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La guerre en Syrie ravive les tensions autour du Golan israélien

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La guerre civile syrienne se propage peu à peu à la zone démilitarisée qui s’étend le long du plateau annexé en 1967 par Israël. Le Mont Bental, sur le plateau du Golan. ChameleonsEye / Shutterstock

 

JOL Press : Depuis le début de la guerre en Syrie des coups de feu ont été échangés entre Israël et la Syrie. Qui les a tirés ?

 

Pierre Berthelot : Le Golan, qui était une zone relativement stable et calme depuis maintenant des décennies, commence à subir les premières répercussions de la guerre civile syrienne.

Des rebelles au régime de Bachar al-Assad se replient dans le Golan pour échapper aux forces armées syriennes. Ils en ont fait une zone de combat ; ce peut être une première origine des tirs.

Par ailleurs, les forces de Bachar al-Assad, sous couvert de chasser les rebelles installés là, pourraient avoir voulu montrer aux Israéliens que ces derniers n’ont aucun intérêt à appuyer la rébellion syrienne, mais bien, plutôt, de favoriser la stabilité de la région.

Les Israéliens, à plusieurs reprises – le gouvernement l’a démenti mollement -, ont ciblé des dépôts de munitions, des caches d’armes et des convois militaires en Syrie. Ils ont agi sous prétexte que les Syriens transféreraient des armes très sophistiquées au Hezbollah.

JOL Press : Quelle est la stratégie du Hezbollah ?

 

Pierre Berthelot : La thèse soutenant que la milice chiite va profiter du chaos syrien pour attaquer Israël n’a aucun sens.

Le Hezbollah combat aujourd’hui sur deux fronts. En Syrie, où il a envoyé plusieurs milliers de ses hommes ; et sur le front intérieur libanais, où il doit faire face à des djihadistes qui commettent des attentats terroristes. Lancer un troisième front serait donc totalement suicidaire pour le Hezbollah.

JOL Press : Quelle est la stratégie de Bachar al-Assad vis-à-vis d’Israël ?

 

Pierre Berthelot : Israël n’est pas en ce moment la préoccupation première de Bachar al-Assad, qui doit déjà gérer une rébellion intérieure. Son intérêt n’est vraiment pas de faire monter la tension avec Israël, du moins pas à un niveau d’ampleur très élevé. D’ailleurs, la Syrie n’a pas répliqué aux tirs israéliens, pour la simple et bonne raison qu’elle n’en a pas les moyens.

JOL Press : Quelle est la stratégie d’Israël ?

 

Pierre Berthelot : Les Israéliens ne veulent pas non plus aller trop loin avec la Syrie, car cela donnerait finalement du grain à moudre au régime de Bachar al-Assad.

Celui-ci aurait en effet beau jeu de dénoncer une collusion entre Israël et la rébellion syrienne, ce qui porterait bien sûr un coup fatal aux rebelles, alors vus comme des alliés d’Israël.

JOL Press : Israël a récemment fait savoir, qu’en cas d’escalade, l’armée ne se limiterait pas à des raids aériens, qu’elle utiliserait toutes ses capacités, y compris maritimes et terrestre. Est-ce un scénario plausible ?

 

Pierre Berthelot : On est clairement ici dans la surenchère verbale. Certes, les Israéliens observent la situation du Hezbollah, momentanément fragilisé. Il a ainsi perdu entre 1000 et 2000 hommes sur le front syrien sur un nombre total de 20 000 combattants, ce qui n’est pas négligeable. Mais il serait un peu rapide de croire que le gouvernement israélien pourrait pousser son avantage pour en finir avec le Hezbollah.

Car, ce que révèle aussi la crise syrienne, c’est que le Hezbollah est très fort. Avec seulement 2000 à 3000 hommes, il a déjà réussi à porter un coup décisif à la rébellion à Bachar al-Assad dans certaines villes stratégiques. Ses deux à trois mille hommes sont plus efficaces que 15 000 ou 20 000 combattants des troupes syriennes.

En 2006, lors du dernier conflit , les Israéliens pensaient réellement avoir les moyens d’en finir définitivement avec la milice chiite. Or cela a été un échec total. Non seulement le Hezbollah n’a pas été vaincu, mais il en est sorti grandi. Si les Israéliens décident de lancer une offensive, il doivent être certains de leurs chances. Réitérer le scénario de 2006 serait une gifle insupportable.

Or aujourd’hui, ils semblent avoir toujours des doutes. L’armement du Hezbollah s’est en effet accru – on sait qu’il possède de plus en plus de missiles de haute technologie qui lui ont été fournis. La guérilla menée par le Hezbollah en Syrie contre la rébellion à Assad témoigne d’une force militaire extrêmement redoutable.

Par ailleurs, au Liban, personne ne soutiendra Israël s’il y a une attaque ; il y aura comme d’habitude une union sacrée, y compris avec les partis anti-Hezbollah. En réalité, la surenchère verbale israélienne doit être replacée dans le cadre d’une confrontation plus globale au Proche et Moyen Orient avec l’Iran.

C’est en effet une façon pour les Israéliens de dire aux Américains, qui, aujourd”hui, semblent privilégier la conciliation sur le dossier du nucléaire iranien, de ne pas faire trop de concessions, car Israël aussi a les moyens de faire monter la tension dans la région.

Toutes les questions régionales s’imbriquent. Celle des Palestiniens, du Golan avec la Syrie, du nucléaire iranien… Tout se chevauche. Lorsqu’on agit sur un front, on pense parfois à d’autres.

JOL Press : Lorsque le conflit syrien prendra fin, et que le Hezbollah se désengagera donc de Syrie, utilisera-t-il les armes amassées durant ce conflit et les techniques de combat apprises contre Israël ?

 

Pierre Berthelot : Si le Hezbollah se retire de Syrie, ce sera la tête haute. Car il n’en sortira que lorsqu’il aura considéré que le régime de Bachar al-Assad est suffisamment fort pour se passer de ses services. Il se retrouvera alors effectivement dans une position symbolique renforcée et possédera un stock d’armes plus important ; il aura accru sa position stratégique.

Reste qu’un retrait de Syrie n’est pour l’instant pas du tout d’actualité. Même s’il est vrai qu’il est parfois évoqué par le Hezbollah, qui veut montrer que son objectif numéro un reste la résistance par rapport à Israël.

Propos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press

 

 

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