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Départ de jeunes djihadistes français en Syrie: quelle est la responsabilité des parents?

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Le gouvernement dévoilait le 23 avril une vingtaine de mesures pour empêcher les jeunes Français de faire le djihad en Syrie (shutterstock.com)

François Hollande a promis que la France prendrait « toutes les mesures pour dissuader, empêcher, punir ceux ou celles » qui seraient tentés par le djihad : « La France déploiera tout un arsenal en utilisant toutes les techniques, y compris la cybersécurité », a affirmé le président de la République. Seront également utilisées les « techniques humaines qui consistent tout simplement à parler, à aller chercher dans les familles un certain nombre d’alertes qui nous permettent ensuite d’intervenir », a ajouté François Hollande lors d’une intervention à l’Institut du monde arabe. Mais les familles sont-elles seulement au courant des intentions de leurs enfants ?

JOL Press : Comment se passe le recrutement des djihadistes qui partent en Syrie ?
 

David Thomson : Le mot de « recrutement » n’est pas forcément approprié dans la mesure où ce sont très souvent les jeunes qui cherchent eux-mêmes à trouver les contacts sur les réseaux sociaux qui leur permettront de rejoindre le djihad en Syrie. Les combattants sur place n’ont même plus besoin de recruter. Les jeunes intègrent l’idéologie djihadiste en faisant leur apprentissage en autodidacte sur Internet, dans 98% des cas, et ensuite ils ressentent le besoin voire l’obligation de partir sur une terre de djihad (en arabe on parle de l’hijra, c’est-à-dire de l’émigration d’un musulman d’une terre de mécréance vers un pays musulman). Pour eux, l’islam authentique ne se pratique que sur une zone où se déroulent des combats. Aujourd’hui il s’agit de la Syrie.

C’est avant tout, pour ces jeunes, une question de vie ou de mort : s’ils ne partent pas, leur âme est vouée à l’enfer. Et pour rendre sur place, c’est très simple, il suffit de trouver sur Facebook quelqu’un qui a le profil d’un combattant en Syrie et de prendre contact avec lui.

JOL Press : Est-ce possible, dans ce contexte, que les familles ne se rendent compte de rien ?

David Thomson : Oui, tout à fait. Je l’ai moi-même constaté dans beaucoup de cas. Si on prend le cas de Nora, cette lycéenne de 15 ans, qui a quitté le domicile familial à Avignon en janvier, pour rejoindre le djihad en Syrie, ses parents ont été les derniers à se rendre compte des intentions djihadistes de leur fille. Elle avait deux profils Facebook : l’un la représentant comme une petite écolière ordinaire et un profil djihadiste avec des photos de Ben Laden – c’est avec ce profil qu’elle était en contact avec des djihadistes sur place. Ce n’est qu’une fois partie qu’elle a averti ses parents de ses intentions. Tout peut se passer très vite, en quelques mois, et totalement à l’insu des familles.

Certaines familles peuvent être au courant des intentions de leur enfant et cherchent, dans le huis-clos familial, de le dissuader du mieux qu’elles peuvent. Mais elles n’y arrivent pas parce que les jeunes sont persuadés que cette autorisation des parents n’est pas nécessaire et que partir pour le djihad est même une preuve d’amour enversses parents : ils ont la conviction que le djihad permettra à leurs parents d’entrer un jour au paradis.

JOL Press : Les parents ont-ils, malgré tout, une part de responsabilité dans ces départs ?
 

David Thomson : Je ne crois pas forcément. Aujourd’hui ces départs concernent un public nouveau. On dit souvent que les jeunes qui partent sont des personnes désœuvrées, mais ceux que j’ai vu partir avaient des familles aimantes et structurées. La prédication sur Internet touche tout le monde et pas seulement les jeunes qui ont été ballotés de foyers en familles d’accueil. Il est indéniable, cependant, que les milieux populaires sont les plus touchés.

JOL Press : Que peuvent faire les parents qui s’inquiètent de la radicalisation de leur enfant ?
 

