuis leur création s’inscrivaient dans des contextes complètement différents.

À Chamonix en 1924, la France se situait dans une ère idéologique. À Grenoble en 1968, elle se trouvait dans une ère politique. À Albertville en 1992, le pays entrait dans une ère économique, et aujourd’hui je ne suis pas certain que la France pourrait accorder autant de moyens à ce type d’événements que d’autres nations. Elle a peut-être d’autres priorités. La Corée du Sud, qui a été choisie pour accueillir les prochains Jeux d’hiver en 2018, avait vraiment mis les « petits plats dans les grands » au moment du dépôt des candidatures.

JOL Press : On parle d’une éventuelle candidature française aux Jeux d’été 2024… La France a-t-elle ses chances ?
 

Eric Monnin : La France n’est pas encore candidate. Elle est en train de réfléchir, de se demander si elle doit y aller ou pas. 2024 pourrait être une vraie opportunité pour la France. En effet, les Jeux d’été auront lieu, en 2016, dans l’hémisphère sud, à Rio de Janeiro au Brésil. Ils partiront ensuite dans le Pacifique en 2020, à Tokyo. Il y a une fenêtre ouverte pour la France dans le sens où il serait logique que les Jeux d’été retournent en Europe en 2024. Mais la logique n’est jamais certaine dans le milieu des Jeux olympiques…

Le problème, lorsque l’on organise les Jeux, cest quil faut sy prendre très longtemps à lavance, sans savoir quel sera létat de la France dans dix ans. Si la France veut candidater pour 2024, elle est obligée de rendre son dossier d’acceptation pour septembre 2015 ! La réponse définitive est ensuite donnée sept ans avant la tenue des Jeux. Par exemple, la Russie a su en 2007 qu’elle organisait les Jeux d’hiver 2014 à Sotchi. Or, les choses évoluent beaucoup entre temps : la Russie avait un taux de croissance de 4% à l’époque, et il est descendu cette année à 1,5%.

Enfin, il faut bien comprendre que la constitution d’un dossier de candidature ne doit pas être prise à la légère. Cela coûte en effet beaucoup d’argent : la France a déboursé plus de 4 millions d’euros après avoir candidaté pour Annecy. Si la France décide de candidater pour les JO d’été en 2024, elle devra passer deux phases : la première phase, en septembre 2015, est celle des villes requérantes. Elle devra pour cela payer 150 000 dollars de droits d’entrée. Ensuite, au bout d’un an, la Commission du CIO retiendra trois villes candidates. C’est lentrée dans la deuxième phase : les villes candidates doivent de nouveau faire un chèque de 500 000 dollars, avant que le CIO ne choisisse enfin la prochaine ville hôte des JO.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Eric Monnin est maître de conférences à l’Université de Franche-Comté, docteur en sociologie, agrégé d’éducation physique et ancien judoka. Il est l’auteur de De Chamonix à Sotchi, un siècle d’olympisme en hiver, Éditions Désiris, 2013. Il a reçu en 2013 la médaille Pierre de Coubertin des mains de Jacques Rogge, président du Comité International olympique (CIO).

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