Site icon La Revue Internationale

Crise économique en Tunisie: «Les Occidentaux doivent nous soutenir»

[image:1,l]

JOL Press : Le Premier ministre Mehdi Jomaâ a dressé lundi un bilan assez sombre de la situation économique tunisienne. Quel impact la crise politique a-t-elle eu sur l’économie en Tunisie ?
 

Mohamed Haddar : Ce bilan est incontestablement le résultat de tensions entre les partis politiques et d’une mauvaise gouvernance des partis au pouvoir. Cela a engendré une situation assez difficile, même si elle n’est pas encore catastrophique. Il y a aujourd’hui de sérieuses difficultés à financer le budget de l’État. Ce dérapage budgétaire est notamment dû à des augmentations de subventions et de salaires depuis trois ans, qui sont avant tout le fruit de mauvaises décisions politiques plus qu’économiques.

JOL Press : Le Premier ministre a déclaré qu’il faudrait « faire des sacrifices » pour éviter la catastrophe. Quels genres de sacrifices la Tunisie va-t-elle faire ?
 

Mohamed Haddar : Le principal objectif pour le moment est de trouver comment financer le budget de l’État. Il y a actuellement un déficit de 4 milliards de dinars, soit environ 1,8 milliard d’euros. Mais trouver un financement est difficile, dans la mesure où le gouvernement provisoire en place, qui n’est là que pour une période courte, ne peut pas collecter de nouveaux impôts et doit tenir compte de la situation difficile sur le plan social.

JOL Press : La population tunisienne est-elle prête à faire des sacrifices ?
 

Mohamed Haddar : C’est un fait : les Tunisiens doivent faire des sacrifices, mais le débat actuel pose la question de savoir qui peut effectivement se sacrifier. On ne peut pas demander à une population qui rencontre des difficultés au quotidien à cause de l’augmentation du coût de la vie de faire des sacrifices. Il va donc falloir répartir le fardeau. Il faut que les citoyens tunisiens, surtout ceux issus de la classe pauvre et de la classe moyenne, voient que les autres font des sacrifices, sinon cela peut dégénérer. C’est une situation délicate où il faudra beaucoup communiquer et expliquer, ce qui n’est pas facile.

JOL Press : Sur quels secteurs la Tunisie peut-elle compter pour relancer son économie ?
 

Mohamed Haddar : Il y a deux secteurs sur lesquels la Tunisie pourrait s’appuyer mais qui pour l’instant sont sinistrés. C’est le secteur des phosphates, dans lequel les gens doivent accepter de reprendre la production de façon normale. Cela serait facile à faire s’il y a un vrai dialogue social qui puisse donner des résultats. Le second secteur sur lequel la Tunisie peut jouer est le tourisme : cela ne demande pas beaucoup d’investissements mais essentiellement une volonté et une stabilité politique.

C’est-à-dire qu’il faut avant tout résoudre ou assainir le climat politique et régler la question du terrorisme. Ce que les Tunisiens attendent maintenant, c’est l’organisation de nouvelles élections pour que la situation se stabilise. Même les derniers sondages montrent que l’on est prêt aux sacrifices, pourvu que l’on voie des résultats et que l’on ait des élections libres et transparentes.  

JOL Press : La Banque mondiale a annoncé la semaine dernière qu’elle débloquerait de nouveaux crédits à hauteur de 1,2 milliard de dollars pour la Tunisie. Sur quels pays la Tunisie peut-elle aussi s’appuyer pour obtenir des aides financières ?
 

Mohamed Haddar : La Tunisie peut normalement compter sur les Européens et les Américains. La France est le premier pays partenaire de la Tunisie. L’Allemagne aussi a fait des gestes, par la conversion de dettes en projets de développement par exemple. Les pays occidentaux doivent aider la Tunisie parce que c’est pratiquement le seul pays où il y a l’espoir de passer à une société démocratique et moderne. Donc si les Occidentaux croient aux valeurs démocratiques, ils devraient pouvoir faire des gestes forts envers la Tunisie.

Mais je comprends parfaitement que les investisseurs et les pays ne s’engagent pas plus en Tunisie pour le moment, parce que la situation n’est pas suffisamment claire, même s’il y a eu beaucoup de progrès. C’est indispensable d’encourager ces progrès : c’est dans l’intérêt de tous les pays, et pas seulement de la Tunisie. Pour barrer la route au terrorisme et à des valeurs dépassées, il faut aider la Tunisie à marcher vers un régime stable.

JOL Press : Comment les Tunisiens perçoivent-ils l’action du nouveau gouvernement ?
 

Mohamed Haddar : Cela fait maintenant un mois que le nouveau gouvernement a vu le jour. La plupart des Tunisiens partent avec beaucoup de préjugés favorables mais ils attendent notamment de savoir qui va supporter le poids de la facture et comment celle-ci va être partagée.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

—————————————————-

Mohamed Haddar est professeur d’économie à l’Université El Manar de Tunis et président de l’Association des économistes tunisiens (ASECTU).

Quitter la version mobile