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Service militaire pour tous en Israël: les ultra-orthodoxes se révoltent

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En Israël, le Parlement examine, à partir de ce 11 mars 2014, un projet de loi qui imposerait le service militaire aux jeunes qui étudient la Torah (Crédits : shutterstock.com)

En Israël, un projet de loi, défendu par le parti centriste Yesh Atid, prévoit de mettre un terme à l’exemption de service militaire dont bénéficient les élèves des écoles talmudiques,  une exception perçue comme fondamentalement injuste par une partie de la société israélienne. Ce texte a profondément choqué les ultra-orthodoxes qui ont manifesté, dimanche 9 mars, à l’entrée de Jérusalem pour dénoncer une loi qu’ils qualifient de « persécution religieuse ». Décryptage de la situation sur place avec Sébastien Laugénie, correspondant en Israël pour Radio France.

JOL Press : D’où vient l’exemption du service militaire dont bénéficient les étudiants des écoles talmudiques en Israël ?
 

Sébastien Laugénie : Le statu quo – un accord informel conclu en 1947 entre les dirigeants laïcs du mouvement sioniste en Palestine et les autorités religieuses juives – précisait que les étudiants des yeshivas (centres d’étude de la Torah et du Talmud dans le judaïsme) n’étaient pas tenus de faire leur service militaire. Ce statut quo fait des concessions aux autorités religieuses en réglant, par exemple, la question du travail le jour de shabbat pour les commerces ou les transports publics.

Mais depuis 1947, la démographie israélienne a totalement changé. A l’époque, les ultra-orthodoxes étaient très peu nombreux, aujourd’hui ils représentent environ 10% de la population. Et cette progression n’est pas prête de s’arrêter : dans les écoles publiques, près de 20% des élèves de 6 ans appartiennent à des familles ultra-orthodoxes. Face à cette augmentation de la population ultra-orthodoxe, cette exemption du « fardeau » militaire est devenue pour l’armée un vrai souci car elle risque, à terme, de manquer de soldats.

Il faut ajouter que cette exemption a été maintenue concrètement jusqu’à l’été 2012 quand un arrêt de la Cour suprême d’Israël a considéré qu’elle était « contraire au principe d’égalité », car les étudiants qui ne font pas le service militaire reçoivent, en outre, une subvention de l’Etat. Par cet arrêt, la Cour suprême oblige l’Etat à faire passer une nouvelle loi sur le service militaire, les parlementaires cherchent donc un moyen de trouver un compromis entre les exigences de la Cour suprême et les réticences des ultra-orthodoxes.

JOL Press : Pour quelles raisons les ultra-orthodoxes s’opposent-ils au service militaire obligatoire ?

Sébastien Laugénie : Les étudiants des yeshivas estiment que leur activité principale ne doit être consacrée qu’à l’étude du Talmud (texte qui compile les discussions rabbiniques sur l’ensemble des sujets de la Loi juive). Pour eux, l’obligation du service militaire serait contradictoire avec l’unique obligation qu’ils s’imposent.

JOL Press : Vous disiez que le nombre d’ultra-orthodoxes augmentait de façon massive, comment l’expliquer ?
 

Sébastien Laugénie : On explique cette augmentation essentiellement par leur taux de natalité. Si le taux de fécondité des ultra-orthodoxes est passé de 7,5 en 2005 à 6,5 en 2010, il reste bien supérieur à celui du reste de la population juive qui est autour de 2,8. Cette population qui était jusqu’alors marginale fait désormais partie intégrante de la société israélienne.

JOL Press : Sur place, que pensent les Israéliens laïcs de tout cela ?
 

Sébastien Laugénie : La population, en général, comprend très mal cette résistance des ultra-orthodoxes au service miliaire. A la tête de ce combat, on trouve le parti Yesh Atid qui est aujourd’hui le nouveau parti des classes moyennes et qui est entré dans la nouvelle Knesset en 2013. Cette classe moyenne d’Israéliens laïcs a l’impression d’être la seule à porter le « fardeau » militaire. Yesh Atid a donc été très en pointe pour faire avancer cette nouvelle loi et représente assez bien le sentiment général de la population qui trouve très injuste cette répartition des droits et des devoirs et comprend assez mal que les étudiants des yeshivas touchent des subventions de l’Etat pour étudier alors qu’ils ne font pas leur service militaire.

Les sionistes religieux, représentés par Naftali Bennett, vivent, eux aussi, mal cette situation. Le Foyer juif, parti politique ultra-nationaliste situé à l’extrême droite du spectre politique israélien, est, en effet, très investi dans l’armée et estime que les ultra-orthodoxes ne prennent pas leur part de responsabilité.

Globalement, toute la coalition, qui va du Likoud, parti politique sioniste israélien de tendance nationaliste, au centre avec le Yesh Atid, partage à peu près la même vision. Leurs avis divergent cependant sur la question des sanctions pénales envisagées à l’égard des ultra-orthodoxes qui refuseraient d’accomplir leur service militaire. Ces éventuelles peines de prison ont été à l’origine de la mobilisation massive des ultra-orthodoxes ces derniers jours.

JOL Press : Selon vous, ce projet de loi controversé a donc de grande chance d’être voté ?
 

Sébastien Laugénie : Ce projet de loi a, en effet, toutes les chances d’être adopté. Sur les sanctions pénales, on ne sait pas encore ce que choisiront les parlementaires. Il faut, cependant, souligner que même s’il y a eu des manifestations très importantes, la loi qui va être adoptée ne sera pas du tout contraignante pour les ultra-orthodoxes. La loi mettra en place toute sorte de moyens pour échapper au service militaire, dans le détail, des reports seront envisagés et des services civiques seront proposés à ceux qui refuseraient le service militaire.

Cette loi ne confrontera en aucun cas la totalité des étudiants des yeshivas à faire le choix du service militaire ou de la prison. Les ultra-orthodoxes en sont tout à fait conscients, mais ils se sont servis de cette loi pour se rassembler, au-delà de leurs divergences, et opérer une démonstration de force.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

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