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20 000 nouveaux déplacés au Darfour: une «guerre ensablée» loin d’être finie

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JOL Press : Pourquoi cette région du Soudan connaît-elle une nouvelle vague de déplacements de population ?
 

Fabienne Le Houerou : Cela ne date pas d’aujourd’hui. Il y a déjà eu d’énormes mouvements de population en 2013. Il y a eu aussi de très nombreux morts depuis 2011-2012. Ce que l’on a présenté pendant des années comme une guerre entre Arabes et Noirs, entre tribus nomades et tribus africaines, est en réalité un mensonge.

On a longtemps présenté le drame au Darfour comme un drame racial, mais aujourd’hui ce sont des tribus arabes qui s’entretuent. Ce sont donc les membres d’une même communauté – les salamat du centre du Darfour qui sont opposés aux misseriya, et les rezeigat qui sont opposés aux beni hussein. Tous sont des « cowboys », des nomades qui possèdent du bétail. Ce que l’on a pu entendre sur le Darfour entre 2007 et 2009, notamment dans la bouche de certains acteurs américains comme George Clooney, à savoir un conflit où de « pauvres noirs » étaient martyrisés par de « méchants arabes », est faux.

JOL Press : Quelles routes migratoires empruntent les réfugiés ?
 

Fabienne Le Houerou : En ce moment, la guerre se situe surtout au centre et au nord du Darfour. Il y a déjà eu plus de 400 000 déplacés en 2013, et 14 membres d’ONG ou des Nations unies ont été tués. C’est énorme. Soit ils se déplacent dans le pays, soit ils se rendent au Tchad ou en Egypte, qui n’est pas vraiment apte à les accueillir puisqu’elle ne s’est toujours pas remise sur pieds depuis la révolution de 2011. Les réfugiés syriens sont mal accueillis en Egypte, et c’est la même chose pour les réfugiés du Darfour. Ce qui est terrible, c’est que lorsque l’on essayait de trouver des solutions internationales pour régler la crise, rien n’était fait pour les déplacés. Par exemple, concernant les déplacés au Caire où j’ai mené des recherches, les Nations unies ne leur donnaient pas de cartes de réfugiés.

JOL Press : Dans quelles conditions vivent ces déplaciés au Darfour ?
 

Fabienne Le Houerou : Au Darfour, on meurt plus à cause des maladies que des conflits. Les conflits font une centaine de morts, mais les milliers de victimes se trouvent dans les immenses camps de réfugiés du Darfour mais aussi de Khartoum [la capitale soudanaise] où les camps de réfugiés sont des véritables villes qui s’étendent dans le désert. Ils vivent dans des conditions désastreuses.

JOL Press : Vendredi 21 mars, un employé du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a été tué. L’aide humanitaire est-elle en danger sur place ?
 

Fabienne Le Houerou : L’organisation humanitaire sur place est très compliquée. Omar el Béchir a expulsé toute une série d’ONG. Les travailleurs humanitaires étaient nombreux en 2009 (environ 18 000) et ils sont seulement un peu plus de 6000 aujourd’hui. À cela s’ajoute une pénurie de médicaments, qui fait beaucoup de victimes, notamment parmi les enfants et les femmes. Il doit y avoir encore à peu près 16 000 militaires de la MINUAD [Mission conjointe des Nations unies et de l’Union africaine au Darfour], mais leur mandat s’arrête le 31 août prochain. Même si les missions de l’ONU sont régulièrement critiquées, elles sont tout de même des médiateurs importants.

JOL Press : Le président soudanais Omar el Béchir a été accusé de génocide. Ce terme est-il approprié au sujet de cette guerre au Darfour ?
 

Fabienne Le Houerou : Cette guerre est selon moi une guerre du climat dans une région qui connaît une sècheresse terrible et des famines, plutôt dues au réchauffement de la planète qu’à des haines tribales ou raciales. On a en effet beaucoup présenté le Darfour comme un génocide et la Cour Pénale Internationale a accusé en 2009 le président soudanais Omar el Béchir de génocide. Il y a eu des crimes abominables mais dont on ne peut pas démontrer le caractère prémédité. Ce n’est pas un plan concerté. C’est une guerre civile improvisée par Khartoum avec des milices qui ont commis des atrocités, mais nous ne sommes pas dans une situation génocidaire d’intention de destruction d’un groupe par un autre pour des raisons sociales, religieuses ou ethniques, comme cela a été le cas au Rwanda.

JOL Press : Pensez-vous que les médias soient trop silencieux sur ce conflit ?
 

Fabienne Le Houerou : Les gens sont las et n’ont plus envie d’entendre parler du Darfour. Ils ont l’impression que l’histoire est terminée. Or, non seulement elle n’est pas terminée, mais elle rebondit de manière assez dramatique, non sur la ligne raciale, mais sur celle du réchauffement de la planète et de la sécheresse, ce qui devrait d’autant plus nous concerner. On ne peut que craindre une détérioration de cette « guerre ensablée ».

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Fabienne Le Houerou est historienne et cinéaste, spécialiste du Soudan et des migrations forcées. Elle est notamment l’auteure de Forced Migrants and Host Societies in Egypt and Sudan, Le Caire/New York, American University in Cairo, 2006, Darfour : le silence de l’araignée, Editions L’Harmattan, septembre 2009, et Les cendres du Darfour, Paris, Encres d’Orient, 2010. Elle a également réalisé le film « Hôtel du Nil ».

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