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Menteurs ou amateurs?

On n’est pas obligé de croire sur parole Christiane Taubira qui « se domine » paraît-il mais on a le droit de lui prêter une intelligence, certes pas aussi importante que celle qu’elle s’octroie, mais cependant indéniable.

Occultations et écoutes

Depuis deux jours, cette chasse à la femme a assez duré et rien n’est plus ridicule que ces demandes de démission à répétition qui n’ont pas d’autre ambition que de faire ressembler encore plus l’univers politique à un théâtre et à un jeu de rôles lassants et ennuyeux (Le Monde, Le Figaro). Peut-être serait-il temps de considérer la lune au lieu du doigt qui la montre ?

Cette occultation de l’essentiel est d’autant plus choquante que depuis peu – grâce notamment au rapport du procureur national financier, la remarquable Eliane Houlette – on sait ce qu’il en est vraiment de ces procédures, de ces écoutes et des éléments recueillis, entre le 28 janvier et le 11 février, qui ont conduit à l’ouverture d’une information, le 26 février, pour violation du secret de l’instruction et trafic d’influence.

Les écoutes de l’ancien président ont été mises en place non pas en avril 2013 mais le 3 et 19 septembre 2013 et, si le portable de Me Herzog n’a jamais été écouté, ses échanges avec son client, avec deux portables acquis sous des identités fictives, ont fait apparaître, avec la référence à Gilbert Azibert et à son rôle, des présomptions de commission des infractions précitées.

La Justice populaire

Je désespère, au regard d’une calamiteuse tradition française, de faire comprendre que, si la justice est rendue au nom du peuple, cela ne signifie pas forcément que celui-ci en maîtrise les arcanes et les complexités d’autant plus que les politiques de droite ou de gauche, à quelques exceptions près, ne lui donnent pas l’exemple et sont d’une insigne inculture judiciaire qui les conduit à s’exciter à hauteur de leur ignorance et à formuler des jugements expéditifs à proportion même de leurs lacunes. Les médias eux-mêmes, si j’en exclus ceux pour lesquels la justice est le coeur palpitant, troublé et parfois trouble d’une démocratie, ne sont pas, dans leur globalité, des miracles de savoir et de précision.

On a pu le constater avec ces récentes polémiques où l’amateurisme a prédominé sur le mensonge, où le mensonge apparent n’a été qu’une manière tordue et malhabile de se sortir d’un guêpier où la gauche s’est laissée enfermer.

Maladresses et Malentendus

Christiane Taubira, à cause de son propos maladroit sur TF1, a donné l’impression de ne pas assumer ce qui relevait de sa mission de garde des Sceaux : être informée, par l’entremise de la Direction des affaires criminelles et des grâces, des rapports que structurellement les parquets et les parquets généraux transmettent afin d’éclairer le ministère sur le cours des affaires signalées – quels qu’en soient les motifs – et les actes accomplis ou projetés. Cette communication, si elle avait été admise et reconnue comme naturelle, évidente, n’aurait pas suscité le moindre débat puisqu’elle est inhérente à l’existence d’un ministre de la Justice et à la hiérarchie du ministère public.

Par maladresse – elle est allée dans la contrition jusqu’au « malentendu » et a concédé « s’être trompée de dates »- elle a déguisé un processus normal en scandale et fait croire qu’elle cachait ce qu’elle aurait dû si aisément admettre.

Des rapports ont été adressés au ministère de la Justice et celui du 26 février émanant du parquet général accompagnait celui d’Eliane Houlette qui ne se contentait pas d’annoncer l’ouverture d’une instruction mais expliquait sur quel fondement cette décision avait été prise en faisant référence aux éléments des écoutes qui l’avaient justifiée. Christiane Taubira déclarait que le 28 février elle informait Jean-Marc Ayrault.

Le Premier ministre, pour sa part, indiquait avoir été avisé dès le 26 février par sa ministre – ce qui semble tout de même plus plausible compte tenu de l’urgence du fait à transmettre – mais je ne crois pas une seconde que son conseiller judiciaire ou lui-même aient attendu le 4 mars pour transmettre la nouvelle au conseiller compétent de l’Elysée, voire au président lui-même (L’Opinion).

Manuel Valls, lui, nous prend pour des naïfs quand il s’obstine à se décrire comme le grand ignorant de la place Beauvau. C’est inconcevable et invraisemblable, la police informant en général avec une rapidité extrême, parallèlement au circuit judiciaire, sa hiérarchie et donc le ministre de l’Intérieur. Et il s’agit d’écoutes d’un ancien président de la République !

