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Espace post-soviétique: après la Crimée, qui veut rejoindre la Russie?

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JOL Press : La Crimée a déclaré mardi son indépendance et s’apprête à organiser un référendum sur son rattachement à la Russie. Quels sont les précédents dans l’histoire de l’espace post-soviétique ?
 

David Teurtrie : La décision de la Crimée n’est en effet pas sans précédent dans l’espace post-soviétique. Déjà dans les années 90, la Transnistrie avait déclaré son indépendance vis-à-vis de la Moldavie. De même que l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, qui sont de facto indépendantes de la Géorgie depuis les années 90, ou encore le Haut-Karabagh, majoritairement peuplé d’Arméniens, qui a déclaré son indépendance en 1991 vis-à-vis de l’Azerbaïdjan. La décision de la Crimée n’est donc pas une nouveauté absolue.

Par contre, ce qui l’est beaucoup plus, c’est la perspective de rattachement à la Fédération de Russie, qui signifie de facto une annexion de la Crimée par la Russie. Ce n’est cependant pas la première fois qu’un territoire appartenant à un autre État que la Russie demande son rattachement au territoire russe mais sans toutefois que la Russie n’accède à cette demande. C’est le cas de la Transnistrie qui avait déjà organisé il y a quelques années un référendum en ce sens. En 2008, suite au conflit avec la Géorgie, la Russie n’avait pas mis en place d’annexion véritable des territoires indépendantistes (l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud), mais elle a reconnu leur indépendance. S’ils sont officiellement reconnus comme des États indépendants par la Russie, dans les faits, ce sont de véritables protectorats.

JOL Press : Ces régions souhaitent-elles un rattachement à la Russie ou une indépendance totale ?
 

David Teurtrie : Concernant la Transnistrie, c’est apparemment une volonté de rattachement à la Fédération de Russie. Tout d’abord parce qu’elle est très isolée – elle se trouve entre l’Ukraine et le reste de la Moldavie – et parce que son identité est très proche de l’identité russe. Pour l’Ossétie du Sud, je pense qu’une partie de la population voit plutôt le rattachement à la Russie comme un moyen de rejoindre les Ossètes du Nord, qui font déjà partie de la Fédération de Russie. Pour ce qui est de l’Abkhazie, la situation est beaucoup plus complexe parce que les Abkhazes ont un sentiment national fort. Même s’ils ont des liens forts avec Moscou, dans l’idéal, ils souhaitent donc garder leur indépendance. Il y a par exemple une loi sur la propriété et sur le sol qui ne permet pas aux citoyens russes d’accéder à la propriété au même rang que les citoyens abkhazes. Il y a donc certaines limitations qui n’existeraient plus s’ils rejoignaient la Fédération de Russie.

JOL Press : La décision de la Crimée pourrait-elle pousser d’autres régions indépendantistes à se tourner vers le giron russe ?
 

David Teurtrie : Mis à part les territoires que je viens de citer, cela paraît a priori peu probable à l’heure actuelle. Bien entendu, on pourrait penser à d’autres régions de l’Est de l’Ukraine, sachant que leur situation est différente de celle de la Crimée, qui est à majorité russe et qui avait un statut particulier de république autonome. Elle avait donc déjà les organes institutionnels qui pouvaient lui permettre de se détacher plus facilement de Kiev que d’autres régions de l’Est de l’Ukraine. Ces dernières ont des velléités d’obtenir une plus grande autonomie mais n’ont pas les cadres institutionnels leur permettant de faire valoir cette volonté.

JOL Press : Au contraire, quelles régions de Russie pourraient vouloir faire sécession ?
 

David Teurtrie : C’est difficile à dire. La fédération de Russie est composée de territoires et de populations qui ne sont pas tous « russes » au sens ethnique du terme. En réalité, une des seules régions qui pourrait avoir ce genre de revendications est bien évidemment le Caucase du Nord où de nombreux mouvements séparatistes existent. Mais la Russie fait tout pour empêcher ce genre de velléités sur son territoire et préfère pousser au sécessionnisme chez ses voisins, comme on vient de le voir avec le cas de la Crimée en Ukraine. La Russie est un État qui se perçoit encore un peu comme un empire.

JOL Press : Quelles pourraient être les conséquences, sur le découpage européen, d’un rattachement de la Crimée à la Russie ?
 

David Teurtrie : Dans le cas de la Crimée, la population russe est très attachée à cette région qu’elle considère comme russe, contrairement à l’Abkhazie ou à l’Ossétie du Sud pour lesquelles les Russes sont assez indifférents voire éventuellement hostiles. Si la Russie veut la Crimée, c’est aussi parce qu’elle a le sentiment qu’on veut lui arracher l’Ukraine et que les Occidentaux tirent les ficelles du nouveau gouvernement de Kiev. Cela pourrait avoir des conséquences importantes sur les relations internationales, puisqu’on pourrait maintenant imaginer, un peu partout en Europe, de nouveaux découpages territoriaux. La Roumanie par exemple parle depuis plusieurs années de réunifier les deux territoires de l’ancienne Grande Roumanie, c’est-à-dire la Roumanie elle-même et la Moldavie. Certains Moldaves sont favorables à cette perspective, ou en tout cas à une sorte de confédération de la Roumanie. D’autres régions moldaves comme la Transnistrie y sont au contraire hostiles.

JOL Press : Quels sont les moyens d’influence et de pression de la Russie sur ces régions indépendantistes ?
 

David Teurtrie : Quand une région indépendantiste prend le contrôle de son territoire mais qu’elle n’est reconnue par personne à l’international, il lui faut obligatoirement des soutiens extérieurs. Dans l’espace post-soviétique, la Russie est la seule puissance vers laquelle ils peuvent se tourner et dont ils sont totalement dépendants.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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David Teurtrie est docteur en géographie et chercheur à l’Observatoire des États post-soviétiques du Centre de Recherches Europe-Eurasie (CREE). Il a notamment soutenu une thèse sur Les enjeux de souveraineté entre la Russie et son étranger proche (2007) et a publié l’ouvrage Géopolitique de la Russie, L’Harmattan, 2010.

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