David Thomson : Certains parents contactent eux-mêmes les services de police pour leur indiquer que leur enfant présente des symptômes djihadistes  et qu’il est sur le point de partir. Des jeunes m’ont raconté qu’ils avaient déjà vu la police débarquer chez eux pour leur faire peur sur demande de leurs propres parents. Je ne connais aucun cas de parents qui partagent l’idéologie de ces jeunes djihadistes. Le départ se fait toujours contre l’avis des parents. Un djihadiste me disait, juste avant de partir : « Jamais un jeune ne part au djihad avec l’accord de ses parents, mais c’est au moment du Jugement dernier que nos parents se rendront compte  de l’utilité du sacrifice que nous aurons fait ». La plupart des jeunes que j’ai rencontrés m’ont raconté que leurs parents faisaient tout pour les empêcher de partir lorsqu’ils étaient au courant.

JOL Press : Quels sont les premiers signes d’une radicalisation ?

David Thomson : Il peut arriver que certains jeunes fassent la fête, boivent de l’alcool, fument du tabac ou du haschich et en quelques mois aient une révélation et choisissent de partir pour le djihad. Une décision de départ peut être très rapide et dans ces cas-là il est très difficile de déceler les signes de radicalisation. J’ai rencontré un jeune, deux mois avant son départ, qui était habillé comme n’importe quel jeune, en jean et baskets, il n’avait pas de barbe et fumait dans la rue alors que c’est interdit en islam.

Mais certains signes peuvent, en effet, attirer l’attention. Je pense notamment à un jeune qui était en formation de cuisinier et qui a arrêté sa formation parce qu’il n’avait plus envie de toucher du porc ou de l’alcool dans le cadre de son travail. Sur les réseaux sociaux, c’était quelqu’un de très actif qui vouait une admiration à Mohamed Merah et à Oussama ben Laden. Là, les signes étaient clairs mais ce n’est pas toujours le cas. En France, les jeunes savent que leurs intentions peuvent être réprimées par la justice, ils peuvent donc essayer de se cacher ou de rester discret.

JOL Press : N’est-ce pas sur le terrain des réseaux sociaux que les parents doivent être les plus vigilants ?
 

David Thomson : Il faut bien avoir en tête qu’on prend conscience de l’importance des réseaux sociaux que depuis très peu de temps. Les parents découvrent tout juste que le djihad se passe sur Facebook aujourd’hui. Par ailleurs, les jeunes ont souvent plusieurs profils différents, ce n’est donc pas toujours évident de savoir qui se cache derrière ces profils. Les parents doivent savoir se servir des réseaux sociaux or ce n’est pas dans leur culture, ils ne sont pas nés avec Facebook et Twitter.

JOL Press : Qu’est-ce qui pousse un jeune, qui ne connaît pas l’islam, à s’intéresser à ces questions ?
 

David Thomson : En Syrie, les jeunes ressentent une forte émotion devant les exactions et les violences que subissent les populations. Des images circulent sur les réseaux sociaux et poussent à agir pour aider ces populations. Certains des jeunes que j’ai rencontrés pouvaient se mettre à pleurer tous seuls devant leur ordinateur en voyant les victimes du régime de Bachar al Assad. Ces jeunes ont, pour la plupart, appris l’islam sur Internet, donc ils se convainquent eux-mêmes de l’obligation de se rendre là-bas. Pour eux, rester en France les fait sortir de l’islam, en quelque sorte.

Certains voit ce qui se passent en Syrie avec une dimension prophétique : ils pensent que la veille de l’Apocalypse, il y aura le retour du dernier imam, lui-même annonciateur de la venue de Jésus, et à ce moment-là il faudra être du bon côté et le bon côté se trouve avec les djihadistes car c’est de ces légions que sortira le Mahdi, le « sauveur » attendu des musulmans.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

David Thomson est reporter pour RFI et ancien correspondant en Tunisie et en Libye pendant les révoltes arabes, entre 2011 et 2013. Il a réalisé le film Tunisie, la tentation du Jihad et vient de publier le livre Les Français jihadistes, éditions Les Arènes, mars 2013.

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