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Les élections européennes rendent-elles les Français plus «européens»?

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Les prochaines élections européennes auront lieu le 25 mai en France (shutterstock.com)

Selon le dernier Eurobaromètre réalisé par TNS Sofres, deux tiers des Français déclarent se sentir citoyens de l’Union européenne (25% « tout à fait », 41% « plutôt », contre 18% « pas vraiment » et 15% « pas du tout »). Cette proportion est légèrement supérieure à la moyenne enregistrée dans l’UE. Vont-ils pour autant se sentir très concernés par les élections européennes du 25 mai prochain ? Rien n’est moins sûr.

JOL Press : Les Français se sentent-il plus européens à l’occasion de ces élections ?

Bruno Cautrès : Quand vous regardez les enquêtes d’opinion qui sont disponibles sur la question, en règle générale, les électeurs français vont se déclarer à la fois Français et Européens. Une enquête l’Eurobaromètre a demandé aux Français s’ils se sentaient exclusivement Français, Français et Européens, Européens d’abord, Français ensuite ou exclusivement Européens, et près de 45% d’entre eux se déclarent Français et Européens ensuite.

Par ailleurs, plutôt qu’être opposées l’identification à l’Europe et l’identification à la Nation vont de pair. On est plus dans une logique cumulative que dans une logique d’opposition. On a plus tendance à se déclarer Européen, qu’on se déclare Français. Une catégorie fait exception : ceux qui se déclarent exclusivement Français. Ces électeurs-là sont relativement opposés à la construction européenne.

Se sentir Français est, cependant, une notion qui s’est peu à peu vidée de son sens : il y a 30 ou 40 ans, se déclarer fier d’être Français était un réflexe un peu conservateur, voir chauvin, mais en 2008, une majorité de Français se sont déclarés fiers d’être Français dans un sondage. Aujourd’hui, on peut parfaitement être fier d’être Français et se déclarer Européen. Ce n’est pas incompatible.

JOL Press : Un grand meeting européen se tiendra le 17 avril au Cirque d’hiver, en présence de Martin Schulz, candidat du Parti Socialiste Européen à la présidence de la Commission européenne. Les Français se sentent-ils suffisamment européens pour voter pour un président allemand ou italien ?

Bruno Cautrès : Est-ce qu’une personnalité comme Martin Schulz parle aux électeurs ? La réponse est sans aucun doute : non. Si le Parti socialiste fait une vraie campagne, un vrai travail d’information pour rappeler aux citoyens qu’aux élections européennes de 2014, les partis politiques se positionnent par rapport à leur candidat à la présidence de la Commission européenne et montre comment un socialiste français est en accord avec un social-démocrate allemand, alors il parviendra peut-être à convaincre ses électeurs. Mais si le parti fait comme si tout le monde était d’accord, juste le temps de la campagne, et déclare que les socialistes français n’ont pas d’approches différentes avec les sociaux-démocrates allemands, je ne suis pas convaincu qu’il parvienne à convaincre les électeurs.

Les électeurs ont besoin de temps et les élections européennes approchent à grands pas. Si les socialistes arrivent à montrer à leurs électeurs qu’il existe une cohérence entre les choix économiques posés par François Hollande et ceux que propose Martin Schulz s’il devient président de la Commission, alors le pari sera gagné mais il y a encore un travail d’apprentissage considérable à réaliser pour qu’ils y parviennent.

JOL Press : Peut-on parler de scène politique européenne ?

Bruno Cautrès : Je ne crois pas. Je pense que la vie politique européenne, au sens fort du terme, n’existe pas. Les fédérations européennes de partis comme le Parti socialiste européen (PSE) ou le Parti populaire européen (PPE) sont des coquilles relativement vides auxquelles on s’intéresse uniquement à l’occasion des élections européennes. Mais, au fond, un socialiste français ou un membre de l’UMP n’a guère l’occasion d’entendre parler du PSE ou du PPE dans les années qui suivent l’élection du Parlement européen.

Néanmoins si vous prenez les votes des députés du Parlement européen, on constate que ce sont des votes qui sont de plus en plus organisés dans une logique qui oppose la gauche et la droite. Cet  élément tend à faire penser qu’il existe bien une vie démocratique européenne. Mais nos partis politiques nationaux ont plutôt tendance à ne pas trop parler d’Europe ou à masquer leurs positions sur l’Europe.

On voit bien la difficulté très grande pour François Hollande qui va tenter de ressortir l’argumentaire classique des socialistes à l’occasion des européennes, c’est-à-dire prôner une Europe sociale, et en même temps il est un peu coincé puisqu’il n’a pas réussi à renégocier le traité budgétaire européen avec Angela Merkel, comme il s’y était engagé. Ce n’est pas totalement évident que les électeurs socialistes français suivent les yeux fermés le Parti socialiste ainsi que leur candidat à la présidence de la Commission européenne.

JOL Press : Quand on parle d’identité européenne et d’appartenance à un peuple européen, on est dans le concept ou dans la réalité ?

Bruno Cautrès : On est pour beaucoup dans le concept. L’idée qu’il y aurait un espace public européen avec des citoyens européens qui tous partageraient la même communauté de dessins, est une idée qui est très belle mais le rapport des citoyens européens à l’intégration européenne est très segmenté : on trouve en Europe des divisions géographiques, des divisions nationales, des différences sociologiques… L’Europe est une mosaïque de sous-continents qui existent à la fois par blocs de pays et par catégories sociales.

Mais, dans le même temps, on voit s’exprimer au niveau des différents pays européens des similitudes dans les formes d’inégalités sociales ou dans les formes de stratification des sociétés européennes. On retrouve, partout en Europe, un rapport différencié à l’Europe selon qu’on est un gagnant ou un perdant de l’intégration européenne. Mais l’idée d’une identité assez vague, d’une communauté de valeurs et de destins est plus un concept abstrait qu’une réalité sociologique.

JOL Press : Pour reprendre un titre de l’un de vos livres, les Français sont-ils des Européens comme les autres ?

Bruno Cautrès : On retrouve dans d’autres pays européens, en Allemagne en particulier, des comportements semblables entre les citoyens. Mais ce qui rend la France un peu particulière, c’est le rapport que les Français ont à l’Etat protecteur. C’est un rapport qui, historiquement, s’est construit sur une très longue durée, même sous l’Ancien régime, on avait de l’Etat une conception absolutiste. En France, mettre en perspective la souveraineté nationale, c’est en même temps poser des questions sur les fonctions de l’Etat et sur ses limites. Pour les Français, l’Etat est responsable de la police, de la justice et de l’armée mais aussi de la Sécurité sociale, de l’éducation et de la lutte contre les inégalités.

Dans une enquête du Cevipof que nous avons réalisé, nous avons constaté qu’entre 60 et 65% des Français déclarent craindre qu’avec davantage d’Europe il y ait moins de protection sociale en France. Ce sentiment déborde les frontières de la gauche et de la droite et est dû au chômage de masse mais aussi à cette conception d’un Etat protecteur.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections (Panel électoral français de 2002 et Panel électoral français de 2007, Baromètre politique français).

Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont Les Français, des Européens comme les autres ? (Les Presses de Sciences Po – juin 2010) ou La Turquie en Europe : l’opinion des Européens et des Turcs (Les Presses de Sciences Po – juin 2011)

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