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Esplanade des Mosquées: le point sensible du conflit israélo-palestinien

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JOL Press : L’esplanade des Mosquées fait régulièrement l’objet de tensions entre juifs et musulmans à Jérusalem. Pouvez-vous nous rappeler les raisons historiques de ces tensions ?
 

Sébastien Laugénie : Il faut remonter à 1967, au moment où l’État hébreu annexe Jérusalem Est, qui était jusqu’à présent sous autorité jordanienne, où se trouve l’esplanade des Mosquées, appelée mont du Temple par les juifs. Dès cette époque, les rabbins et les juifs les plus radicaux ont demandé le droit de prier sur ce qu’ils estimaient être l’endroit le plus saint du judaïsme, à savoir l’endroit où a été construit le second temple et sur lequel ils estiment que se trouve l’Arche d’alliance, qui renferme les tables de la Loi. Certains juifs radicaux demandent donc de pouvoir monter sur le mont du Temple, ce qui leur est refusé à l’époque par les autorités israéliennes qui ont mis en place une sorte de statu quo qui perdure jusqu’à aujourd’hui.

JOL Press : Que représente l’esplanade des Mosquées pour les musulmans ?
 

Sébastien Laugénie : Cette esplanade, sur laquelle se trouve la mosquée Al-Aqsa, est considérée comme le troisième lieu saint de l’Islam après la Mecque et Médine. Les musulmans ont donc le droit d’y prier, mais ils ne prient pas dans ce que l’on appelle le Dôme du Rocher, qui est l’autre monument présent sur l’esplanade, que les juifs estiment avoir été construit sur l’emplacement de l’ancien temple. Lors de la grande prière du vendredi, près de 5000 musulmans viennent prier à la mosquée Al-Aqsa.

JOL Press : Qui d’autre a le droit de se rendre aujourd’hui sur le site ? Et comment le lieu est-il géré par le pouvoir israélien ?
 

Sébastien Laugénie : Judiciairement parlant, la Cour suprême israélienne estime que les juifs ont le droit de prier sur le mont du Temple, mais laisse l’opportunité de telles prières à l’appréciation administrative de la police israélienne, qui gère l’entrée des citoyens sur l’esplanade. En clair, c’est une sorte de zone juridique floue, dans laquelle la liberté de culte des juifs est reconnue mais administrativement, c’est la police qui décide. Depuis cinquante ans, les juifs n’ont, dans les faits, pas le droit de prier. Ils ont simplement le droit de pénétrer sur l’esplanade comme tout touriste ou citoyen non-musulman. Toute personne qui serait prise en flagrant délit de prière, en train de remuer les lèvres par exemple, serait immédiatement interpellée et placée en détention.

Par ailleurs, le lieu en lui-même est sous l’autorité religieuse – et non politique – des Jordaniens. L’esplanade reste un lieu religieux géré par le Waqf qui dépend de la Jordanie, et ce dernier estime que les non-musulmans n’ont pas le droit de prier sur l’esplanade des Mosquées. Ce statu quo a été respecté pendant une trentaine d’années, d’autant plus que les plus hautes autorités rabbiniques – le Grand rabbinat – interdisaient aux juifs d’y monter, non pas pour des raisons politiques, mais parce qu’ils estiment que le lieu est tellement saint qu’ils risqueraient de marcher sur le Saint des saints [la partie la plus sacrée d’un temple, ndlr], là où se trouve l’Arche d’alliance.

JOL Press : Qui sont ces juifs radicaux qui tentent régulièrement de prier sur l’esplanade des Mosquées ?
 

Sébastien Laugénie : Depuis quelques années, un nouveau mouvement en marge du Grand rabbinat officiel, le mouvement messianique, s’est développé pour demander à ce que les juifs puissent prier sur le mont du Temple ou qu’il y ait des horaires réservés aux musulmans et d’autres aux juifs. Il y a donc une demande reléguée à la fois par ce mouvement religieux qui représente quelques milliers de personnes, suivi par plusieurs instituts et lobbys assez bien identifiés, et un mouvement politique représenté au sein même de la Knesset [le Parlement israélien, ndlr] par un certain nombre de parlementaires de droite, notamment du Likoud, incarnés par Moshe Feiglin. C’est un mouvement sioniste religieux qui associe à la fois une revendication territoriale sur toute la terre d’Israël et une revendication religieuse.

Les sionistes religieux sont extrêmement bien représentés à la Knesset, notamment par le mouvement de Naftali Bennet, le Foyer Juif, qui représente douze parlementaires. Ces sionistes religieux ne sont pas tous des messianiques, au sens où ils ne croient pas tous au retour du Messie, et ils ne revendiquent pas tous de façon récurrente le droit d’aller prier sur le mont du Temple, mais c’est de cette mouvance-là dont sont issus les plus radicaux et ceux qui revendiquent ce droit à la prière.

JOL Press : Fin mars, l’Union européenne a mis en garde contre le risque d’extension des troubles dans la région liés aux tensions autour de l’esplanade. Quelle place occupe-t-elle dans le conflit isréalo-palestinien ?
 

Sébastien Laugénie : Cela fait maintenant des années que les incidents sur l’esplanade des Mosquées sont quasiment quotidiens. Il y a encore eu plusieurs arrestations et échauffourées cette semaine entre musulmans et juifs sur l’esplanade. Tout le monde considère aujourd’hui que l’esplanade des Mosquées devient le point le plus sensible du conflit israélo-palestinien. C’est quand même de là qu’est partie, en septembre 2000, la deuxième intifada suite à la visite d’Ariel Sharon, à l’époque député du Likoud, sur l’esplanade des Mosquées. C’était l’épisode le plus violent et le plus meurtrier du conflit israélo-palestinien. On sait depuis lors que c’est un endroit extrêmement explosif.

Il y a eu des tentatives dans les années 80 de la part de juifs extrémistes de faire exploser le Dôme du Rocher. Le lieu est au cœur de l’identité et des revendications identitaires des deux peuples. Depuis quelques années maintenant, le fait que les juifs messianiques essaient de bousculer le statu quo fait craindre aux Européens, mais aussi aux pays arabes, que celui-ci ne soit remis en question et déclenche des épisodes extrêmement violents. Il y a donc nécessairement une vigilance accrue des autorités européennes sur cette question, qui pressent les autorités israéliennes de faire en sorte que ce statu quo n’évolue pas sous la pression des hommes politiques de droite.

JOL Press : Ce regain de tension ces derniers jours est-il lié à la célébration de la pâque juive ?
 

Sébastien Laugénie : Il y a toujours des regains de tension avant les fêtes juives importantes, d’autant plus qu’il y a aussi eu des provocations de la part de juifs extrémistes : certains ont cherché à monter sur le mont du Temple pour y sacrifier un agneau. Il y a toujours plus de monde qui vient prier sur le mur des Lamentations au moment de Pâques et de fait, cela pousse plus de monde à visiter le mont du Temple situé au-dessus. Les moments de fête sont plus sensibles que les autres, mais les tensions sont quasi quotidiennes. Plusieurs dizaines de juifs montent chaque semaine sur le mont du Temple pour exiger d’y prier.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Sébastien Laugénie est correspondant à Jérusalem pour Radio France.

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