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Bouteflika réélu: que va-t-il se passer en Algérie?

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JOL Press : Beaucoup d’observateurs disent que le scrutin est « joué d’avance » et que Bouteflika va l’emporter encore une fois. Qu’en pensez-vous ?
 

Rachid Grim : Pour la majorité des observateurs, y compris moi, le scrutin est joué d’avance : Bouteflika succèdera à lui-même et ce, dès le premier tour. Compte tenu de la personnalité du président/candidat (une estime de soi qui dépasse de très loin la normale, un ego surdimensionné et le souhait de mourir au poste de président de la République), il est impossible qu’il aille aux élections sans la garantie de l’emporter à une large majorité.

Certains affirment qu’il est impossible que ce soit lui qui ait pris la décision de se représenter : les séquelles de son AVC lui auraient fait perdre une grande partie de ses capacités intellectuelles, du moins au moment où il avait annoncé (par l’intermédiaire de son Premier ministre) sa décision de se présenter à un quatrième mandat.

Même si cela était vrai, son clan (en fait son frère Saïd) n’a fait que réaliser le souhait profond du président de rester en poste jusqu’au bout. De plus, le clan a réellement peur de ce qui pourrait se passer à la suite d’une élection sans Bouteflika : les quinze ans de pouvoir sans partage du clan lui a créé une foultitude d’ennemis qui ne manqueront pas de demander des comptes, une fois en dehors du pouvoir.

Toutes les grandes affaires de corruption qui se sont déroulées sous la couverture (et probablement avec la complicité) du clan ne manqueront pas de ressortir avec des conséquences dramatiques pour la famille et ses proches. Seul le maintien de l’actuel président au poste de président, quelles que soient ses aptitudes physiques et intellectuelles, pourra les protéger, le temps de trouver une solution définitive avec les autres hommes du système.

JOL Press : En cas de victoire d’Abdelaziz Bouteflika, affaibli physiquement, le président pourrait-il déléguer une partie de ses fonctions à son Premier ministre ou à des proches du pouvoir ?
 

Rachid Grim : Il est évident que Bouteflika n’a pas encore retrouvé toutes ses capacités. Physiquement, les séquelles de son AVC sont encore très visibles et handicapantes. Il y a bien entendu une amélioration visible, mais il n’est ni en mesure de se déplacer, ni de parler de manière distincte comme c’était le cas de son mandat précédent. Intellectuellement, les porte-paroles du candidat répètent à l’envi qu’il a conservé tous ses moyens et, à entendre Sellal [directeur de campagne de Boputeflika] et Benyounes [porte-parole du président], il aurait gardé une acuité intellectuelle étonnante.

Beaucoup d’observateurs, qui ont suivi de près la carrière de Bouteflika depuis qu’il était ministre des Affaires étrangères sous Boumédiène [ancien président algérien de 1965 à 1978], jusqu’à ses quinze années passées comme président de la République, pensent que l’AVC a laissé des traces indélébiles sur ses capacités intellectuelles. Jamais, disent-il, un Bouteflika en possession de tous ses moyens intellectuels ne se serait prêté à la mascarade de se plaindre du candidat Ali Benflis (sans le nommer) qu’il a accusé de terrorisme, auprès du ministre espagnol des Affaires étrangères. Il avait toujours, jusque là fait preuve d’un nationalisme intransigeant.

En cas de victoire, il pourrait donc gouverner par procuration à travers son Premier ministre ou plus tard – si la révision constitutionnelle annoncée instaure le poste – à travers le vice-président. Et ce, jusqu’au délabrement total de son état de santé et/ou son décès. Et pendant tout ce temps-là, le vrai président sera encore son frère Saïd.

JOL Press : Pensez-vous que les mouvements d’opposition au 4ème mandat, comme Barakat, pourront perdurer après le 17 avril ?
 

Rachid Grim : Tout le monde le souhaite et les porte-paroles du mouvement l’ont déclaré à plusieurs reprises. D’ailleurs, depuis quelque temps, il ne parle plus d’opposition au quatrième mandat, mais de faire « dégager le système » en entier. Quel que soient, ajoutent-t-ils, le vainqueur du scrutin. Il faut toutefois espérer que le mouvement Barakat ne suive pas le chemin de ses aînés : le mouvement des arouchs, par exemple, qui a mené la revendication politique qui a suivi le Printemps noir de Kabylie en 2001, et qui a été détruit et rendu inefficace par ses divisions et les manœuvres du pouvoir.

Les capacités de corruption du système sont immenses et rares sont les dirigeants de mouvements, associations et même partis politiques qui arrivent à résister. Les résultats, jusque-là, ont été catastrophiques : ils ont fini par décrédibiliser totalement les mouvements d’opposition qu’ils soient politiques ou associatifs. Échaudés, les citoyens ne croient plus en l’honnêteté des politiques. C’est dire tout le travail qui attend les responsables du mouvement Barakat et des autres mouvements qui ont fait jonction avec lui pour lutter contre le système et le faire partir.

JOL Press : Quelles devraient être, selon vous, les priorités du prochain gouvernement algérien ?
 

Rachid Grim : S’il s’agit d’un gouvernement issu de la victoire de Bouteflika, nul doute qu’il continuera ce qu’il a fait jusque là : dépenser (dilapider) les milliards de dollars de réserves de change dans des projets gigantesques qui profiteront à tous les prédateurs du clan ou qui tournent autour de lui. On annonce déjà la réalisation d’un TGV qui reliera les frontière est et ouest, une autoroute dans les hauts plateaux, des millions de logements, etc. On sait déjà qui profitera des surcoûts que tous ces projets, par ailleurs indispensables, ne manqueront pas de dégager.

Espérons toutefois que la raison finira par l’emporter et qu’une partie au moins de la rente aille vers l’économie réelle, qui  créera de « vrais » emplois, qui apportera de la « vraie » croissance et qui tentera de sortir l’Algérie de sa dépendance mortelle vis-à-vis des seuls hydrocarbures.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

>> La présidentielle algérienne à l’heure du bilan et les scénarios possibles : l’autre interview de Rachid Grim sur JOL Press

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