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Syrie: hypermédiatisation des circulations périphériques

Depuis plusieurs semaines maintenant, le conflit syrien n’est quasiment plus couvert par des journalistes venus de l’extérieur. Les risques sont devenus trop grands. Le traitement de cette actualité se fait donc désormais par plusieurs biais, révélateurs de ce vide de présence sur place.

Le premier biais est celui de l’analyse des négociations de Genève. Sur ce sujet, dans l’ensemble des médias, ce sont les experts et chercheurs qui sont en première ligne pour expliquer et décrypter les enjeux diplomatiques et politiques des échanges. Les débats ne manquent pas, en particulier sur les chaînes qui accordent une large part au traitement de l’actualité internationale. France 24, par exemple, invite régulièrement en plateau des experts de tout bord et de toute tendance pour analyser la situation du conflit syrien.

Le second sujet, beaucoup plus présent dans les médias grands publics, est celui des combattants venus de l’étranger pour se battre sur ce territoire. Là, les journalistes enquêtent, suivent les filières, trouvent les témoins à interroger. Le débat sort du seul cadre du traitement savant de l’actualité parce qu’il est plus facile à mettre en scène. Il intéresse aussi parce qu’il dit beaucoup de l’état des sociétés européennes et nous offre l’occasion de porter un regard sur les enjeux migratoires et d’intégration de nos territoires.

Il est compliqué pour le Français lambda de se fabriquer une image mentale de cette guerre

Dans les deux cas, les médias ne rendent en fait plus compte de la guerre elle-même mais des paroles et des actes de personnes qui font le trajet entre une zone de paix (l’Europe) et une zone de guerre (la Syrie). Ce qui est médiatisé désormais, ce sont des circulations liées à la guerre. Celles des diplomates et porte-parole politiques qui tentent avec plus ou moins de bonne volonté de régler le conflit. Et celles de candidats au combat. Nous finissons donc par en savoir beaucoup sur ces circulations.

Mais nous ne savons pratiquement plus rien sur le moteur même de ces circulations, sur ce qui se passe à l’intérieur des frontières syriennes. Il est devenu très compliqué pour le citoyen français lambda, même curieux et averti, de se fabriquer une image mentale de cette guerre, au-delà des photos chocs que nous pouvons garder en mémoire depuis quelques mois. Il est devenu impossible de publier la moindre carte fiable de cette guerre. Le reportage de Nicolas Bertrand pour « Envoyé spécial » le 23 janvier dernier était à ce titre extrêmement révélateur.

Plus personne pour raconter et prendre des photos

Parti enquêter sur les réseaux de recrutement des opposants à Bachar Al-Assad en Belgique, sa caméra s’est arrêtée aux frontières syriennes. A un moment, nous voyons des images du conflit à l’intérieur des frontières syriennes, mais elles n’ont pas été filmées par Nicolas Bertrand ou un autre journaliste. Elles n’apparaissent que brièvement sur l’ordinateur du père d’un jeune homme parti se battre là-bas. Elles sont arrivées en Belgique par le biais de ces réseaux de futurs combattants et non par la voie journalistique habituelle.

Cet état de fait mène à une hypermédiatisation de toutes les circulations qui ont lieu à partir du territoire syrien et vers le territoire syrien en guerre, avec un trou noir de récits et de représentations sur le conflit lui-même. La frontière syrienne est devenue une frontière médiatique d’une étanchéité presque parfaite.

Cette situation n’est évidemment pas une nouveauté totale mais le cas syrien exacerbe ce paradoxe du récit médiatique des conflits et le risque est grand qu’on ne comprenne plus rien à ces circulations si l’on ne peut plus saisir les ressorts du conflit lui-même et de son évolution.

Ce cas mérite d’être souligné car ces journalistes à qui on reproche tant parce qu’ils couvrent mal les théâtres, finissent par nous manquer lorsqu’ils ne sont plus là. Il n’y a plus personne pour raconter et prendre des photos, pour jeter le regard du témoin et non du chercheur, quitte à dire quelques bêtises ou quelques imprécisions en transmettant l’information.

Quitte aussi à ce que l’inévitable mouvement de balancier du traitement des conflits mènent à des excès successifs dans la manière d’appréhender et d’interpréter ces situations complexes.

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