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Washington s’engage, mais Israéliens et Palestiniens sont pessimistes

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Le dôme du Rocher, sanctuaire musulman en plein coeur de Jérusalem. (Crédit : Shutterstock)

JOL Press : Dans un entretien accordé au New York Times, le président palestinien Mahmoud Abbas a affirmé être prêt à envisager un retrait israélien de Cisjordanie sur cinq ans après la signature d’un accord de paix. Cette déclaration doit-elle être interprétée comme le signe d’une véritable avancée du processus de paix entre Israël et la Palestine ?
 

Stéphanie Latte Abdallah : Une telle déclaration témoigne certes de concessions qu’est prêt à faire Mahmoud Abbas sur le terrain sécuritaire afin d’aboutir au plan de paix voulu par Mr Kerry avant fin avril, la date fixée comme le terme de cette période de négociations. Toutefois, ce ne sera fort probablement pas suffisant pour faire avancer le processus et aboutir à un premier accord. Sur le terrain, les faits vont à l’encontre des espoirs que l’activité diplomatique des Etats-Unis fait naître. D’ailleurs, les derniers sondages conduits auprès des Israéliens et des Palestiniens sur les chances de paix montre que les trois quarts des personnes sont pessimistes sur l’issue des pourparlers actuels.

Les faits sur le terrain, c’est d’abord la colonisation israélienne en Cisjordanie et à Jérusalem-Est qui n’a cessé de se développer, à un rythme particulièrement accru depuis une décennie, ce qui ne s’est pas arrêté depuis la reprise des négociations en juillet 2013. L’ONG israélienne La Paix maintenant parle d’une hausse de 41% au cours de l’année 2013. Les annonces de nouveaux logements tombent régulièrement, et sont condamnées par de nombreux pays, dont la France. La politique menée sur le terrain entend plutôt consolider l’annexion de Jérusalem-Est en reliant des blocs de colonies entre elles afin d’entourer l’est de la ville d’un côté, et de pérenniser la présence israélienne en Cisjordanie de l’autre. De l’ordre de 350 000 colons se trouvent à présent en Cisjordanie et près de 200 000 à Jérusalem-Est (520 000 en tout selon les Nations Unies en 2012– OCHA). Si on retourne en arrière, le nombre de colons a été multiplié par trois en Cisjordanie depuis le début du processus de paix d’Oslo, en 1993.

Or on sait que la base et les enjeux de ces négociations sont pour les Palestiniens, Kerry et la communauté internationale (en vertu du droit international) les frontières de 1967 : soit la question de Jérusalem-Est, des colonies et des zones israéliennes en Cisjordanie (notamment le retrait de la zone C sous contrôle total israélien et qui couvre 60% de la Cisjordanie), c’est-à-dire, à terme, la souveraineté et la continuité territoriale en Cisjordanie tout d’abord. Outre les 60% de la zone C, le contrôle est mixte israélo-palestinien en zone B (autour de 20% de la Cisjordanie) et les Palestiniens ne sont souverains qu’en zone A (les 20% restants), essentiellement les villes et les villages. Ce qui a créé sur le terrain une multitude d’enclaves palestiniennes, la majorité des terres agricoles et des réseaux routiers étant sous contrôle total ou partiel des autorités israéliennes. Et ce, bien au-delà donc du Mur de séparation, qui de fait, est donc loin de séparer deux territoires, puisque des enclaves palestiniennes et israéliennes se trouvent des deux côtés du Mur. Un Mur qui mord lui de 10% à l’intérieur de la ligne verte (ligne de démarcation pré-1967).

JOL Press : Mahmoud Abbas a également proposé le déploiement d’une force internationale dans les zones sensibles du territoire cisjordanien. Pourquoi Benjamin Netanyahu a-t-il rejeté cette proposition ?
 

Stéphanie Latte Abdallah Le gouvernement israélien n’est pas et les autorités israéliennes ont rarement été favorables à une internationalisation du conflit. Il n’entend pas pour l’instant abandonner les zones qu’il contrôle en Cisjordanie, dont la vallée du Jourdain, où sont implantés des colons, des groupes agro-industriels et où les enjeux économiques liés à l’agriculture et au tourisme par exemple sont importants. Il n’entend pas non plus céder sur le contrôle de l’ensemble des frontières, et notamment celle qui sépare la Cisjordanie de la Jordanie.

Plus globalement, au-delà de la question sécuritaire qui, on le voit ici, n’est pas le problème majeur, la présence en Cisjordanie signifie une mainmise sur l’ensemble des ressources en eau, souterraines ou extérieures, des revenus et des emplois clefs pour l’Etat israélien : les zones israéliennes en Cisjordanie, ce ne sont pas seulement des terrains militaires ou des habitations. Ce sont aussi des entreprises dans toutes une série de domaines (de l’agriculture aux produits de la mer morte, en passant par de la confection, des sodas ou des entreprises high-tech…etc.) qui bénéficient d’aides et de facilités financières de la part de l’Etat, et aussi d’une main d’œuvre bon marché, en partie palestinienne (20 000 Palestiniens travaillent dans les colonies de Cisjordanie selon les chiffres du Palestinian Central Bureau of Statistics de novembre 2013). L’ONG israélienne Who profits documente depuis quelques temps déjà les bénéfices économiques qui sont liés à l’occupation de la Cisjordanie.

Les débats récents au sein du gouvernement, des politiques et de la classe d’affaires en Israël montrent bien les enjeux à l’œuvre : sont en effet notamment discutés, mesurés, les pertes et profits qui résulteraient de la fin de l’occupation et d’un accord, et ceux qu’impliqueraient un échec des négociations, avec par exemple un boycott des produits des colonies et de certains groupes ou institutions israéliens liés à l’occupation par un nombre grandissant de pays. Outre la perte de revenus et de ressources en eau, rapatrier, ne serait-ce qu’une partie des colons en Israël (en considérant que certaines colonies feraient partie des échanges de territoires avec les Palestiniens et seraient annexées à Israël), serait fort coûteux : certains parlent d’une trentaine de milliards de dollars.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que Netanyahu est à la tête d’un gouvernement qui compte des membres radicaux, très proches des intérêts des colons, qu’ils s’agissent d’intérêts économiques ou de considérations plus politiques ou religieuses eu égard à l’appartenance de la Cisjordanie à la terre d’Israël.

Mahmoud Abbas et l’OLP veulent en revanche internationaliser la question israélo-palestinienne. Ils sont dans cette perspective de façon encore plus résolue depuis les démarches à l’ONU pour la reconnaissance de l’Etat de Palestine, obtenue partiellement en septembre 2011. Puisque le droit international reconnait la légitimité de la souveraineté palestinienne sur les territoires occupés en 1967, il demande de la sorte à cette communauté d’être le garant de ce droit afin de contrer les réticences israéliennes affichées liées à sa sécurité. Et ce, en proposant une Palestine qui serait un Etat démilitarisé, protégé par un contingent international, sans limite temporelle. Cette option internationale est d’ailleurs celle que l’OLP, et Mahmoud Abbas, ont annoncé qu’ils poursuivront à partir d’avril, si les négociations échouent, en demandant à adhérer aux différentes agences des Nations Unies, voir à la Cour pénale internationale…etc. afin d’entamer un combat juridique à même de faire reconnaître l’illégalité de l’occupation et les violations des droits qui ont cours.

Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press

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