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Malouines: «La fin de la « guerre des mots » n’est pas d’actualité»

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Un après le référendum d’auto-détermination des Malouines, l’Argentine continue de revendiquer la souveraineté de l’île – Photo DR Shutterstock

JOL Press : On commérait en 2012 le 30e anniversaire de la guerre des Malouines. Pourquoi assiste-t-on aujourd’hui à une recrudescence des tensions entre l’Argentine et le Royaume-Uni ?  
 

Morgan Donot : Nous assistons en effet à un regain des tensions entre l’Argentine et le Royaume-Uni, mais la revendication de la souveraineté sur les territoires des îles Malouines est une constante de tous les présidents argentins depuis la transition à la démocratie en 1983 et une obligation constitutionnelle depuis la réforme de la Constitution de 1994. L’actuel regain des tensions peut cependant être analysé au regard des élections présidentielles de l’année prochaine. De la même manière, à partir de 2006, on avait pu noter un tournant dans la politique argentine à l’égard des Malouines et ce, pour des motifs électoralistes en vue des présidentielles de 2007.

Si les dénonciations de l’Argentine à l’encontre du Royaume-Uni dans tous les forums internationaux sont également une constante de la politique étrangère de ce pays, l’Argentine a aussi profité du contexte de fortes tensions en Ukraine pour dénoncer le double standard britannique. À savoir, le rejet britannique du referendum en Crimée concernant le rattachement de ce territoire à la Russie d’une part et, d’autre part, la prise en compte du désir des Kelpers de rester sujets de la couronne britannique. Cette attitude va de pair avec une dénonciation de la militarisation de l’Atlantique sud par les Forces Armées britanniques, zone qui serait une base nucléaire de l’OTAN selon les autorités argentines.

JOL Press : Quelle a été la réaction du Royaume-Uni face aux récentes déclarations des autorités argentines ?
 

Morgan Donot : La posture officielle des autorités britanniques reste inchangée : la chartre des Nations Unies leur impose de respecter le droit des habitants des Malouines à la libre détermination. De plus, face à ce regain des tensions, les autorités britanniques ont exprimé le souhait que le prochain gouvernement de l’Argentine ait un regard distinct sur les Malouines.

Selon Hugo Swire, ministre britannique pour l’Amérique latine, Massa et Macri – deux probables candidats non kirchnéristes aux prochaines élections présidentielles – auraient une approche plus réaliste de la question des Malouines ou Falklands en anglais que l’actuel gouvernement. Cette attitude a été très mal perçue en Argentine et vue comme une ingérence britannique dans les affaires internes argentines.

JOL Press: Les tensions sont-elles récurrentes entre les deux pays ?
 

Morgan Donot : En effet, les tensions entre ces deux pays sont récurrentes et ce, depuis le milieu du XXe siècle. Les différents gouvernements argentins ont utilisé des stratégies différentes tout en faisant preuve de la même volonté de récupérer la souveraineté argentine sur les îles Malouines. Les Malouines incarnent donc une politique d’État de l’Argentine et non une politique gouvernementale, en dépassant toutes les barrières partisanes.

Après un apaisement des tensions entre les deux pays sous les gouvernements de Carlos Menem (1989-1999) marqués par une politique de séduction vis-à-vis des Kelpers et par la reprise des échanges, notamment économiques, les gouvernements kirchnéristes ont durci la position argentine afin de forcer la réouverture des négociations. Leur volonté est d’obliger – par la voie diplomatique – le Royaume-Uni à s’asseoir à la table des négociations comme le préconise la résolution 2065 de l’Assemblée Générale des Nations Unies de 1965 et de nombreuses résolutions concordantes. Les deux pays campant sur leurs positions respectives, la fin de la « guerre des mots » entre ces deux pays n’est en effet pas d’actualité.

JOL Press : Plus de trois décennies après la victoire militaire du Royaume-Uni, l’Argentine continue de revendiquer les Malouines. Comment justifie-t-elle la souveraineté de l’archipel ?
 

Morgan Donot : L’Argentine réclame ses droits de souveraineté en vertu du principe d’avoir hérité, suite à l’indépendance, les anciennes possessions coloniales de la couronne espagnole. Du côté anglais, on invoque depuis toujours le principe de l’autodétermination des peuples et le droit des habitants de ce territoire à décider de leur propre destin. En ce sens, un référendum a eu lieu les 10 et 11 avril 2013 organisé par les autorités des Malouines avec l’aval du Royaume-Uni.

Selon les chiffres officiels, 99.8 % des suffrages se sont déclarés en faveur du maintien du statut de territoire d’Outre-mer du Royaume-Uni pour les Malouines. Les autorités argentines n’ont pas reconnu ce referendum puisque, comme l’établit la Constitution, l’Argentine respecte les intérêts des habitants des Malouines, mais pas leurs désirs. À l’inverse, la posture officielle des autorités britanniques réside dans le refus de négocier sans l’acceptation préalable de la population anglaise.

JOL Press : Cristina Kirchner – comme son époux et prédécesseur Nestor Kirchner – a fait de la revendication des Malouines son cheval de bataille: une manière de renforcer le sentiment nationaliste à un an des élections présidentielles ?
 

Morgan Donot : Le fait que le kirchnérisme se soit construit, en outre, sur le rejet de la décennie néolibérale et que le désir de Carlos Menem et de son ministre des Affaires Étrangères que les Malouines redeviennent argentines avant l’année 2000 se soit soldé par un échec peuvent contribuer à expliquer l’importance accordée par les gouvernements de Néstor Kirchner et de Cristina Fernández de Kirchner aux Malouines.

La revendication de la souveraineté argentine sur les îles Malouines permet de renforcer le sentiment nationaliste, puisque la cause Malouines est la grande cause argentine et le principe organisateur de l’identité de ce pays. En cela, la revendication argentine peut s’apparenter à une stratégie de campagne électorale puisque pour la majorité des Argentins, « les Malouines étaient, sont et seront argentines ».

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Morgan Donot est doctorante en science politique à l’IHEAL – CREDA UMR 7227. Elle est l’auteure de l’ouvrage « Discours politiques en Amérique Latine » (Editions L’Harmattan).

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