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En Algérie, les propagandes populistes entravent le système médiatique

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JOL Press : Un clip pro-Bouteflika fait polémique en Algérie. Deux chroniqueurs de l’émission « Système DZ », qui ont participé au clip, ont avoué avoir été payés. Depuis, l’émission a été suspendue et le clan Bouteflika est accusé de censure. Que révèle ce genre de phénomène sur l’état de la liberté d’expression en Algérie ?
 

Belkacem Mostefaoui : La société algérienne est ouverte à « tous les vents » de l’audiovisuel, du divertissement, de la propagande… Cette polémique autour du clip pro-Bouteflika est un épiphénomène qui montre néanmoins à sa façon comment une régulation des médias audiovisuels – et, in extenso, des médias adossés à internet – est extrêmement difficile en Algérie. Cela montre aussi les dérives de ce manque de régulation, notamment parce que cela se déroule pendant la campagne électorale. Il y a probablement eu une officine qui est venue gonfler le système de propagande du candidat à la présidence et actuel président, Abdelaziz Bouteflika.

L’argent public semble avoir été utilisé pour confectionner ce clip, devenu un indicateur des dérives populistes. Certains artistes dont le comédien Smaïn, se sont cependant rendu compte qu’ils avaient été utilisés et ont réagi pour clamer leur « bonne foi ». Alors que la société algérienne s’ouvre à des capacités inouïes de développement de sa communication sociale et politique, elle se trouve en face d’officines et d’entreprises qui utilisent toutes les idéologies populistes pour détourner la société de ses élans à construire ces espaces publics dans lesquels des opinions diverses pourraient s’exprimer, de sorte à construire un État de droit aujourd’hui moribond.

JOL Press : Début janvier, le projet de loi qui ouvre l’audiovisuel au privé a été adopté par l’Assemblée populaire algérienne. Est-ce bon signe pour le pluralisme médiatique ?
 

Belkacem Mostefaoui : La loi sur l’audiovisuel a été adoptée en 2014 à partir de la loi organique sur l’information. Elle donne en fait plus de précisions sur ce que « l’ouverture de l’audiovisuel » peut vouloir dire dans le cadre de l’Algérie de 2014. Est-ce positif ? Un texte de loi à lui tout seul ne règle aucunement les problèmes de l’espace audiovisuel en Algérie, où les télévisions satellitaires étrangères ont une empreinte très forte sur le territoire. Ce texte est arrivé avec beaucoup de retard et les quelques ouvertures qu’il esquive étaient déjà inscrites dans la loi sur l’information d’avril 1990. C’est une tentative des pouvoirs publics de dire qu’ils vont réguler le domaine de l’audiovisuel, mais cela vient bien trop tardivement et je crains que le texte en lui-même n’ait pas les effets escomptés.

JOL Press : Y a-t-il encore des sujets tabous en Algérie ?

Belkacem Mostefaoui : Dans ce « maelström d’anonymes » qui composent la société civile et médiatique en Algérie, il se dit beaucoup de choses… On peut en fait se « moquer », ou en tout cas tourner en dérision l’ensemble des figures de la scène politique, de tous les grades de la hiérarchie, qu’ils soit civils ou militaires d’ailleurs.

On peut se moquer de tout le monde, y compris du Premier ministre en exercice qui s’est mis en congé pour être chef de campagne de M. Bouteflika. Il avait déjà fait une première tournée électorale dans les wilayat (les préfectures) pour s’exprimer, avant que la campagne stricto sensu ne commence il y a une quinzaine de jours… Cela a été beaucoup tourné en dérision, notamment sur les réseaux sociaux et sur YouTube.

Mais à force de tout pouvoir dire, on ne dit pas forcément de choses qui ont du sens pour construire l’espace public qui manque aujourd’hui en Algérie.

JOL Press : Quelle place occupent les nouveaux médias et les réseaux sociaux dans le paysage médiatique algérien ?
 

Belkacem Mostefaoui : Il y a eu ces dernières années une expansion des capacités de connectivité de la société, notamment grâce à des investissements qui ont été faits dans ce domaine. Cela s’est par exemple concrétisé avec l’arrivée de la 3G sur le territoire algérien. Les capacités matérielles de connectivité au réseau internet se sont ainsi beaucoup développées. Il y a également eu un engouement très fort de la société, et surtout des jeunes, qui ont souhaité se brancher à ces nouvelles opportunités de communication.

En même temps, comme cela est arrivé avec beaucoup de retard, qu’il y avait un ras-le-bol, il y a eu l’espoir que tout d’un coup, ces nouveaux moyens de communication puissent régler tous les problèmes. Cela ouvre donc des capacités de communication fabuleuses, mais on assiste à un déversement de « tchatche », une liberté de dire tout et n’importe quoi, dans un contexte d’ouverture de la société après 50 ans où le secteur de l’audiovisuel était sous le joug du monopole d’État.

JOL Press : Que pensez-vous des campagnes de communication des différents candidats à la présidentielle en Algérie ?
 

Belkacem Mostefaoui : La nation algérienne ayant évolué, on s’attendait quand même qu’en 2014, les prétendants à la magistrature suprême, dont fait partie le président Bouteflika, suivent aussi cette modernité, ce tempo, ces règles éthiques de la communication et ce respect de la société. Or on a plutôt affaire à un déversement de propagande, à croire que les candidats ont en face d’eux une masse indifférée d’Algériens qui seraient prêts à recevoir tout ce que chaque office de distribution de propagande voudrait bien déverser sur la société.

Il y a un décalage immense et une rupture entre ces discours propagandistes de campagne et ce qu’attend la société algérienne, notamment sur le plan de l’éthique des dirigeants politiques face à des problèmes de corruption par exemple, qui ont gangrené les affaires publiques du pays ces 15 dernières années. Les comptes n’ont pas été rendus et il y a eu très peu de communication sur ces questions de corruption. Il y a un vrai délabrement de la morale dans la gestion des affaires publiques, et un sous-développement réel des moyens de communication.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Belkacem Mostefaoui est professeur et directeur de recherche à l’École nationale supérieure de journalisme et des sciences de l’information d’Alger. Sociologue de la communication et des médias, il est l’auteur du livre Médias et liberté d’expression en Algérie, Repères d’évolution et éléments d’analyse critique, éditions El Dar El Othmania, novembre 2013.

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