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Algérie: Bouteflika est-il en train de préparer sa succession?

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JOL Press : Le président Bouteflika pourrait-il désigner un vice-président dans les semaines qui viennent ? Est-il prêt à partager son fauteuil de président ?
 

Rachid Grim : Un vice-président immédiatement, absolument pas. Il lui faudra d’abord réformer la constitution actuelle et prévoir le poste de vice-président qui assurera automatiquement la succession en cas de vacance provisoire ou permanente du pouvoir. La réforme constitutionnelle est prévue (normalement dans le semestre qui suit), sans toutefois en connaître encore le contenu exact.

Y aura-t-il création du poste de vice-président ? Normalement oui. Même si Abdelmalek Sellal, le Directeur de la campagne électorale du président/candidat avait affirmé qu’il n’y aura pas de création du poste, on voit mal comment ce serait possible, compte tenu de l’état de santé très précaire du président. Même si cet état s’améliore avec le temps, le président n’est pas en mesure de gouverner seul et, surtout, il est à la merci d’une rechute brutale à n’importe quel moment.

Donc malgré son caractère entier, son ego surdimensionné, sa volonté de rester au pouvoir jusqu’à la limite de ses moyens physiques (et intellectuels), il est assez réaliste pour préparer dès maintenant sa succession. Ne serait-ce que pour assurer la survie du système qu’il a mis en place depuis 1999 et aussi, et surtout, protéger les intérêts de son clan familial et amical.

En attendant la réforme constitutionnelle, il continuera à gouverner le plus souvent par procuration : c’est le premier ministre (gageons que Sellal retrouvera son poste de Premier ministre, dès la formation du prochain gouvernement) qui assurera la visibilité du pouvoir, en continuant à parcourir le territoire national et à distribuer (dilapider) une partie de la rente financière. Le vrai pouvoir restera à El Mouradia (le palais présidentiel) entre les mains de son petit frère Saïd, le vrai patron du clan.

JOL Press : Son frère Saïd est justement présenté par certains observateurs comme le seul capable de seconder Abdelaziz dans ses fonctions présidentielles. Quel a été le rôle de Saïd Bouteflika pendant ce dernier mandat ?
 

Rachid Grim : Officiellement, Saïd n’est que le conseiller spécial du président. Il n’a donc pas pour fonction de seconder son frère. Il ne fait que le conseiller. Dans la réalité, personne n’est dupe, y compris la grande majorité des citoyens sait à quoi s’en tenir après avoir vu le président, l’air hagard dans son fauteuil roulant. Tout le monde sait que, depuis la détérioration de son état de santé, depuis en fait 2005 et son ulcère hémorragique (en réalité un cancer) mais plus encore, depuis son AVC, le président ne gouvernait que par intermittence. Ses moments d’absence devenaient de plus en plus nombreux et longs.

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La gouvernance du pays, l’expression du pouvoir présidentiel dans sa relation avec les institutions et les autres hommes du pouvoir, se faisait par l’intermédiaire du Frère (surnommé le Président-bis). Rien, absolument rien n’avait échappé (et encore aujourd’hui) à la volonté de Saïd.

Y compris la décision d’aller à un quatrième mandat et toutes les mesures étonnantes prises en 2013 pour préparer la réélection du grand frère : affaire de la restructuration du DRS (Département du Renseignement et de la Sécurité) ; recomposition des staffs du FLN et du RND (Rassemblement national démocratique) ; verrouillage du gouvernement (par la nomination aux postes clés de personnalités très proches et fidèles) et de l’administration en vue des élections ; attaques contre le chef du DRS ; désignation du comité de direction de la campagne électorale ; financement de cette dernière autant par l’argent de l’État que par l’argent sale du commerce souterrain, etc. En un mot, c’était lui le véritable architecte du quatrième mandat.

JOL Press : A-t-il la carrure nécessaire pour prendre les rênes du pouvoir ?
 

Rachid Grim : C’est aujourd’hui l’homme le plus craint (et probablement le plus détesté) du sérail. Au niveau de la présidence de la république, il se raconte qu’il a fait le vide autour du président et que rien ne s’y passe sans son consentement.

À la veille du printemps arabe, il se racontait que le président le préparait pour assurer sa succession. C’était d’ailleurs le scénario initial d’une succession en famille qui tenait la rampe à ce moment-là: il n’était pas question d’un quatrième mandat, mais de la candidature de Saïd pour succéder à son frère. Le printemps arabe étant passé par là, il fallait trouver une solution de rechange, pour maintenir le clan au pouvoir. À défaut d’un candidat fiable (pour le clan), il ne restait plus que le quatrième mandat. En attendant une solution définitive que le clan ne désespère pas de trouver.

S’agissant de carrure pour prendre les rênes du pouvoir, Saïd a été à la bonne école : celle de son frère (un véritable Machiavel, disent ceux qui l’ont approché). Le fait qu’il soit craint par tous et détesté par beaucoup de membres importants du système, laisse penser qu’il a fini par acquérir cette stature (peut-être par défaut, tant les vrais hommes d’État ont disparu de la scène politique du pays).

