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Le Djihad islamique, bras armé de l’Iran, peut-il concurrencer le Hamas?

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JOL Press : Le Djihad islamique est-il populaire au sein de la population palestinienne ?
 

Pierre Berthelot : Le Djihad islamique connait actuellement un regain de popularité, surtout dans la bande de Gaza et dans certains camps palestiniens de la diaspora – au Liban en particulier, où son allié le Hezbollah pèse de tout son poids.

Cela tient à plusieurs facteurs : la déception vis-à-vis du Hamas, qui a fait plusieurs erreurs stratégiques et qui subit aujourd’hui les foudres de l’Egypte (désormais opposée aux Frères musulmans et ses ramifications dont le Hamas fait partie), ce qui diminue la capacité de cette formation qui contrôle Gaza à assurer des performances économiques, sociales et politiques. 

Au-delà, le Hamas commence à subir les effets de l’usure du pouvoir, propre à toute formation politique.

Enfin, il laisse, pour le moment, la lutte armée de côté, à l’inverse du Djihad islamique. Or, pour beaucoup de Palestiniens, seule celle-ci a permis d’obtenir le retrait des forces israéliennes de Gaza, et non la négociation.

Toutefois, il est encore très loin de peser autant que le Fatah et le Hamas. On estimait avant les révoltes arabes qu’il représentait environ 5 % des Palestiniens ; désormais, son poids se situerait entre 10 et 15 %, ce qui est non négligeable mais très minoritaire 

JOL Press : Quel est le mot d’ordre principal du Djihad islamique ?
 

Pierre Berthelot : Son credo principal, c’est que seule la lutte armée permettra d’obtenir un Etat palestinien viable, et pas les négociations qu’il juge iniques et vouées à l’échec, quitte à faire preuve d’un certain pragmatisme à l’occasion, ce qui le distingue des extrémistes sunnites – dont il diffère doctrinalement en raison de ses emprunts au chiisme.

Le social ou l’investissent politique lui importent peu : sans être marginal et groupusculaire, ce n’est pas un vrai mouvement de masse, qui aspire au pouvoir ou à gérer, pour le moment.

Cela tient aussi à son attirance pour le chiisme puisque, initialement, ce courant de l’islam estime que l’implication dans la vie politique est source de corruption.

Aujourd’hui, en Irak, l’important dirigeant chiite Moqtada Sadr a déclaré qu’il se retirait de la vie politique, et Sistani, qui dirige l’Ecole de Nadjaf, le « Vatican chiite », se situe toujours à l’écart de la politique, ce qui fut longtemps la position des clercs en Iran avant que Khomeiny n’arrive et fasse évoluer cette doctrine.

JOL Press : Il existe aujourd’hui un courant au sein du Djihad islamique pour faire évoluer l’organisation militaire en un mouvement politique de masse. Pourquoi ?
 

Pierre Berthelot : Encore une fois, on retrouve l’influence du Hezbollah, le vrai modèle, qui, longtemps, rejeta toute participation à la vie politique, mais qui s’y résigna à la fin de la guerre civile libanaise en 1991, et eu ses premiers députés en 1992 – ce qui provoqua une mini crise au sein du mouvement, sans grandes conséquences à long terme.

Il s’agit aussi pour le Djihad islamique de profiter de l’affaiblissement du Hamas, jusque là tout puissant à Gaza, et à qui l’Iran envoie un message : nous avons les moyens de vous concurrencer si vous ne rentrez pas dans le rang, d’autant plus que la confiance a en partie été brisée.

On retrouve les méthodes appliquées par la Syrie au Liban : toujours créer ou encourager au sein d’une tendance politique ou d’une communauté plusieurs mouvements concurrents pour ne pas laisser le monopole à une seule structure en cas de revirement de cette dernière – situation observée lors de la crise syrienne.

Le Hamas a fait preuve d’un manque de vision stratégique, contrairement au Hezbollah dont il n’est qu’une pâle copie : après s’être éloigné de la Syrie et un peu de l’Iran et du Hezbollah, « le mouvement de la résistance islamique » s’est tourné vers l’Egypte et le Qatar, fiefs de Frères musulmans jusqu’à récemment, confrérie dont il est issu, en ayant sous-estimé la fragilité de ce courant influent de l’islam. Si bien qu’ils se sont retrouvés alors presque sans appui.

Les Palestiniens réitèrent les erreurs commises par d’autres avant eux (Arafat, Habache) avec ce manque de ligne directrice, une mauvaise évaluation des rapports de force et un certain opportunisme qui leur coûte souvent très cher.

JOL Press : Pourquoi ces velléités politiques de la part du Djihad islamique pourraient-elles fâcher l’Iran – son principal bailleur de fond ?
 

Pierre Berthelot : Le Djihad islamique n’existe en grande partie que par l’Iran. Il est moins autonome que le Hezbollah par exemple, qui, de son côté, exploite certains pans de l’économie libanaise, fragile mais plus riche que celle des territoires palestiniens, et qui bénéficie, outre de l’appui financier de l’Iran, de l’argent de la diaspora, et n’en reste pas moins un irréductible allié et indéfectible soutien de Téhéran.

Donc, pour sortir de la seule fonction tribunicienne et de l’activisme militaire, pour que cette évolution se mette en place, il faut l’accord de l’Iran ; autrement, cela est voué à l’échec. Sans les armes, l’argent, le soutien logistique politique de Téhéran et de ses alliés, que pèsera le Djihad islamique ? Pas grand-chose.

