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La campagne des municipales a-t-elle acté la mort du Front de gauche?

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Dans de nombreuses communes, des candidats du Parti de gauche et Parti communiste se retrouveront sur des listes concurrentes. Si le PG a choisi de présenter un maximum de listes indépendantes du Parti socialiste, les communistes ont préféré les alliances à la perte de communes. Ce divorce acte-t-il la mort du pacte conclu en 2009, avant la campagne des élections européennes, entre le PCF et le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon ? Eléments de réponses avec Aurélien Bernier, auteur de La gauche radicale et ses tabous : Pourquoi le Front de gauche échoue face au Front national (Seuil – janvier 2014). Entretien.

JOL Press : La stratégie d’« autonomie » du parti de gauche sera-t-elle payante ?

Aurélien Bernier : Savoir si cette stratégie sera payante, c’est assez difficile à dire, en revanche je pense que c’est une bonne stratégie. Le Parti socialiste mène des politiques  qui ne sont plus des politiques de gauche et le Front de gauche qui cherche à se positionner comme une alternative à gauche ne peut pas être dans une alliance avec le PS. Historiquement, l’effondrement électoral du Parti communiste est lié à cette stratégie d’alliance avec le Parti socialiste. Ce qui a fait perdre massivement des voix aux communistes, ce n’est pas l’effondrement du Bloc de l’est, à la fin des années 80, mais c’est le fait d’avoir participé à des gouvernements socialistes quand les socialistes menaient des politiques qui n’étaient plus à gauche. Ce sera le cas sous François Mitterrand à partir de 1983 et avec Lionel Jospin de 1997 à 2002.

JOL Press : Pourquoi une stratégie qui fonctionne partiellement avec le Front national a plus de mal à marcher avec le Front de gauche ?

Aurélien Bernier : Il faut avouer que le discours d’autonomie qui est donné par le Front national et qui d’ailleurs ne correspond pas toujours à une réalité – on constate localement quelques alliances avec l’UMP –  est plus convaincant que celui du Front de gauche. La gauche radicale paye les alliances qu’elle a conclues, par le passé, avec les socialistes qui avaient pourtant abandonné leur programme.

[image:2,s]Qu’il y ait eu alliance et participation gouvernementale en 1981 quand le programme de François Mitterrand était un programme de gauche, c’est tout à fait normal. Mais qu’après le tournant de la rigueur de1983, les communistes soient restés au gouvernement, ce n’est plus normal. Quand Lionel Jospin a fait une campagne de gauche pour gagner les élections législatives, que les communistes y croient, c’est une chose, mais quand Dominique Strauss-Kahn se met à privatiser à tour de bras ou quand Lionel Jospin signe le traité d’Amsterdam qui prévoit la création de l’euro avec les mesures d’austérité qui l’accompagnent, la Parti communiste aurait dû quitter le gouvernement.

JOL Press : L’électeur sanctionnerait-il donc un manque de lisibilité des radicaux de gauche ?

Aurélien Bernier : Tout à fait. Je ne dis pas qu’il n’y aurait jamais dû y avoir d’alliances mais quand vous avez des dirigeants qui rompent les conditions de l’alliance, vous ne pouvez pas le cautionner sauf à être assimilé au Parti socialiste qui abandonné son programme de gauche. Le Front national qui n’a pas participé à des gouvernements de droite est beaucoup plus audible sur la question de l’autonomie.

JOL Press : Le divorce entre le Parti de gauche et le Parti communiste, lors de ces municipales, acte-t-il la mort du Front de gauche pour les prochaines échéances électorales ?

Aurélien Bernier : Les européennes arrivent tout de suite après les municipales et, à cette occasion, le Parti communiste et le Parti de gauche vont être obligés de faire des alliances. Ils n’ont pas le choix. On peut difficilement imaginer une liste communiste seule face à une liste du Parti de gauche. Cette pseudo conciliation va, cependant, poser de sérieux problèmes programmatiques : le Parti de gauche est sur une position beaucoup plus radicale que le Parti communiste sur les questions européennes. L’urgence de désobéir à l’Union européenne, portée par le Parti de gauche, ne séduit pas massivement les communistes parce que s’ils décidaient d’avoir un discours radical sur les européennes – comme au début des années 90 où ils critiquaient l’idée même du supranationalisme et le fait de passer à une monnaie unique – ils ne seraient plus, du même coup, socialo-compatibles. Le fossé deviendrait trop grand.

Je pense que le Parti communiste et le Parti de gauche vont mettre en place un compromis programmatique : le PC va promouvoir des réformes de l’intérieur des institutions européennes qui est totalement illusoire et le PG va mettre en avant la désobéissance à l’UE. La ligne politique du Front de gauche sera donc difficilement convaincante, ce qui va, immanquablement, rendre le Front national plus lisible et plus séduisant pour un grand nombre de Français sur les questions européennes.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Aurélien Bernier, ancien dirigeant d’Attac, proche du Front de gauche, collabore au Monde diplomatique. Il a notamment publié Le Climat, otage de la finance (2008), Désobéissons à l’Union européenne ! (2011) et Comment la mondialisation a tué l’écologie (2012), aux éditions Mille et Une Nuits.

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