Si les choses changeaient (à la prochaine élection présidentielle) et qu’il n’y a plus d’opposition absolue de la part des « décideurs » à une candidature de Saïd, nul doute qu’il sera celui qui tiendra la rampe, tant il a acquis une expérience réelle du pouvoir au plus haut niveau. La seule inconnue réside dans sa personnalité plutôt effacée et son manque de charisme (jusqu’ici palliés par sa position de « frère préféré »).

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JOL Press : Abdelmalek Sellal a occupé les devants de la scène politique pendant toute la campagne présidentielle en tant que directeur de campagne de Bouteflika. Que va-t-il devenir maintenant ?
 

Rachid Grim : Gageons qu’il gardera (au moins un temps) son poste de premier ministre, dans lequel, il faut le signaler, il a excellé pour faire croire que le président était toujours aux manettes, à l’écoute des besoins des citoyens, et s’occupait en permanence à régler les problèmes du pays, y compris ceux, ardus pour un homme prétendument handicapé, de sécurité nationale et de stratégie de développement économique. Il serait hasardeux pour le président de se séparer d’un tel allié, qui a fait preuve d’une fidélité à toute épreuve. Et ce, malgré toutes les bourdes langagières qu’il n’a cessé de cumuler, au point qu’une partie des citoyens – surtout la jeunesse – le qualifie de clown.

JOL Press : Qui sont les autres proches de Bouteflika sur qui le président va pouvoir s’appuyer pour ce 4ème mandat ? Quels sont leurs intérêts à rester au pouvoir ?
 

Rachid Grim : En dehors de la famille et de Sellal, il y a toute la horde de ceux qui doivent leur carrière à Bouteflika et qui sans lui sont appelés à disparaître de la scène politique et, pour certains, avoir de sérieux problèmes avec la justice.

Amar Saidani

Amar Saidani, le patron du FLN, une espèce de marionnette manipulée par Saïd pour, d’abord mettre le parti au service du quatrième mandat, puis lancer des attaques frontales contre le chef du DRS afin de le déstabiliser et l’amener à ne plus s’opposer au quatrième mandat. Il semblerait qu’aujourd’hui le clan le lâche et qu’il risque assez rapidement d’être chassé de la tête du FLN, puis de connaître de sérieux problèmes avec la justice (il y a de fortes probabilités que l’annonce par un journal en ligne français, puis par toute la presse algérienne, de la possession par lui d’un compte en France de 300 millions d’euros porte la signature du DRS qui commence à régler ses comptes avec lui).

Amar Ghoul et Amara Benyounes

Il y a Amar Ghoul, le patron du parti islamiste TAJ, mais surtout ancien ministre des Travaux Publics, premier responsable du scandale de l’autoroute est-ouest, qui continuera de servir le président pour ne pas avoir à subir les foudres de la justice qui jusque-là l’a épargné dans son enquête sur la corruption qui a gangréné la réalisation de l’ouvrage. Il en est de même d’Amara Benyounes, chef d’un des partis de l’Alliance présidentielle (le MPA) qui doit tout à Bouteflika et qui perdra tout en perdant la proximité du président. Toutes ces personnalités n’ont d’autre destin que de servir le maître. Ils en tirent des bénéfices en termes de partage de la rente et de protection vis-à-vis de la justice, mais n’ont aucune chance de peser sur l’avenir du système (et du pays).

Ahmed Ouyahia

Il reste les deux ex prétendants à la magistrature suprême, qui avaient été éloignés pendant un long moment de la proximité du pouvoir et qui ont été rappelés pour soutenir la candidature du président. L’un d’eux a même été désigné en tant que Directeur de cabinet à la présidence, poste stratégique, s’il en est. Il s’agit d’Ahmed Ouyahia, ex patron du RND, ex premier ministre, homme-lige du système et réalisateur de ses basses œuvres. 

On dit de lui qu’il est le protégé de l’Armée et/ou du DRS. On dit aussi qu’il sera probablement le futur président, en passant par le poste de vice-président qui sera créé par la nouvelle constitution. En fait, à part qu’il est en permanence aux avant-postes du pouvoir, il n’a été jusqu’ici qu’un numéro 2 assez pâlot face aux vrais décideurs : le président et son frère, d’une part, les patrons de l’armée et du DRS, d’autre part. À mon avis, c’est l’homme politique qui traîne le plus de casseroles depuis son apparition sur la scène politique au milieu des années 90.

Abdelaziz Belkhadem

Il reste le dernier candidat au pouvoir suprême, Abdelaziz Belkhadem, ancien patron du FLN, chassé de son poste par un coup d’État actionné depuis la présidence. C’est un ancien premier ministre de Bouteflika à la fibre islamiste très développée. Il n’a jamais caché ses ambitions de devenir un jour président de la république et de participer à la « réislamisation » du pays. Il serait étonnant que le clan le considère comme un des siens, même s’il est capable, le cas échéant, de passer un deal avec lui, pour protéger le clan et ses intérêts. Belkhadem, un enfant du système, respectera certainement les éléments du deal, s’il venait à être intronisé président (ou vice-président, en attendant).

On voit donc qu’il n’y a pas énormément de candidats qui tiennent la rampe, pour succéder à Bouteflika. Ce sera probablement, en ajoutant Sellal à Ouyahia et Belkadem, parmi ces trois personnalités que sera choisi, au moins pour une transition de quelques années, le successeur du président fraîchement réélu. Le tour de Saïd arrivera une fois que les conditions politiques seront mises en place.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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