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Européennes: deux visions de l’Europe irréconciliables à l’UMP?

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« Sans nier les responsabilités des gouvernements nationaux, à commencer par les nôtres, force est de constater que trente années de dérives ont condamné l’Europe à devenir une machine bureaucratique qui réduit, jours après jours, l’espace des libertés et de la démocratie », ont écrit Laurent Wauquiez, Henri Guaino et 37 parlementaires UMP, au lendemain du lancement de la campagne européenne du principal parti d’opposition. Faut-il y voir une fronde au sein de l’UMp ou la mise en lumière du clivage qui divise la droite depuis l’unification du RPR et l’UDF ? Eléments de réponse avec Christian Delporte, historien et spécialiste de la communication politique.

JOL Press : Henri Guaino, député UMP des Yvelines, a fortement critiqué l’eurodéputé UMP Alain Lamassoure : « Je ne voterai pas pour l’incarnation d’une ligne qui est à l’opposé de ce que je pense et de ce que je crois être l’intérêt de mon pays », a-t-il déclaré. Y a-t-il toujours eu désaccords à droite sur la question européenne ?

Christian Delporte : A droite, il y a toujours eu les gaullistes favorables à l’Europe des Etats et un centre-droit beaucoup plus fédéraliste. On pourrait remonter à Charles de Gaulle mais cette distinction s’est ensuite faite avec le RPR et l’UDF. L’UMP a fusionné ces deux courants, il est donc tout à fait naturel de retrouver au sein du parti ce clivage entre les souverainistes et les fédéralistes. Ce clivage date de l’origine-même de la construction européenne et continue aujourd’hui.

Maintenant, qu’Henri Guaino refuse de voter pour l’eurodéputé UMP Alain Lamassoure reste un geste fort. Cela veut dire qu’il ne se sent plus à l’aise dans un appareillage qui s’appelle l’UMP. Il indique ainsi que sa famille politique devrait se recentrer sur ce qui faisait l’originalité du RPR héritier du gaullisme.

JOL Press : Entre l’appel de Cochin de Jacques Chirac en décembre 1978, qui dénonçait notamment la politique « antinationale » de l’Europe fédérale et son discours de Berlin de mai 2002, où il appelait à une refondation constitutionnelle, la droite semble avoir évolué sur cette question…

Christian Delporte : Jacques Chirac était l’héritier du gaullisme, à travers le RPR qu’il avait fondé,  et personnellement il était plus européiste que son parti. Cette position n’est pas révélatrice de la position de la droite sur l’Europe. Ce qui a marqué la fracture à droite sur la question européenne, ce sont les élections européennes de 1999 : la liste Rassemblement pour la France et l’indépendance de l’Europe (RPF) de Charles Pasqua  et Philippe de Villiers avait obtenu 13,05 % des suffrages devant la liste RPR et Démocratie libérale, menée par Alain Madelin et  Nicolas Sarkozy, qui avait obtenu 12,82 % des voix. On a toujours eu ces deux tendances-là.

JOL Press : Quelle est donc aujourd’hui la ligne officielle de l’UMP sur la question européenne ?

Christian Delporte : La ligne officielle est assez ambigüe. Le fédéralisme est un mot tabou à l’UMP mais il faut reconnaître que la ligne défendue par Jean-François Copé est beaucoup plus intégratrice en Europe que celle d’Henri Guaino qui s’estime être l’héritier de l’Europe des Etats du général De Gaulle. Ce qui va poser problème, à l’occasion de ces élections européennes, c’est que le discours du parti va être rendu illisible par les électeurs. Il va montrer les contradictions d’une UMP qui va d’un centre-droit très fédéraliste à un souverainisme convaincu. L’UMP est un agrégat des droites, il est donc évident que sur la question européenne, comme sur d’autres questions, il existe des contradictions dans le discours mais aussi dans les propositions.

JOL Press : Qu’est-ce qui différencie aujourd’hui les modérés du Front national et les souverainistes de l’UMP ?

Christian Delporte : Tout ceci est très complexe mais il est clair que les valeurs d’un Henri Guaino ne sont pas les mêmes que celles d’un Florian Philippot. Il faut bien comprendre que les positions de Laurent Wauquiez ou d’Henri Guaino ne sont pas forcément à droite de l’UMP. Ces clivages ne se résument pas à une aile droitière et une aile centriste au sein du parti. Entre la droite populaire et Henri Guaino, il y a également un fossé : ils peuvent se rapprocher sur la question européenne et se diviser sur d’autres questions liées aux valeurs de la République. Aujourd’hui, la ligne idéologique de l’UMP est d’une extrême complexité. C’est ce que révèle la tribune cosignée par les 37 parlementaires UMP.

L’UMP est un montage artificiel, créé le 23 avril 2002 par Jacques Chirac et Alain Juppé, à la suite du premier tour de l’élection présidentielle et en vue des législatives de la même année, afin d’« unir les forces politiques de toutes les droites ». Mais ce que l’on constate c’est que l’union des droites reflète une très grande diversité de sensibilités, contrairement à ce que l’on croit.

JOL Press : Il y a clivage sur la question européenne mais sur quels autres thèmes la droite se divise-t-elle ?

Christian Delporte : Il y a désaccord sur la place de l’Etat : les gaullistes souhaitant plus d’intervention de l’Etat que les libéraux. Sur la question de la centralisation, certains souhaitent un renforcement des pouvoirs régaliens de l’Etat et d’autres aimeraient un renforcement du pouvoir des régions… Il s’agit là encore d’un vieux débat qui divisait déjà les Jacobins et les Girondins pendant la Révolution.

JOL Press : René Rémond avait distingué les droites légitimiste (droite contre-révolutionnaire), orléaniste (droite libérale) et bonapartiste (droite césarienne). Qu’en est-il aujourd’hui ?

Christian Delporte : Nous avons encore une droite orléaniste fédéraliste que l’on retrouve à l’UDI et au centre-droit de l’UMP, une droite bonapartiste, c’est-à-dire gaulliste, comme Henri Guaino et cette autre droite, que l’on oublié parce qu’on a pensé qu’elle ne faisait pas partie structurellement de la vie politique : l’extrême-droite nationaliste. Je crois que ces trois droites doivent rester trois et la contradiction de l’UMP c’est qu’elle regroupe deux droites qui ne partagent pas la même vision de l’avenir de la France.

Il suffit de voir toutes les tendances à l’intérieur de l’UMP pour comprendre les contradictions qui s’expriment par des déchirements : certains sont tentés par un rapprochement avec le Front national, d’autres seraient tentés de reconstruire l’UDF et, entre les deux, on retrouve les héritiers du gaullisme. L’UMP est une machine purement électorale qui ne reflète pas la vraie diversité des droites en France. La question européenne agit comme un révélateur. Je suis convaincu que l’UMP finira par éclater. Autant on peut se mettre d’accord sur un enjeu électoral pour battre la gauche, autant, au moment de gouverner, les contradictions apparaissent.

JOL Press : La droite pourrait-elle se retrouver autour d’un « homme providentiel » ?

Christian Delporte : L’homme providentiel c’était Nicolas Sarkozy, il a mis un couvercle sur une casserole en ébullition mais tant qu’il n’y aura pas un vrai leadership et de ligne claire à droite, les divisions seront inévitables et les points de vue contradictoires continueront à s’exprimer.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Christian Delporte est professeur d’histoire contemporaine à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Spécialiste de l’histoire des médias et de la communication politique, il est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels La France dans les yeux (Flammarion, 2007), Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2009) et Come back (Flammarion, 2014).

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