JOL Press : Le passage du Djihad islamique d’une organisation strictement militaire à une mouvement politique briserait le quasi monopole du Hamas sur la scène politique palestinienne. A quelle réaction de la part de ce dernier doit-on s’attendre ? 

Pierre Berthelot : Il ne pourra pas faire grand chose, et il n’a pas intérêt à jouer la carte de la répression, sinon il perdra encore de son aura pour n’apparaître que comme une force dictatoriale, alors que son émergence est liée aux critiques qu’avaient subi l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et le Fatah sur leur volonté d’écarter toute force alternative.

Il n’est pas certain que le Hamas y perde, puisqu’il aura une force moins radicale à ses côtés, alors que les attaques menées par le Jihad islamique contre Israël sont souvent un handicap pour le Hamas qui subit les représailles de Tsahal, ce qui ruine ses efforts pour reconstruire la bande de Gaza.

JOL Press : Si le Djihad islamique devient une organisation politique centralisée, deviendra-t-il plus populaire au sein des Palestiniens ?
 

Pierre Berthelot : Certes, le Djihad attire une nouvelle « clientèle », mais il inquiète aussi, parce qu’il est synonyme d’affrontement, de radicalité, et une partie notable des Palestiniens sont épuisés. Donc le soutien dont il bénéficie risque de n’être que ponctuel dans le cadre d’une exaspération légitime. Mais dans la durée, c’est autre chose.

Au-delà des incantations et des performances militaires, les Palestiniens veulent aussi des résultats : encore une fois, on en revient au Hezbollah, qui constitue une synthèse du Hamas et du Djihad islamique tel qu’il est à ce jour, puisque la formation libanaise gère, a des résultats, mais lutte les armes à la main contre ses ennemis.

Et puis, il y a la dimension religieuse, puisque, si le Hamas entretient des relations plus ou moins anciennes et rapprochées avec l’Iran chiite, sa doctrine reste purement sunnite, alors que le Djihad islamique est presque semi-chiite, bien qu’officiellement sunnite. Cela peut en limiter l’attraction, et c’est pourquoi il est comme le Hamas un mouvement qui insiste sur sa dimension religieuse mais aussi nationaliste, et ne se pense pas comme déterritorialisé, à l’instar de nombre de sunnites salafistes palestiniens ou djihadistes (le Hezbollah, le modèle à suivre, ne se définit presque jamais comme chiite mais comme le parti de la « Résistance »).

JOL Press : Le Hamas, pragmatique, a conclu un accord avec Israël, visant à empêcher les tirs de roquettes en provenance de Gaza sur Israël. Si le Djihad islamique devient une formation politique, sera-t-il lui aussi amené à assouplir sa position vis-à-vis d’Israël ?

 

Pierre Berthelot : En théorie, pour avoir une adhésion importante au sein des Palestiniens, et en particulier ceux de Gaza, il faut pouvoir protéger et agir. C’est un équilibre délicat et le Hamas en fait aujourd’hui les frais. Quant au Hezbollah, le modèle, il est dans une situation différente, puisque, outre sa puissance militaire sans commune mesure, lorsqu’il y a des représailles au Liban de la part de Tsahal, cela touche d’autres communautés, parfois alliées de l’Occident, ou en tout cas anti-chiites, et il y a une ligne rouge, qui n’existe pas à Gaza.

L’équation est difficile pour le Djihad islamique, car s’il modère trop son positionnement, il risque de se faire déborder par plus radicaux que lui, ce qui n’est pas dans son intérêt ou dans celui de l’Iran, son mentor, qui n’a aucune prise sur les mouvements jihado-salafistes. Le Djihad islamique reste une « monnaie d’échange » dans le jeu iranien, qu’il peut faire monter en puissance ou inciter à plus de modération.

JOL Press : Si le Djihad islamique devient une organisation politique, est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle pour Israël ?
 

Pierre Berthelot : Cela dépend s’il arrive à concilier « pureté révolutionnaire », lutte militaire, résultats électoraux, voire réalisations économiques et sociales ; dans ce cas alors, il peut devenir un mouvement redoutable pour Israël, à l’image du Hezbollah. Sinon, il ne sera qu’une formation de plus, mais qui ne peut pas changer le rapport de force.

JOL Press : La situation actuelle ne rappelle-t-elle pas l’opposition entre le Fatah « institutionnel » et pragmatique et le Hamas révolutionnaire à la fin des années 1990 – avec ce dernier remportant finalement les élections de 2006 ?…
 

Pierre Berthelot : Pour le moment, nous n’en somme pas là, puisque cette transformation du Djihad islamique est discutée mais non actée. Est-ce que le fait de se transformer en mouvement de masse l’amènera à franchir le pas des élections ? Ce n’est pas certain. Rappelons que le Hamas a longtemps été hostile à toute participation aux élections.

Et puis, le Hamas contrôle les institutions à Gaza, ce qui lui donne un certain nombre d’atouts – d’ailleurs, il n’a pris le contrôle total de Gaza qu’à l’issue d’affrontements armés avec le Fatah, sa victoire aux élections n’ayant pas suffi pour qu’il s’impose.

La situation et les données sont donc différentes, et, au fond, les deux formations sont beaucoup plus proches que ne l’étaient le Fatah et le Hamas en 2006. Elles ont donc plutôt intérêt à coopérer, et l’Iran y veillera probablement. Car à Gaza, les Palestiniens sont pour le moment affaiblis.

On ne peut exclure aussi à terme une troisième voie : que les Palestiniens rejettent tant islamistes que Fatah.

Propos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press
 

Pierre Berthelot est chercheur associé à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et à l’Institut prospective et sécurité en Europe (lIPSE), spécialiste du Proche-Orient.

 

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