Si je ne suis pas exclusivement et unilatéralement à charge dans ces joutes échauffées, cela tient au fait qu’aucune immixtion directe et autoritaire du pouvoir politique n’a été opérée sur le cours des dossiers récents et, plus généralement, depuis le mois de mai 2012. Au risque de me répéter, il s’agit d’une abstention dont le quinquennat précédent se dispensait, preuves à l’appui, et qui rend saumâtres les leçons de morale publique dispensées par la droite sarkozyste.

L’autopsie de la nomination de François Pérol est par exemple révélatrice à cet égard : l’état de droit a été plus ou moins malmené lors de toutes les alternances mais ce qui constitue les transgressions de Nicolas Sarkozy comme tristement singulières tient à la désinvolture arrogante avec laquelle elles ont été offertes à la République en lui intimant d’avoir à les prendre et à les supporter. Jamais à les laisser. L’état de droit n’était pas seulement offensé mais relégué comme un gadget à la disposition des rêveurs et sans utilité pour les politiques se prétendant sérieux et efficaces.

Pour la gauche, c’est plus compliqué

De la même manière que la normalité de François Hollande a éclaté parce que, contre son gré, il a été contraint d’adopter un rythme et une tonalité relevant du style de Nicolas Sarkozy, le socialisme est empêtré dans les rets de l’administration de la justice.

Ecartelés entre une exigence de pureté judiciaire et démocratique – surtout ne pas faire comme les prédécesseurs ! – et un souci de réalisme et de pragmatisme – l’indépendance de la magistrature n’interdit pas de s’informer des dossiers importants qu’elle instruit – nos gouvernants, et Christiane Taubira au premier chef, ne savent plus sur quel esprit danser et à force de laisser faire en voulant savoir ils semblent perdre sur les deux tableaux. Tout ce qu’on peut espérer, c’est qu’une pente fatale, devant cette contradiction de plus en plus insoutenable, ne les incitera pas, pour l’état de droit et par une cohérence perverse, à revenir aux anciennes habitudes au lieu de maintenir les nouvelles.

Ceux qui parlent ne savent pas grand-chose et ceux qui savent, en tout cas dans la magistrature active ou dans sa périphérie, ne parlent pas suffisamment : je songe, entre autres, aux syndicats – mais plus de Mur des cons ! -, à Eva Joly, à Eric de Montgolfier et à Renaud Van Ruymbeke qui devraient davantage damer le pion aux ineptes et aux partisans qui se paient la justice parce qu’on présume qu’elle réagira peu et qu’on a raison. Comme l’Eglise hier, avant le charismatique pape François. Elle attend le sien profane.

J’ai été confronté au bâtonnier Burguburu au sujet des derniers événements judiciaires en face des deux animateurs exceptionnels que sont, dans un registre différent, Eric Naulleau et Eric Zemmour. Quel bonheur quand on passe de l’écoute de Caron au dialogue avec ces deux intelligences courtoisement critiques et stimulantes (Paris Première) !

Un monde différent

Depuis le mois de mai 2012, en étant loin d’être béat sur l’inquiétante politique pénale de Christiane Taubira, je continue à soutenir que nous avons changé de monde. Ce qui inspire un double enseignement.

Le premier : les magistrats ne politisent pas la justice. Ce sont les politiques qui y instillent leur esprit partisan et plaquent sur elle leur idéologie. Il est évidemment plus commode d’incriminer les juges de ce dont les élites politiques et médiatiques sont coupables. Je répète qu’ils ne créent pas pour leur propre compte les comportements équivoques dont ils sont saisis, qu’ils concernent l’ancien président ou d’autres comme les Balkany par exemple. Ils n’ont plus de raison de s’abandonner à une exacerbation aigre et dangereuse puisque ce pouvoir les traite avec courtoisie et correction.

Le second : il n’y a plus d’interpénétration entre justice et médias. Il y a aujourd’hui deux mondes parallèles, dont l’un judiciaire se meut librement, avec compétence souvent et la plupart du temps dans la discrétion et dont l’autre politique est le témoin à la fois méprisant et craintif de l’activité d’une institution fondamentale pour la démocratie.

A la fin de Mots croisés, Yves Calvi demandait à ses invités quel conseil il convenait de donner aux politiques pour la justice. Je n’en aurais suggéré qu’un, mais capital et tout simple : apprenez-la et ensuite vous en parlerez.

Il y aura un double obstacle à surmonter.

Le populisme basique antijuges.

Le populisme élitiste, faussement noble, dévastateur antijustice.

Alors, menteurs ou amateurs ?

Amateurs sûrement mais il ne faudra plus en abuser.

Lire d’autres articles de Philippe Bilger sur son blog: Justice au singulier

 

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