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En Turquie, l’homophobie est la norme

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JOL Press : Comment sont perçus les homosexuels dans la société turque ?
 

Laurent Leylekian : L’homophobie y est largement répandue et souvent accompagnée de violences – c’est le cas dans de nombreux pays de la région. Dans la société turque, qui est majoritairement réactionnaire, l’homosexualité reste un sujet tabou. Le problème est que cette homophobie généralisée n’est pas combattue par les élites, elle est même encouragée par des discours ultra-conservateurs. En 2010, la ministre de la Famille Aliye Selma Kavaf, membre du parti du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, avait déclaré : «Je considère que l’homosexualité est un désordre biologique, une maladie qui doit être soignée».

JOL Press : Quel type de ségrégation subissent les homos turcs ?
 

Laurent Leylekian : Les gays sont par exemple dispensés de service militaire (obligatoire en Turquie), au même titre que les malades et les handicapés. L’armée fonde cette discrimination sur un document de l’Association psychiatrique américaine de 1968, qui classait à l’époque l’homosexualité parmi les troubles mentaux.

En outre, pour échapper au service militaire, les jeunes gens doivent «prouver» leur orientation sexuelle. Cela passe généralement par une épreuve humiliante : description détaillées des pratiques sexuelles, examens anaux – la plupart du temps contraints –, témoignages de membres de la famille qui, bien souvent, ont été maintenus dans l’ignorance de ce secret «honteux».

On leur délivre ensuite un «certificat rose», qui porte le libellé «trouble psychosexuel / homosexualité». Or, ce papier a des conséquences sur le long terme : un employeur peut par exemple exiger les raisons pour lesquelles le demandeur d’emploi n’a pas effectué son service militaire. Même chose pour un propriétaire qui veut louer un logement.

JOL Press : Les homosexuels turcs bénéficient-ils de protections spécifiques ?
 

Laurent Leylekian : En Turquie, l’homosexualité n’est pas pénalement réprimée. En revanche, le Code civil turc contient de vagues interdictions contre «l’exhibitionnisme en public» et les «outrages à la morale publique». Cela est évidemment sujet à interprétation et ne porte pas seulement atteinte aux droits des homosexuels. La Turquie ne reconnaît évidemment pas le mariage entre personnes de même sexe et l’homoparentalité. De plus, il n’existe aucune loi pour protéger les LGBT des discriminations à l’embauche, à l’éducation, au logement, aux soins etc.

JOL Press : Comment a évolué la situation ces dernières années ?
 

Laurent Leylekian : Je dirais qu’elle a empiré. Les rapports annuels de la Commission européenne, qui évaluent le pays et qui sont généralement très lénifiants, pointent pourtant régulièrement du doigt cette discrimination envers les homosexuels. Pour la première fois en 2013, ce rapport mentionne des meurtres d’homosexuels.

Avant 2002, les gouvernements kémalistes étaient assez ouverts sur les questions de mœurs. A leur arrivée au pouvoir et jusqu’en 2006, les islamistes ont joué le jeu que leur demandaient les Européens. Ensuite, lorsqu’ils ont définitivement évincé les kémalistes et les militaires, ils ont jeté les masques et ont appliqué une politique rétrograde sur le plan sociétal.

De manière globale, les droits civiques reculent, on assiste à un durcissement vis-à-vis des minorités, qu’elles soient ethniques, religieuses ou sexuelles. Si cela revient à la situation antérieure pour les minorités ethniques et religieuses, c’est assez nouveau concernant les minorités sexuelles.

Propos recueillis par Marie Slavicek pour JOL Press

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Laurent Leylekian est analyste politique, spécialiste de la Turquie.

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